La dispersion des sacs en plastique dans l'environnement est un véritable fléau, en particulier pour les écosystèmes marins, avec un impact sanitaire et économique indirect important. J'ai déjà eu l'occasion de vous exposer le problème dans le détail, en présentant devant notre Commission, le 18 décembre dernier, un rapport d'information sur les déchets marins, dont les conclusions ont été adoptées à l'unanimité. Il s'agissait alors de répondre à une consultation publique de la Commission européenne.
Environ 10 millions de tonnes de particules de plastique se retrouvent chaque année dans les mers et les océans de la planète. Elles proviennent pour une large part des sacs plastiques. En 2010, près de 1 000 milliards d'unités ont été produites dans le monde, dont 90 % de sacs plastiques légers, c'est-à-dire d'une épaisseur inférieure à 50 microns, destinés à un usage unique. Pas moins de 8 milliards d'entre eux ont été rejetés dans l'environnement, hors de toute démarche de traitement, polluant les sols, les eaux et échouant bien souvent dans les mers et les océans.
Ces détritus posent particulièrement problème, dans la mesure où la dégradation des polymères dont ils sont constitués conduit à leur fragmentation en microdéchets, morceaux de moins de 5 millimètres à la durée de vie extrêmement longue, de l'ordre de plusieurs siècles.
La nocivité des sacs en plastique légers à poignées est due aux propriétés mêmes qui ont fait leur succès commercial : leur fragilité et leur gratuité, conséquence de leur faible coût de production, incitent à ne pas les réutiliser ; leur légèreté facilite leur dissémination dans l'environnement ; leur résistance à la dégradation renforce leur nocivité pour les écosystèmes.
Au final, ils contribuent à hauteur des trois quarts à l'élargissement des gigantesques plaques de déchets qui flottent dans les océans Atlantique et Pacifique, entraînant pour les espèces marines des risques d'étranglement, d'ingestion et d'intoxication. Outre ces « continents de plastique », le problème devient également grave aux larges des côtes européennes : sur les côtes orientales de la Méditerranée, dans le golfe de Gascogne, dans le canal de Sicile, en mer du Nord et en mer Celtique.
J'ajoute qu'environ 70 % des sacs plastiques à poignées à usage unique sont fabriqués en Asie, généralement en Chine.
En 2010, la Commission européenne évaluait à 198 le nombre de sacs en plastique à poignées à usage unique consommés en moyenne par chaque citoyen européen, sachant que leur usage varie énormément d'un État membre de l'Union européenne à l'autre : un Danois ou un Finlandais en consomme seulement un par trimestre ; un Polonais, un Hongrois, un Slovène, un Slovaque, un Chypriote ou un Portugais plus d'un par jour ; un Français, avec une utilisation de 90 unités par an, se situe sous la moyenne communautaire.
Aux termes de la directive « emballages et déchets d'emballages » de 1994, l'Europe considère les sacs en plastique à poignées comme des emballages. Si l'Union européenne ne s'est pas encore dotée de législation spécifique concernant ces produits, presque tous les États membres ont, avec des résultats variables, mis en oeuvre des politiques publiques visant à en réduire l'utilisation, en adoptant des stratégies différentes : imposer des mesures tarifaires ; passer des accords avec le secteur du commerce de détail ; mener des campagnes de sensibilisation.
Douze États membres ont même déjà légiféré. Le Danemark a instauré une taxe dès 1994. Le prélèvement en vigueur en Irlande, passé de 15 centimes par unité à son introduction, il y a une dizaine d'années, à 50 centimes aujourd'hui, a fait chuter la consommation de plus de 95 %. Quant à l'Italie, elle a purement et simplement retiré du marché les sacs en plastique à usage unique le 1er janvier 2011.
En France, les sacs de caisse à usage unique en matière plastique sont intégrés dans l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes depuis le 1er janvier 2014. Le taux de la taxe a été fixé à 10 euros par kilogramme, soit environ 6 centimes par sac plastique. En sont exemptés les sacs plastiques prétendument biodégradables, c'est-à-dire constitués d'un minimum de 40 % de matières végétales en masse.
De son côté, le conseil Environnement, lors de sa réunion du 14 mars 2011, a invité la Commission européenne à étudier d'éventuelles actions à l'échelle communautaire.
Sur la base d'un livre vert, la Commission européenne a organisé, au printemps 2013, une consultation publique relative au cycle de vie des produits plastiques et aux possibilités de réduction de l'incidence des déchets plastiques sur l'environnement, au terme de laquelle ont été recueillies 270 réponses. La proposition de directive dont il est question aujourd'hui constitue la première piste de réponse législative.
Présentée en novembre 2013, elle tend à amender l'article 4 de la directive « emballages et déchets d'emballages », relatif à la prévention. Celui-ci, qui a pour objet de prévenir et de réduire les incidences des emballages et des déchets d'emballages sur l'environnement, ne prévoit pourtant pas, dans sa rédaction actuelle, de mesures spécifiques pour les sacs plastiques.
La Commission européenne affiche la volonté de faire baisser la consommation de sacs plastiques à usage unique, mais en laissant aux États membres le choix entre trois types de stratégies : recherche d'objectifs de réduction ; adoption d'instruments de tarification ; restrictions à la commercialisation.
Chaque pays aurait donc la liberté de choix des moyens, pour peu qu'il puisse faire état de résultats dans un délai de deux ans, faute de quoi la Commission européenne serait conduite à renforcer l'harmonisation.
En présentant le texte, le commissaire chargé de l'environnement, Janez Potočnik, a souligné qu'il « fait obligation à tous les États d'adopter des mesures, tout en leur donnant de la souplesse ». De fait, il ne s'agit ni d'une boîte à outil réglementaire commune, ni d'un texte assignant un objectif chiffré contraignant. En l'état, ce texte ne constituerait qu'une déclaration d'intention ; il produirait autant d'effet qu'un coup d'épée dans l'eau.
Dès le premier échange de vue au Conseil environnement, le 13 décembre 2013, à Bruxelles, la plupart des ministres ont jugé le texte bienvenu tout en regrettant le manque d'ambition, perceptible à travers l'absence d'objectifs concrets et d'approche unifiée à l'échelle de tout le marché intérieur. À ce stade, le Conseil n'a toutefois pas adapté de position commune.
C'est donc le Parlement européen qui est passé aux actes, en amendant sérieusement le texte, le 16 avril 2014, lors de son examen en première lecture, dans la droite ligne d'une résolution réclamant une stratégie sur les déchets plastiques adoptée en début d'année. Ses propositions ont été adoptées par une large majorité de 539 voix pour, 51 contre et 72 abstentions.
Premièrement, un objectif quantitatif de réduction d'au moins 50 % d'ici à 2017 et d'au moins 80 % d'ici à 2019 par rapport au niveau de 2010 serait fixé.
Deuxièmement, d'ici à 2017, les opérateurs économiques vendant des produits alimentaires devraient faire payer les sacs en plastique légers à poignées à un tarif « efficace et proportionné » ; les opérateurs économiques vendant des produits non alimentaires seraient incités à en faire de même. On peut s'étonner de ce traitement différencié entre produits alimentaires et non alimentaires, d'autant que, pour les seconds, l'utilité des sacs légers est vraiment sujette à caution. Je vous proposerai donc de recommander une tarification obligatoire pour tous les secteurs de la distribution.
Troisièmement, les sacs en plastique très légers à poignées, d'une épaisseur inférieure à 10 microns, utilisés pour l'emballage d'aliments secs, en vrac ou non conditionnés, comme les fruits, les légumes ou la confiserie, seraient exonérés de cette mesure de tarification obligatoire. Leur utilisation contribue en effet à prévenir le gaspillage alimentaire, en permettant au consommateur d'acheter la quantité exacte dont il a besoin, au lieu d'une quantité fixe déjà emballée. Cependant, conscients de la dangerosité de ces sacs pour l'environnement, les députés européens préconisent leur remplacement par des produits fabriqués à partir de papier recyclé ou par des produits en plastique biodégradable et compostable ; à cet effet, ils fixent un objectif quantitatif de réduction d'au moins 50 % d'ici à 2017 et d'au moins 100 % d'ici à 2019 par rapport au niveau de 2010.
Quatrièmement, d'ici à 2017, la concentration des substances cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction ou perturbatrices endocriniennes devraient être contenue sous 0,01 %. En outre, les matières plastiques oxo-fragmentables seraient prohibées. S'agissant du point particulier des perturbateurs endocriniens, le texte de l'amendement est contradictoire avec l'exposé des motifs proposé par le Parlement européen : en accord avec les connaissances scientifiques en la matière, il y est indiqué que les substances induisant des perturbations endocriniennes « devraient être totalement interdites dans les sacs en plastique », destinés à contenir des produits alimentaires. Je vous suggèrerai donc d'appeler à une modification en ce sens de la rédaction de la directive « emballages et déchets d'emballages » de 1994.
Cinquièmement, en sus des mesures de tarification, le maintien ou l'introduction de restrictions à la commercialisation, allant jusqu'à l'interdiction, demeurerait possible, sous réserve que ces mesures ne constituent « ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée aux échanges entre les États membres ». Il s'agit de couper court aux poursuites que les pays adoptant de telles dispositions seraient susceptibles d'encourir, pour entrave à la libre circulation des marchandises ou discriminations entre types de sacs, à l'instar de l'Italie aujourd'hui.
Je vous propose donc, à titre de conclusions, d'approuver la démarche initiée par la Commission européenne, tout en soutenant les positions contraignantes mais réalistes et équilibrées du Parlement européen, afin de conférer à la proposition de directive un réel poids normatif. Je vous suggère enfin de préconiser, en complément, l'application du régime de tarification obligatoire aux opérateurs économiques commercialisant des produits non alimentaires et l'interdiction de la présence de perturbateurs endocriniens dans les sacs plastiques à usage unique.