…je découvre à l’instant même que certaines dispositions ne seront applicables qu’à partir du 1er janvier 2017 ; du moins en ai-je la confirmation, puisque je l’ai lu dans Le Figaro, qui est mieux informé que nous.
De quoi s’agit-il ? Vous prévoyez de sortir du champ du sursis avec mise à l’épreuve un certain nombre d’obligations, et vous les énumérez, c’est-à-dire qu’un juge, quand il prononcera un SME, ne pourra désormais plus, dans le cadre de ce SME, obliger à exercer une activité professionnelle, à suivre un enseignement ou une formation professionnelle, à recevoir des soins ou à accomplir un stage de citoyenneté. On se demande pourquoi vous donnez de telles limites au juge, pourquoi vous lui tenez la main, alors que, depuis le début de ce débat, vous nous parlez de liberté, de liberté, de liberté. C’est le juge en liberté. Voici que tout d’un coup, il n’est plus du tout en liberté. Vous lui retirez la possibilité d’imposer ces obligations tout à fait justifiées dans le cadre d’un SME, qui visent à sortir de la délinquance et à ramener dans le bon chemin. Je me suis interrogé.
En fait, la réponse vient juste après. La contrainte pénale ne sera, dans un premier temps, applicable qu’aux délits punis d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison, et ce n’est qu’en 2017 qu’elle sera applicable à tous les délits, la durée de la peine d’emprisonnement encourue pouvant alors atteindre dix ans.
L’explication que je trouve, que vous démentirez sans doute, à moins, peut-être, que vous ne me donniez raison, est la suivante : vous voulez contraindre, non, le mot est trop fort, vous voulez inciter le juge à prononcer des contraintes pénales, puisque ces dispositifs d’interdiction et d’obligation ne pourront être ordonnés que dans le cadre de la contrainte pénale. Il s’agit donc de l’inciter à prononcer cette contrainte pénale.
Et puis, je me demande – puisque nous n’avons pas eu le temps, ni même l’occasion d’examiner tout cela –, si ce n’est pas, peut-être, pour contourner un problème de constitutionnalité que nous avions soulevé, à savoir qu’il n’existe aucun critère objectif, comme vous le reconnaissez d’ailleurs dans le rapport, pour savoir quoi choisir entre un sursis avec mise à l’épreuve et une contrainte pénale. Vous ne donnez pas de critères objectifs au juge. Pourquoi devrait-il choisir un SME et pourquoi devrait-il choisir une contrainte pénale ? Cela pose un problème au regard de l’égalité des citoyens devant la loi, cela expose au risque d’un certain arbitraire du juge, qui n’a aucun critère pour choisir entre les deux.
Voici que, tout à coup, vous lui donnez un critère. S’il veut obliger à faire une formation professionnelle, il faudra qu’il prononce une contrainte pénale. Tout cela, vraiment, me paraît un peu à l’emporte-pièce ! Franchement, monsieur le rapporteur, je voudrais que vous donniez des explications.
Mais c’est autre chose qui me paraît le plus grave. J’insiste sur ce point, et je prends un ton solennel pour le dire. Si j’en crois Le Figaro, il y a eu une discussion très serrée, hier soir, avec le rapporteur, l’Élysée, etc. Il fallait que le Président de la République, évidemment, ait satisfaction, puisqu’il ne voulait pas que la possibilité de la contrainte pénale soit étendue à tous les délits, donc jusqu’à des délits passibles de dix ans d’emprisonnement – et donc vingt ans, je le rappelle, en cas de récidive. En même temps, il fallait que la garde des sceaux et vous-même, monsieur le rapporteur, ainsi qu’une majorité du groupe socialiste et de la commission des lois, sauviez la face, puisque vous teniez à cet amendement. Vous auriez donc trouvé cet arrangement – car il s’agit bien d’un arrangement –, pour faire en sorte que l’extension du champ de la contrainte pénale à tous les délits, jusqu’à ceux passibles de dix ou vingt ans de prison, ne s’applique qu’à partir du mois de janvier 2017.
Alors là, madame la garde des sceaux, j’aimerais vraiment que vous nous rassuriez sur la constitutionnalité de ce report d’application de l’amendement à 2017 . Je voudrais rappeler une grande règle du droit pénal, que vous connaissez tous : la règle de l’application de la loi la plus douce. Il n’y a pas de rétroactivité de la loi plus sévère, il y a rétroactivité de la loi plus douce. Or vous allez nous proposer, tout à l’heure, de glisser la contrainte pénale, dans la hiérarchie des peines, entre l’amende et l’emprisonnement, pour bien montrer qu’elle est plus sévère qu’une amende et moins sévère que l’emprisonnement. La contrainte pénale est donc moins sévère que l’emprisonnement… et vous êtes en train de nous proposer de reporter l’application d’une loi plus douce après 2017.
Qu’en sera-t-il le jour où, avant 2017, un prévenu sera jugé et ne pourra bénéficier de ce dispositif, alors que les faits auront été commis avant 2017 ? Il dira : « Je n’ai pas bénéficié de la loi la plus douce, qui doit rétroagir. » Cette loi la plus douce doit en effet rétroagir jusqu’au moment de la commission des faits ; c’est un principe admis en droit.
Je ne sais pas si je suis assez clair ; peut-être que je m’embrouille, mais, en tout cas, il s’agit bien de cela : l’application de la loi plus douce est immédiate. La contrainte pénale est plus douce que l’emprisonnement, et vous voudriez la reporter après 2017, mais, pour les faits commis avant cette date, le prévenu pourra s’en prévaloir, en disant que c’est un principe général, un principe constitutionnel.
J’ai retrouvé, d’ailleurs, de très vieilles décisions. Voici ce que disait déjà au dix-neuvième siècle la Cour de cassation : « Lorsque dans l’intervalle d’un délit au jugement il a existé une loi pénale plus douce que celle qui existait soit à l’époque du délit soit à l’époque du jugement, c’est cette loi plus douce qui doit être appliquée. » J’ai retrouvé également l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui le proclame en ces termes, assez différents, d’ailleurs : « Si, postérieurement à l’infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier. » Je voudrais, à l’appui de ma démonstration, vous citer également le propos d’un garde des sceaux. C’était en 1992, ici même. Voici ce qu’il déclarait le 16 décembre 1992 : « Nul n’ignore ici que la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’oppose à ce que l’entrée en vigueur d’une loi pénale plus douce soit différée dans le temps. » Vous êtes en train, manifestement, de ne pas respecter la Constitution, puisque vous reportez dans le temps une loi plus douce.
Le résultat de tout cela, monsieur le rapporteur, est catastrophique. Vraiment, ce projet de loi ne respecte aucun principe général du droit.
Enfin, monsieur le rapporteur, pardonnez-moi, je me force un peu pour vous dire ceci, mais c’est mon devoir de vous le dire. À propos de ce dispositif qui étend la contrainte pénale à tous les délits, jusqu’à ceux passibles de dix ans de prison, vous avez commis une énorme maladresse. Et je voudrais sincèrement qu’ici, dans l’hémicycle, soit vous retiriez ces propos, soit vous les expliquiez. Il faut vraiment que vous donniez une explication à la représentation nationale, et pas uniquement aux journaux. Je rappelle, à l’attention de nos collègues, que vous avez dit que la contrainte pénale pourra donc concerner « un oncle qui, à la fin d’un repas de famille un peu alcoolisé, a un geste déplacé envers sa nièce ». Et vous avez ajouté : « Des personnes qui agressent sexuellement des femmes la nuit, c’est grave, et cela peut alors justifier l’incarcération. » Monsieur le rapporteur, est-ce que vous retirez ces propos ? « Un oncle qui, à la fin d’un repas de famille un peu alcoolisé, a un geste déplacé envers sa nièce » pourra bénéficier d’une contrainte pénale.