L'Albanie, actuellement encore État « candidat potentiel » à l'adhésion à l'Union européenne – depuis le sommet européen de Thessalonique de juin 2003 –, a déposé sa demande officielle d'adhésion en 2009.
Elle espérait obtenir le statut d'« État candidat » à l'adhésion à l'Union européenne lors du Conseil européen de décembre 2013. Elle avait de bonnes chances de voir ce souhait se réaliser, dans la mesure où le rapport annuel de suivi de la Commission européenne, publié le 16 octobre 2013, se prononçait en ce sens, au vu des progrès de l'Albanie au cours de l'année 2013 et du déroulement globalement satisfaisant des élections législatives au mois de juin.
Toutefois, le Conseil européen de décembre 2013 a décidé de repousser à juin 2014 sa décision sur l'octroi du statut d'État candidat à l'Albanie.
C'est pourquoi il m'a semblé important que notre Commission s'intéresse aujourd'hui plus particulièrement à ce pays.
Je rappellerai simplement aujourd'hui – en vous renvoyant à ma communication écrite beaucoup plus complète – que les élections législatives du 23 juin 2013 ont débouché sur la victoire de la coalition de gauche menée par le Parti socialiste.
Auparavant, depuis les législatives de 2009, l'Albanie était plongée dans une profonde crise politique. Sans rentrer dans les détails, je vous précise que cette période d'instabilité est fort heureusement révolue. Le nouveau Parlement s'est réuni à partir de septembre 2013, date à laquelle le nouveau Gouvernement formé par M. Edi Rama, Premier ministre, est entré officiellement en fonction.
Dans son rapport de suivi d'octobre 2013, la Commission européenne souligne, s'agissant des critères économiques, que l'Albanie a continué à progresser sur la voie d'une économie de marché viable. Elle devrait être en mesure, à moyen terme, de faire face aux pressions concurrentielles et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union, à condition d'accélérer ses réformes structurelles.
Certes le taux de chômage et le déficit budgétaire sont restés élevés. L'Albanie, souligne le rapport d'octobre 2013, devra donc remédier à ses niveaux encore trop élevés de déficit budgétaire et de dette publique. Néanmoins, la Commission relève également que l'Albanie a préservé sa stabilité macroéconomique. Malgré un ralentissement, la croissance du PIB est restée positive en particulier grâce à la demande extérieure.
J'en viens à l'évolution récente des relations avec l'Union européenne.
Dans la foulée des élections législatives, le 26 juin 2013, le commissaire européen à l'Élargissement M. Stefan Füle a particulièrement salué l'inclusion de l'intégration européenne en tête des programmes des partis de la coalition.
Dans sa déclaration, Stefan Füle a également rappelé que les huit dernières années ont été une période de réformes importantes et de croissance économique.
Au vu de ses progrès, la Commission européenne avait recommandé dès le 10 octobre 2012 que l'Albanie obtienne le statut d'État candidat, mais à condition qu'elle réforme encore certains domaines clés : c'est pourquoi son rapport de suivi d'octobre 2013 était particulièrement attendu.
Or le rapport de suivi de la Commission européenne d'octobre 2013 a donné une indication très positive sur les chances de l'Albanie d'obtenir à court terme le statut de candidat à l'adhésion à l'Union européenne.
Dans ce dernier rapport de suivi, la Commission constate notamment :
– que les élections législatives de juin 2013 ont été menées globalement d'une manière « harmonieuse et ordonnée » ;
– que Tirana a continué à mener les réformes liées aux principales priorités fixées par la Commission en 2010 ;
– qu'ont été prises les premières mesures pour améliorer l'efficacité des enquêtes et des poursuites dans la lutte contre le crime organisé et contre la corruption ;
– qu'ont été également prises, entre autres, des mesures de réforme de l'administration publique et de réforme des règles de procédure du Parlement ;
– qu'ont été prises des mesures pour lutter contre les discriminations.
La Commission ajoute néanmoins que « des efforts supplémentaires et soutenus seront nécessaires pour se conformer pleinement aux critères politiques ».
Son rapport du 16 octobre 2013 souligne également que pour que des négociations d'adhésion soient ultérieurement ouvertes, l'Albanie devra encore progresser, en répondant à d'autres priorités essentielles.
Néanmoins, avant cette éventuelle étape ultérieure qui nécessitera de nouveaux examens, est recommandé à nouveau par la Commission l'octroi du statut de pays candidat, « étant entendu que l'Albanie continue à prendre des mesures dans la lutte contre le crime organisé et la corruption ». Le rapport note en effet avec satisfaction que le gouvernement albanais a fait montre d'une grande détermination à lutter contre la corruption et a donné la priorité à cette question dans son programme.
Par ailleurs, dans une résolution du 12 décembre 2013, le Parlement européen, lui aussi, a invité le Conseil « à reconnaître les progrès réalisés par le pays en lui octroyant sans retard injustifié le statut de pays candidat ».
Le Parlement français ne peut pour sa part que se féliciter de l'attitude très positive de l'Albanie : le jumelage européen entre le Kuvendi (le Parlement monocaméral albanais), l'Assemblée nationale et le Sénat français, a permis un renforcement très significatif de la coopération interparlementaire entre la France et l'Albanie, qui était en sommeil depuis quelques années.
D'une durée de 18 mois, ce jumelage parlementaire a donné lieu à plus de 60 missions d'experts de l'Assemblée nationale au titre des cinq composantes du projet : le rapprochement de la législation avec l'acquis communautaire, le renforcement de la commission de l'intégration européenne, le renforcement des capacités de contrôle des commissions permanentes, la communication et l'information sur les activités du Parlement, la gestion des finances et des ressources humaines du Parlement. Le Sénat, pour sa part, a envoyé 20 missions d'experts.
Les cérémonies officielles de clôture de ce jumelage ont eu lieu à Tirana les 4 et 5 juin 2013, en présence de Mme Viviane Le Dissez, Présidente du groupe d'amitié France-Albanie, dont je salue la présence parmi nous aujourd'hui.
Il serait dommage que tout ce travail de coopération parlementaire ne soit pas aujourd'hui reconnu : il serait donc bienvenu que, dans son prolongement logique, le statut de pays candidat soit octroyé à l'Albanie.
Au second semestre 2013, les nouvelles autorités dirigeantes albanaises ont continué à prendre des contacts avec le Parlement français, pour l'assurer de leur détermination à poursuivre les efforts en cours.
Ainsi, notre Commission a reçu en audition, lors de sa réunion du 5 novembre 2013, M. Ditmir Bushati, ministre albanais des Affaires étrangères, et Mme Klajda Gjosha, ministre albanaise de l'Intégration européenne. J'ai également reçu, avec mon collègue Jérôme Lambert en sa qualité de vice-Président de notre Commission, M. Ilir Meta, Président du Parlement d'Albanie, le 10 décembre 2013. La veille, notre collègue Pierre Lequiller l'avait rencontré lors d'un déjeuner organisé à l'Assemblée nationale, à l'issue d'une entrevue avec le Président Bartolone.
Au cours de notre entretien du 10 décembre dernier, le Président du Parlement albanais a notamment souligné que, même si l'octroi du statut de pays candidat n'est qu'un premier pas, il aura incontestablement un effet favorable sur toute la région des Balkans, envoyant un signal positif, dans leur démarche de réformes, à des États tels que la Serbie, le Monténégro ou la Macédoine.
Dans ces conditions, pourquoi le Conseil européen a-t-il préféré, en décembre 2013, repousser à juin 2014 sa décision, sur la base d'un nouveau rapport de la Commission ?
L'octroi du statut dès décembre, qui requérait l'unanimité, s'est en fait heurté à la réticence de certains États estimant qu'il y avait « besoin d'un long parcours surveillé » (selon l'expression du ministre danois des affaires européennes), avant d'accorder le statut de candidat. Parmi les États ayant finalement préféré temporiser figurent la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Les Pays-Bas ont joué un rôle déterminant dans le refus du statut, dans la mesure où leur Parlement a adopté le 12 décembre une résolution défavorable.
À l'inverse, huit États avaient fait part dès décembre de leur « soutien total à une décision positive » dans une lettre adressée à la Haute représentante, Mme Catherine Ashton, ainsi qu'à la présidence lituanienne. Il s'agissait de l'Autriche, la Bulgarie, la Croatie, l'Estonie, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie et de la Slovénie.
Ces divergences illustrent toute la difficulté de la politique d'élargissement : même le simple octroi du statut de pays candidat, étape très en amont d'une éventuelle future adhésion, est en effet soumis à la règle de l'unanimité.
J'estime qu'il pourrait être décourageant pour l'Albanie de se voir à nouveau refuser en juin 2014 le statut d'État candidat, étant rappelé qu'il ne s'agit que d'une première étape visant à encourager la poursuite des réformes, mais que pour autant il ne s'agit pas du tout de fixer une date d'ouverture des négociations en vue de l'adhésion, comme cela fut le cas par exemple en juin 2013 pour la Serbie. L'éventuelle fixation d'une date d'ouverture des négociations sera une étape ultérieure, qui sera assortie de nouvelles exigences posées par l'Union européenne.
Soulignons qu'au premier semestre 2014 l'Albanie semble avoir continué à donner satisfaction, sur cette voie européenne. Ainsi, le 3 avril 2014, à l'issue d'une rencontre avec le Premier ministre Edi Rama, le commissaire à l'Élargissement, Stefan Füle, a réitéré sa conviction que l'Albanie sera capable de faire face au processus d'adhésion. Plus récemment, il a réaffirmé son optimisme.
La présidence grecque, pour laquelle cette question est une priorité, a confirmé le 13 mai qu'elle allait travailler à l'élaboration d'une position unanime des États membres d'ici fin juin.
Rappelons que notre Commission des affaires européennes s'est jusqu'à présent toujours déclarée favorable à une perspective d'intégration à terme de tous les pays des Balkans occidentaux, dès lors bien entendu qu'ils répondent aux critères requis. Ainsi, le 11 juin 2013, nous avions adopté, pour la Serbie, des conclusions favorables à l'ouverture des négociations en vue de l'adhésion, et le Conseil européen de fin juin en avait fixé la date.
Dès lors, à quoi sert aujourd'hui de reconnaître les efforts et progrès accomplis par l'Albanie, si c'est pour repousser indéfiniment son accession au simple statut d'« État candidat » ? Un nouveau report risque au contraire de décourager la nouvelle équipe pro-européenne arrivée au pouvoir il y a un an…De plus, il serait malvenu pour l'UE de décourager les aspirations européennes d'un pays de son voisinage très proche, à l'heure où elle a compris qu'il lui fallait soutenir les tentatives de rapprochement des pays plus lointains du Partenariat Oriental.
D'ailleurs, la création de notre groupe de travail « Proximité orientale » répond également à ce souci de repenser de façon un peu plus « pro-active » notre politique vis-à-vis de nos proches voisins de l'Est.
Rappelons en outre que l'Albanie est depuis 2009 déjà membre de l'OTAN, à la différence des autres États candidats des Balkans.
Une nouvelle temporisation ne semblerait en réalité justifiée que si le nouveau rapport de la Commission revenait sur l'avis favorable précédemment exprimé, pour des raisons particulières à ce stade imprévisibles. Or, ce nouveau rapport ne sera probablement présenté qu'en juin 2014, juste avant le Conseil européen des 26 et 27 juin.