Intervention de Patrick Gandil

Réunion du 13 mai 2014 à 18h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

La construction aéronautique est un secteur stratégique pour notre pays. Elle est un vecteur de souveraineté et un gisement d'emplois. Cette activité économique génère un chiffre d'affaires annuel de 30 milliards d'euros et apporte une contribution de plus de 20 milliards d'euros par an à la balance commerciale. Elle devrait être durablement favorable à l'industrie nationale puisque les analystes s'accordent sur une prévision de croissance du trafic aérien mondial d'environ 5 % par an sur les vingt prochaines années. La production des avionneurs est déjà vendue pour plusieurs années. La trésorerie de ces entreprises est souvent florissante grâce aux avances versées par les acquéreurs.

La France est l'un des deux seuls pays au monde, avec les États-Unis, à disposer sur son territoire d'une filière aéronautique complète, capable de fabriquer un avion entièrement français. Aucun autre pays européen ne jouit d'une telle maîtrise du marché. La filière rassemble, dans un fonctionnement harmonieux, les leaders que sont les constructeurs finaux comme Airbus ou Dassault Aviation, un très grand motoriste, Safran, des équipementiers de premier plan comme Zodiac ou Thales mais aussi un tissu d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de PME. Les grands groupes se préoccupent du devenir des PME qui sont leurs sous-traitants : celles-ci sont en effet détentrices d'un savoir-faire qu'ils ne peuvent pas se permettre de perdre. Ce tissu d'ETI et de PME représente à lui seul la moitié du chiffre d'affaires et des effectifs de l'industrie nationale. Si les grands groupes tirent l'industrie aéronautique, ils s'inscrivent dans ce qu'on appelle un écosystème de l'aéronautique.

L'industrie aéronautique consent un effort permanent de recherche et développement (R&D) ; elle y consacre 15 % de son chiffre d'affaires, ce qui est considérable.

Outre une féroce concurrence entre Airbus et Boeing, l'industrie aéronautique est soumise à des pressions sociétales fortes qui l'ont contrainte à réaliser des progrès remarquables en une cinquantaine d'années. Le bruit à la source a été réduit de 20 décibels depuis les premiers avions à réaction des années cinquante. Les émissions de C02 ont diminué de près de 80 %. Par chance, les préoccupations environnementales et les impératifs d'efficacité économique se rejoignent : depuis les frères Wright, les recherches s'intéressent à la réduction de la consommation de kérosène car plus sa consommation est faible, plus l'avion va loin et transporte plus.

Dans le domaine de la sécurité, les progrès sont spectaculaires. Nous sommes aujourd'hui passés sous la barre des 300 victimes par an à l'échelle mondiale pour les avions de plus de 19 places. Aucun autre mode de transport ne présente un niveau de sécurité comparable ; il est acquis au prix d'efforts importants et très coûteux.

La décennie en cours doit voir le renouvellement de grands produits. Ainsi, si l'A320 n'est pas encore renouvelé, puisque l'A320 NEO a été lancé avec des résultats tout à fait satisfaisants, l'A330 est en passe d'être remplacé par l'A350 ; l'hélicoptère Dauphin cédera la place au X4 et le Super Puma au X6 ; de nouveaux avions Dassault apparaissent ; le LEAP-X est en train de succéder au CFM-56, qui demeure un moteur de référence – il équipe les trois quarts des avions moyen courriers – ; enfin, Safran développe l'Open Rotor.

Dans cette période stratégique, l'erreur n'est pas permise car, contrairement à l'industrie automobile, la gamme de produits dans l'industrie aéronautique est très limitée. Un grand avionneur comme Airbus présente trois principaux modèles : A320, A330 – prochainement A350 – et A380. Les autres avionneurs, plus petits, essaient, sans succès pour l'instant, de pénétrer le marché des gros avions, qui reste l'apanage d'Airbus et de Boeing. Chaque produit joue dans le modèle économique de ces deux grandes entreprises un rôle essentiel, qui laisse peu de place à l'erreur. Quant aux autres avionneurs, les investissements sont si lourds qu'ils jouent leur vie chaque fois qu'ils lancent un produit.

La concurrence entre Boeing et Airbus est dure et se renforce. Airbus doit affronter un concurrent qui est massivement soutenu, au travers d'aides directes et grâce à la dualité civile et militaire de la filière. L'octroi récent à Boeing par l'État de Washington de la plus large exemption fiscale de l'histoire des États-Unis – 8,7 milliards de dollars – est le dernier exemple de ce soutien. La Chine, la Russie, et à un moindre degré le Canada et le Brésil, qui cherchent à se positionner sur le marché des avions de plus de cent places, subventionnent également leur industrie de façon massive.

Au niveau européen, l'Allemagne déploie d'importants efforts en vue de bâtir une industrie aéronautique plus performante. De même, la Grande-Bretagne relance son soutien public à cette industrie.

Ce secteur, qui stimule les technologies et offre un marché porteur, aiguise donc les appétits des grands pays industrialisés. Il faut prendre garde à ne pas décrocher du peloton. Or l'industrie française n'est pas aidée dans les mêmes proportions.

Que peut-on faire face à cette concurrence ?

L'État recourt aux avances remboursables, pour le lancement des produits, et aux subventions, pour la recherche intermédiaire – la recherche en amont ne relève pas du champ de compétence direct de la DGAC.

Nous avons tenté d'évaluer ce soutien public sur le long terme. Toutes les opérations n'ont pas été réussies. À titre d'exemple, l'A340 n'a pas remboursé toutes les avances reçues : dernier quadrimoteur dans sa catégorie, cet appareil fut un échec commercial, sa naissance ayant coïncidé avec l'autorisation de la traversée de l'Atlantique en bimoteur, dont a pleinement profité le Boeing 777, premier bimoteur dans sa catégorie. En revanche, certaines opérations ont été remboursées bien au-delà des avances qui avaient été consenties, en raison des royalties qui s'y attachent – je pense à l'Airbus A320 ou au moteur CFM56. Au total, le bilan financier des avances remboursables est excédentaire. Cet excédent a permis de financer la presque totalité des subventions de recherche aéronautique.

Le dispositif, qui joue donc un rôle d'amorçage et « s'autorembourse », a permis de financer la recherche et d'aider des industriels à lancer des aéronefs dont la fabrication assure une activité économique considérable et des emplois nombreux.

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