Je suis d'autant plus heureuse de cette audition, que j'ai conservé de très bons souvenirs des années que j'ai passées dans cette enceinte et j'espère vous transmettre ma passion à l'égard de l'hospitalisation à domicile, qui rend tant de services aux patients.
L'HAD est au coeur de la stratégie nationale de santé, que Mme Touraine présentera le 17 juin, du pacte de stabilité et, plus globalement, des réponses qu'il faudra apporter au vieillissement de la population. Sur le plan sanitaire, elle s'inscrit dans un contexte bien connu : insuffisante structuration de l'offre de soins, cloisonnement des secteurs, évolution des besoins liée à la prévalence des maladies chroniques et aux polypathologies.
Le cloisonnement s'opère non seulement entre les secteurs sanitaire et médicosocial, mais aussi, à l'intérieur du secteur sanitaire, entre la médecine de ville et l'hôpital, ainsi qu'entre les différentes professions de santé, qui n'ont pas appris à travailler ensemble. Dans les territoires, l'approche de l'offre de santé est tunnellaire, même si les projets régionaux de santé (PRS) élaborés par les agences régionales de santé (ARS) ont marqué un premier pas vers les diagnostics territoriaux partagés.
Les données de santé sont éclatées, puisqu'elles relèvent, pour la médecine ambulatoire, du système national d'information interrégimes d'assurance maladie (SNIIRAM) et, pour les établissements hospitaliers, du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI). Entre les deux systèmes, il n'y a quasiment pas de croisements. Depuis quelques années, on observe une multiplication d'acteurs dans le champ de la coordination, ce qui est préjudiciable à l'efficacité.
La volonté des patients n'est pas suffisamment prise en compte. Même si, depuis la loi de 2002, on tient davantage compte de la volonté des intéressés et de leur famille, les besoins sont analysés de manière trop segmentaire. On raisonne non globalement mais par appareil. La prévention est quasi inexistante. On prend trop peu en compte le désir des malades de rester chez eux.
Dans notre pays, le monde sanitaire est hospitalo-centré, en raison d'une confusion entre hospitalisation et hébergement. En France, les coûts liés à l'hospitalisation conventionnelle représentent 37 % des dépenses, contre 29 % dans les autres pays de l'OCDE, qui ont dissocié depuis plus longtemps hospitalisation et hébergement. Ainsi s'explique notre retard tant pour la chirurgie ambulatoire que pour la prise en charge à domicile de nombre de pathologies. D'ailleurs, la formation que reçoivent les médecins, axée sur le centre hospitalier universitaire (CHU), entretient la vision d'un médecin prescripteur, dont dépendent les autres professions de santé. Nous avons fossilisé la médecine libérale. C'est dire le mérite de ceux qui constituent des maisons ou des pôles de santé. Alors que d'autres pays s'appuient sur les innovations pour faire évoluer l'organisation des soins, le nôtre n'a pas intégré des innovations techniques et thérapeutiques qu'elle connaît pourtant.
Nous sommes dans un cadre financier confus, de plus en plus contraint. Les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) ont pris une part considérable dans la tarification à l'activité (T2A). Les honoraires conventionnels sont soumis à de multiples majorations. Les règles de financements des ARS ne sont pas encore claires, et les financements accordés par les régions et les départements ne sont pas identiques sur le territoire. Dès lors, l'obligation de réduire l'ONDAM de 2,4 % à 2 % peut être interprétée comme une chance : demain, la contrainte peut devenir une opportunité.
L'enjeu est de réduire le recours à l'hospitalisation avec hébergement et de développer les soins coordonnés, balbutiants en France mais très importants dans les pays anglo-saxons. En conformité avec le génie français, nous avons préféré un système compliqué à des systèmes simples. L'hospitalisation que nous pratiquons n'existe sous cette forme dans aucun autre pays, sauf, peut-être, en Australie. Je le répète : la stratégie nationale de santé est une chance, qui permettra un virage vers l'ambulatoire, en replaçant l'hospitalisation à sa juste place. C'est pourquoi la FNEHAD adhère à ses objectifs.
Quelles orientations générales faut-il inscrire dans la stratégie nationale de santé ? Comment réduire les dépenses tout en répondant aux besoins liés au vieillissement de la population ?
Il faut tout d'abord cesser de penser qu'on doit encore et toujours injecter davantage d'argent dans le système. Les marges de manoeuvre existent. Encore faut-il avoir la volonté de faire bouger les lignes et de rompre avec le système des enveloppes, qui fige tant les interactions entre les secteurs d'activité, que notre capacité d'innovation, technique, thérapeutique ou organisationnelle.
Il faut ensuite développer une véritable politique de santé et non plus simplement de l'organisation des soins, ce qui suppose de nous appuyer davantage sur les technologies et de faire plus de place à la prévention.
Nous devons aussi nous montrer pragmatiques en nous fixant pour objectifs de simplifier, et cesser de créer de nouveaux dispositifs sans renoncer à d'autres moins efficaces – bref ne conserver que ce qui est vraiment efficient, en développant une véritable culture d'évaluation.
En quatrième lieu, il faut résolument jouer la carte du domicile et faire de la loi le support de cette volonté. Dans un futur proche, l'hébergement hospitalier, tel que nous le connaissons aujourd'hui, sera l'exception. Il sera circonscrit à des besoins précisément identifiés tels que la réanimation, quand le pronostic vital est en jeu à court terme, ou le suivi d'interventions lourdes justifiant une surveillance continue.
Enfin, il faut amener les professionnels de santé à travailler en concertation, en partenariat, en leur donnant les moyens de s'affranchir de la rigidité et du cloisonnement propres au système actuel. À cet égard, la télésanté est une opportunité dont nous devons nous saisir.
L'hospitalisation à domicile existe depuis plus de cinquante ans. La loi de 2009 a inscrit nos établissements parmi les établissements de santé. Leur but est non d'effectuer du maintien à domicile ni de proposer des prestations, mais d'être un véritable dispositif sanitaire. Tout département possède au moins un établissement de ce type, dont le nombre se monte à 300. N'hésitez pas à prendre contact avec leurs responsables. Ces établissements proposent une offre unique, qui répond à une complexité médicale, soignante et sociale. Ils prennent en charge des patients qui souffrent de pathologies compliquées ou réclament des soins plusieurs fois par jour, avec des médicaments innovants, difficiles à administrer, exigeant des techniques hospitalières. Nos professionnels gèrent en outre des difficultés sociales de certains patients.
Nos établissements sont des experts de l'évaluation. Dans quatre cas sur cinq, nous sommes appelés par un établissement hospitalier MCO (médecine chirurgie obstétrique), pour évaluer une situation et vérifier que l'état du patient justifie une prise en charge en HAD. La gestion des parcours de soins, dont on parle tant, est notre quotidien. Plus de 80 000 patients par an bénéficient d'une HAD en aval d'une hospitalisation conventionnelle. Nous traitons en tout plus de 110 000 personnes. La différence entre les deux chiffres correspond aux patients qui viennent directement de leur domicile et nous sont adressés par des généralistes.
Notre activité est encadrée. Elle est soumise à autorisation et contrôlée par l'assurance maladie. Nous sommes certifiés, ce qui nous impose de passer sous les fourches caudines de la Haute autorité de santé. Si certains établissements, peu nombreux, se sont vu refuser la certification, parce qu'ils ne répondaient pas à certains critères de qualité ou de sécurité, j'y vois la preuve du sérieux des autres.
Nos établissements ont la culture de l'hôpital et la souplesse de l'ambulatoire. Tous les jours, nous oeuvrons avec médecins libéraux, infirmières libérales et kinésithérapeutes. Le dispositif hospitalier emploie des personnels salariés et interagit à domicile avec les professionnels libéraux. Non seulement nous avons donné une vertu conceptuelle à la coordination, mais nous l'avons décrite opérationnellement sur un plan médical, soignant et social, tant en matière de logistique et d'organisation que d'intervention.
Que pouvons-nous faire demain ? Tout d'abord accompagner cette formidable mutation, car nous ne passerons pas en un jour d'une culture hospitalocentrée à la dimension ambulatoire. La méfiance que ressentent les praticiens hospitaliers à l'idée de laisser les patients rentrer chez eux se manifestera davantage à l'égard de l'ambulatoire, mais, en tant qu'établissements hospitaliers, nous pouvons être un élément d'appui.
Nous pouvons aller encore plus loin dans le domaine des soins palliatifs, où nous accompagnons près de 40 000 patients par an. Nous sommes le premier acteur à domicile des soins palliatifs. Chaque jour, nous intervenons dans les établissements médico-sociaux, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les établissements pour personnes handicapées, auxquels nous évitons des hospitalisations inopportunes. Malgré la présence de cardiologues, nous ne sommes pas assez présents dans le domaine de l'insuffisance cardiaque, où nous serons aidés par les technologies de surveillance à domicile. Nous possédons aussi un potentiel de développement pour la rééducation neurologique et les post-AVC.
Nous pouvons aussi élargir notre champ d'intervention. Certaines chirurgies peuvent être pratiquées avec un séjour hospitalier plus court, suivi d'une HAD, si les praticiens hospitaliers craignent des complications. Pour peu que nous prenions le relais pendant quelques jours, on peut réduire une hospitalisation post-chirurgicale d'une semaine à vingt-quatre ou quarante-huit heures. Cet axe de travail, évoqué il y a quelques mois par la ministre de la santé, lors de nos journées, a été repris par le comité de réforme de la T2A.
Des techniques permettent de développer la chimiothérapie à domicile, après quelques séances, dans un cadre contraint et rigoureux, si l'établissement d'HAD est associé à des établissements autorisés. Nous pouvons également nous positionner davantage sur la pédiatrie, pour éviter que des enfants qui pourraient être pris en charge à domicile ne soient hospitalisés loin de leurs parents. En outre, les personnes âgées en EHPAD, qui doivent se rendre aux urgences, n'ont pas à aller dans un lit hospitalier. Elles peuvent rester dans leur établissement, où nous les prendrons en charge.
Enfin, nous pouvons assumer de nouvelles fonctions, par exemple en développant l'évaluation en amont. Sur dix demandes, nous ne prenons en charge que cinq ou six patients. Dans les autres cas, soit la famille ou le patient refuse notre hospitalisation, soit l'état du patient s'aggrave, ce qui appelle une surveillance continue, voire une réanimation, soit la prise en charge, plus légère, relève d'un service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ou de l'ambulatoire. Nous pouvons appuyer les expérimentations PAERPA (Personnes âgées en risque de perte d'autonomie). Par ailleurs, si nous pouvons jouer gratuitement un rôle d'aiguilleur, nous sommes prêts à nous mobiliser davantage. Nos coûts resteront marginaux, dès lors que nos équipes existent, et qu'il suffit de les renforcer. Une expérience Soins et santé en HAD a été lancée à Lyon, pour développer l'activité de soins de support. Dès lors qu'un établissement hospitalier hésite sur le cas d'un patient, il nous sollicite, et nous proposerons une orientation vers l'HAD, le SSIAD ou l'ambulatoire. Quand nos établissements ont suffisamment de maturité, notre réponse est claire et rapide.
L'intérêt de l'HAD est donc multiple. Pour le planificateur, notre maillage territorial est large. HAD publique et privée observent les mêmes réglementations, perçoivent les mêmes financements et concourent à un même service public. Nous exerçons d'ores et déjà une responsabilité populationnelle, que confirme la circulaire signée en décembre par Mme Touraine. Nous pouvons encore déployer l'offre et proposer une version transversale, soit un sas, qui fera évoluer mentalités et pratiques. Les patients que nous prenons en charge peuvent connaître la précarité, vivre dans une caravane ou se trouver dans de grandes difficultés. Nous activons tous les dispositifs sociaux et effectuons même des prises en charge dans les foyers d'hébergement. Le coût de l'HAD est de 200 euros par jour, contre 705 pour une hospitalisation complète. Nos investissements concernent nos services et nos systèmes d'information.
Nous sommes souples et évolutifs. En 2015, le post-partum physiologique sortira de l'HAD, où il n'a pas sa place. C'était pourtant une activité non négligeable pour certains établissements, qui ont d'ores et déjà amorcé leur mutation. Nous sommes contrôlés par l'assurance maladie, ce qui nous condamne à la vertu, car on ne nous fait pas plus de cadeaux qu'aux autres. Notre principe est : « qui peut le plus ne peut pas obligatoirement le moins ».
Pour les patients, nous sommes un vecteur d'égalité des chances, car nous sommes présents sur tout le territoire et soumis à une exigence de certification. En matière d'HAD, il n'existe pas de reste à charge. Les patients sont totalement solvabilisés par la T2A et une prise en charge soit par l'assurance maladie soit par les systèmes complémentaires.
L'HAD, gage de qualité, respecte l'exercice des médecins hospitaliers et des professionnels libéraux. Certains de nos établissements sont situés dans des départements très déshérités sur le plan de la démographie médicale. Dans le Cher, la Haute-Marne et les Vosges par exemple, les médecins nous voient comme un support qui permet d'accompagner les malades et d'organiser la logistique.