Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 7 mai 2014 à 16h15
Commission des affaires économiques

Stéphane le Foll, ministre de l'Agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt sur les assurances agricoles :

Nous devons prendre en compte, outre les aléas climatiques ou sanitaires, le risque économique, c'est-à-dire la volatilité des prix, sous l'effet des crises. Il existe déjà à cet effet des mécanismes, que j'ai évoqués, dans le cadre de l'OCM unique. Outre le filet de sécurité et les dispositifs fiscaux de lissage des revenus, la DPA, mise en oeuvre rapidement à la demande des céréaliers, constitue un système de provision qui fonctionne très bien, à une réserve près : il faut revoir le taux des intérêts de retard.

Le risque de marché, en revanche, n'est pas pris en compte, en tant que tel, par les systèmes de mutualisation ou d'assurance. Peut-être la question de la volatilité des prix sera-t-elle posée, à terme, au sein de la PAC. Cela dit, les discussions que nous avons eues avec Groupama butent sur la question de l'aléa moral : quand on fait supporter le risque par l'ensemble des acteurs économiques, on sape l'esprit de prévention. C'est pourquoi on ne peut pas supprimer toute franchise. Les États-Unis, qui ont fait prévaloir l'assurance en agriculture, se posent eux-mêmes la question, parce qu'une personne assurée à 100 % est portée à négliger toute précaution.

Je conviens, monsieur Peiro, que le remaniement ministériel nous a fait prendre du retard dans l'élaboration des décrets, mais ceux-ci ont été rédigés, puis transmis au Secrétariat général du Gouvernement (SGG). Ils seront bientôt publiés, avec effet rétroactif à compter du 1er février.

Monsieur Herth, vous avez raison de rappeler la difficulté de la situation pour Groupama, qui assure 80 % des agriculteurs. Elle illustre la nécessité de développer la réassurance. Pour l'heure, le système n'a pas trouvé son équilibre économique en raison d'une base de cotisants trop restreinte. Mais on ne peut en rester à une logique d'assurance, surtout si l'on étend la couverture à de nouveaux aléas : compte tenu des risques, cela conduirait inévitablement, soit à demander aux exploitants des cotisations d'un montant dissuasif, soit à mettre en péril l'établissement financier. Il faut donc davantage de mutualisation.

Le stabilisateur budgétaire appliqué aux céréaliers vise à réduire certains écarts. Actuellement, le coût de la prime après subventions représente 3 % de leurs charges, contre 12 % pour les arboriculteurs. Même si l'on ne peut mettre tout le monde à égalité, car l'arboriculture connaît des conditions et des aléas climatiques particuliers, l'objectif est de rapprocher les régimes tout en recherchant un équilibre financier acceptable par tous.

L'aide publique couvre 65 % des coûts d'assurance, le reste étant à la charge de l'agriculteur. Vous mesurez dès lors l'importance des sommes que devra verser l'État si l'on maintient ce ratio. Cependant, on ne peut réduire le montant des subventions qu'en augmentant la part des cotisations, ce qui ne peut se faire qu'en élargissant la base. Un jour, des ingénieurs ont voulu créer des avions qui décolleraient à la verticale, comme les hélicoptères ; le problème est que ces appareils risquaient de tomber au moment de repartir à l'horizontale. Nous sommes dans la même situation. Le système actuel repose sur une base étroite de cotisants et de fortes subventions publiques. On le fera exploser si l'on élargit la base en conservant le même taux de subvention ; on placera les agriculteurs dans l'impossibilité de s'assurer si l'on augmente leur cotisation en baissant le niveau de subvention. D'où l'idée du contrat socle.

La question qui se pose à propos de ce contrat est de savoir ce qu'il va financer. Garantir le niveau de chiffre d'affaires, donc le revenu dégagé, ce qui était l'hypothèse de départ, supposerait le paiement de cotisations élevées. Ce régime de base ayant vocation par définition à s'appliquer le plus largement possible, il faut qu'il revienne au contraire le moins cher possible. Nous avons donc réduit nos ambitions en limitant le remboursement au renouvellement de la capacité de production, étant entendu que celle-ci varie selon les types d'exploitation. C'est sur ce point que porte la négociation.

M. Chassaigne, toujours prompt à identifier les enjeux et à dénoncer la phraséologie ministérielle, a jugé que ce point de mon exposé était flou. Je m'en défends d'autant moins que, je ne le cache pas, les négociations sur le sujet sont difficiles.

Madame Allain, une franchise de 30 % est déjà appliquée pour l'intervention du FNGRA. La récurrence des calamités sur certains territoires est un phénomène réel pour lequel je n'ai pas de réponse, mais, jusqu'ici, le système fonctionne bien. Nous dépensons 30 à 35 millions par an ; toutefois, lors de la sécheresse de 2011, nous avons dû en verser 130 à 140, ce qui oblige à une certaine prudence. Peut-être, compte tenu de la marge dont nous disposons, pourrions-nous prévoir des dispositions spécifiques pour ces cas d'événements récurrents – déjà, d'ailleurs, l'indemnisation peut être portée de 35 % à 50 % en cas de pertes exceptionnelles, dispositif que nous avons mobilisé quand des ravinements ont entraîné la disparition de terres arables.

Rendre l'assurance obligatoire comme le souhaiteraient certains viticulteurs poserait un problème juridique. En effet, dès lors qu'il existe une obligation de ce type, il devient impossible, aux termes du droit européen, de verser une subvention. Le mieux est par conséquent d'aller vers un système de mutualisation, car un agriculteur ne peut pas s'assurer directement contre les risques découlant d'aléas climatiques majeurs.

Il n'existe pas de régime spécifique aux petites exploitations, qui relèvent du régime forfaitaire. Quant aux dispositifs fiscaux, ils s'appliquent par définition au réel. C'est généralement pour en profiter que les agriculteurs passent d'un régime à l'autre.

Mme Allain déplore des indemnisations insuffisantes dans certains cas mais, je le redis, plus on élève le taux de remboursement, plus la prime va devenir dissuasive pour l'agriculteur. Pour atténuer cette difficulté sur laquelle on bute toujours, le contrat socle jouera le rôle d'une mutuelle de base, à laquelle on pourrait ajouter des complémentaires. Nous devons construire cette mutuelle, afin qu'elle s'étende vite et offre à l'exploitant la capacité de réamorcer le processus de production. Les bâtiments et le matériel sont déjà assurés. Reste à financer rapidement, en cas de sinistre, les charges proportionnelles et opérationnelles. Il va de soi que le socle de base n'apportera pas de réponse complète à toutes les situations, mais plus la couverture sera étendue, moins elle sera abordable.

Je conviens, madame Batho, que les assurances remboursent parfois plus vite que le FNGRA. Par ailleurs, je vous confirme que le ministère réfléchit à la contribution que l'agriculture peut apporter à la lutte contre le réchauffement climatique : comment limiter la consommation d'énergies fossiles pour réduire l'émission de gaz à effet de serre ? Quelle quantité de ces gaz l'activité agricole permet-elle de stocker ? Cela fera l'objet d'un document qui sera publié d'ici au mois de septembre, en prévision de la conférence Paris Climat 2015 (COP21). L'agriculture est souvent montrée du doigt, en particulier l'élevage, pour sa contribution à l'effet de serre et nous avons donc à coeur de proposer des solutions afin que, dans le débat sur le réchauffement climatique, elle soit présentée non comme un problème, mais comme une solution.

La décomposition de la matière organique est très productrice de gaz à effet de serre, ce qui explique que le bilan carbone de la forêt tropicale laissée à l'état naturel soit neutre : la matière organique libère en se décomposant autant de gaz carbonique que les arbres en fixent en se développant. Mais je rappelle aussi que plus on travaille le sol, plus on produit de protoxyde d'azote, dont le pouvoir réchauffant est quinze à vingt fois supérieur à celui du gaz carbonique. Les sols européens, selon une estimation faite lorsque j'étais parlementaire européen, emprisonnent quelque 70 milliards de tonnes de carbone, sous forme de matière organique, soit 35 ans des rejets carbonés de toute l'Europe. On pourrait même porter de 1,5 % à 3 %, voire à 3,5 % la proportion de matière organique contenue dans les sols, par exemple grâce à une couverture végétale ou en favorisant la présence des vers de terre. La méthode pourrait être expérimentée en Alsace – sous réserve que les Alsaciens en soient d'accord.

Les différents problèmes sont liés : plus la planète se réchauffe, plus elle est exposée aux sécheresses ou aux inondations, et plus il est nécessaire de disposer d'un système assuranciel qui garantisse la durabilité des modèles de production.

Pour résumer, nous disposons avec le FNGRA d'un outil efficace. Il faut le conserver, en réfléchissant aux moyens de l'améliorer. Gardons aussi les allégements de taxe sur le foncier non bâti, les allégements de cotisations sociales et la Mutuelle sociale agricole, qui fonctionnent eux aussi. Construisons un système de mutualisation en partie financé par le transfert des aides du premier pilier vers le deuxième. En 2017, nous verrons s'il faut aller au-delà du taux de 1 % que nous avons retenu à ce jour. Une fois acquis ce potentiel de financement public, nous construirons le socle de base, pour que les agriculteurs puissent s'assurer plus facilement. À partir de là, nous négocierons la réassurance de l'ensemble du système, qui n'a pas encore trouvé son équilibre économique, et nous testerons le dispositif entre 2015 et 2017.

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