Intervention de Denis Terrien

Réunion du 3 juin 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Denis Terrien, président du groupe 3SI :

Le groupe 3SI, anciennement 3 Suisses, c'est une histoire humaine qui a plus de 80 ans, et qui a connu plusieurs mutations successives. Aujourd'hui, un emploi sur quinze dans l'e-commerce est dans notre groupe, sur un total de 100 000. Nous sommes un groupe leader de l'e-commerce en France, en Belgique et en Espagne, mais aussi dans le domaine des services, qui permettent le back-office. Comment y sommes-nous arrivés ? Historiquement, nous sommes passés de la laine aux magasins, puis à la vente par correspondance, à la vente à distance et aujourd'hui à l'e-commerce.

En matière d'e-commerce, notre activité comprend deux parties : les sites d'e-commerce, comme 3 Suisses, qui ont connu des mutations très profondes et très structurantes, ce qui est particulièrement impactant sur l'emploi dans la société et la formation ; et les services aux e-commerçants, qui connaissent une croissance soutenue de plus de 10 % par an. Sur ce volet, nous sommes le premier opérateur privé : plus de 3 500 e-commerçants nous font confiance. Nous avons la chance et l'honneur de travailler avec les e-commerçants assis à cette table.

La Poste n'est en effet pas la seule entreprise qui fournit des services aux e-commerçants. Nous sommes le plus grand concurrent de La Poste pour livrer des colis, dans nos points Mondial Relay par exemple, qui créent de l'activité en centre-ville. Une fois qu'une personne a commandé sur un site, elle peut aller dans un point Mondial Relay et trouver son produit. Ces points sont généralement tenus par de petits commerçants qui sont très heureux de cet apport de trafic. Nous jouons ainsi un rôle social d'animation des centres-villes.

Deuxièmement, nous sommes aussi dans la logistique. Nous avons créé le plus grand centre de traitement de commandes en France. On entend beaucoup parler des sites qui ont été créés par Amazon avec l'aide du Gouvernement. J'ai trouvé cela surprenant car nous avons pour notre part investi sur nos fonds propres.

Cette mutation vers l'e-commerce et les services est engagée depuis 4 ans. Nous avons investi plus de 100 millions d'euros en logistique sur nos fonds propres et plus de 100 millions d'euros en informatique, sur nos fonds propres également. Sur la formation, qui est très importante pour accompagner les personnes qui sont confrontées à ces mutations, 100 000 jours-homme de formation sur trois ans ont été dégagés pour 7 000 personnes. Chaque employée de notre groupe a été formée plus d'une semaine par an depuis trois ans. Nous travaillons beaucoup sur la formation, et aimerions former encore plus, mais nous sommes limités par les moyens.

Pourquoi ce changement ? Et pourquoi les actionnaires ont-ils remis de l'argent au pot, comme l'on dit ? J'ai d'ailleurs bloqué les dividendes pendant 3 ans pour permettre ces investissements. Tout d'abord pour donner un avenir à notre entreprise. Nous avons la chance d'avoir une entreprise qui vit depuis plus de 80 ans, qui a une expérience humaine, sur un projet partagé. Il était de notre responsabilité d'accompagner nos employés dans cette mutation. Deuxièmement, pour maintenir l'emploi dans le Nord. Je ne suis pas ch'ti : j'ai été adopté par le Nord. Dans la région, 20 à 30 % des emplois sont dans ce secteur ; c'est une terre très fertile de l'e-commerce. Ensuite, pour ne pas se laisser dépasser par les concurrents étrangers, il est important que la France développe des acteurs puissants dans l'e-commerce. Nous avons parlé de Criteo, et venteprivee.com est également un bon exemple. Ce sont des acteurs européens mondialement connus, mais ils sont trop peu nombreux. Si l'on regarde quels sont, aujourd'hui, les premiers e-commerçants en France, le premier, Amazon, n'est pas français ; Priceminister, qui est une perle française, a été rachetée par le japonais Rakuten ; le groupe 3SI a été racheté par le groupe allemand Otto. Le marché de l'e-commerce n'est plus français ; il est européen, si ce n'est mondial. On ferait une erreur en croyant que le marché domestique suffit.

Quelle est notre vision de l'e-commerce dans le groupe ? Premièrement, nous faisons le constat de l'explosion de l'e-commerce. Le secteur représente 140 000 sites, qui ont créé 20 000 nouveaux emplois chaque année. En revanche, une étude que nous avons menée a montré que si les vingt premiers sites en France gagnaient 100 millions d'euros il y a trois ans, ils ont perdu 100 millions d'euros l'an dernier. Il faut donc faire attention à maintenir l'emploi.

Deuxièmement, ces mutations sont-elles voulues ou subies ? Nous pensons que nous n'avons pas le choix car des forces très puissantes s'exercent avec la mondialisation. Des acteurs internationaux viennent en France, et le marché de l'e-commerce est mondial. Si nous ne développons pas des sociétés françaises d'e-commerce, eux le feront à notre place et contre nous. De plus, les évolutions technologiques sont extrêmement rapides. Monsieur le président, vous disiez que la loi est souvent en décalage par rapport aux évolutions technologiques. Aujourd'hui, on ne se rend pas compte de ce que ces évolutions engendrent.

Troisièmement, il y a un changement dans les aspirations des consommateurs.

Ces trois événements forcent la croissance de l'e-commerce, qu'on le veuille ou pas. L'e-commerce est devant nous : nous ne venons de terminer que le premier chapitre du livre de l'e-commerce.

Par ailleurs, chez les grands de l'e-commerce dans le monde, un équilibre apparaît entre l'e-commerce et les services. Monsieur le président, vous souleviez la question de savoir si les e-commerçants vont également développer des services. Aujourd'hui, les grands ont développé à la fois des activités de commerce et de services : Amazon avec Amazon Web Services, eBay, avec GSI qui s'est rebaptisé ebay Services, Rakuten, qui, après avoir racheté en France Priceminister, a racheté ADS, qui fait de la logistique, et notre groupe, qui est présent en commerce et en services.

Enfin, les textes législatifs ne peuvent suivre les changements très rapides qui interviennent dans le commerce. Il est vraiment important que vous, qui êtes au coeur de ces problématiques, puissiez connaître au mieux ces évolutions. On voit comment Uber a mis en difficulté les taxis et les VPC en France, alors que cette société n'existait pas sur notre territoire il y a seulement 2 ans ! Voici une profession qui, en deux ans, est en train d'être balayée. Il est donc important que nous puissions venir témoigner devant vous de ces évolutions.

En troisième lieu, l'enjeu humain. Je peux en parler personnellement, ayant connu une mutation très grande dans notre groupe. Il y a vingt ans, l'employé moyen dans notre groupe pouvait passer vingt ans dans le groupe à répondre au téléphone ou remplir sur un ordinateur des fiches qui étaient envoyées par courrier. Aujourd'hui, cette personne a dû changer de rôle. Il y a donc un enjeu humain très fort. On parle de ces enjeux humains devant des catastrophes, et il est vrai que certains groupes ont connu des difficultés. D'autres groupes essayent de les accompagner : c'est notre engagement.

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