À l'issue de la Conférence environnementale de septembre 2012, le Gouvernement avait annoncé, près de quarante ans après l'adoption de la loi de protection de la nature, un projet de loi englobant toutes les problématiques relatives à la biodiversité. Ce texte a enfin été présenté en conseil des ministres et déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 26 mars 2014.
Si sa conception a été aussi longue, c'est notamment parce que le ministère de l'écologie a mené un vaste travail de concertation préalable avec les différentes parties prenantes, par le biais de débats régionaux et en associant le Conseil national de la transition écologique.
Il en résulte un texte complet et équilibré, dont l'objectif affiché est, en posant de nouveaux principes fondamentaux, de renouveler la vision de la biodiversité, des services qu'elle rend à l'homme et des actions qui doivent contribuer à sa protection et à sa restauration.
Eu égard aux enjeux inhérents à la préservation de la biodiversité et de la richesse des actions et des réflexions menées à l'échelon européen sur ce sujet, il a semblé utile à la Commission des affaires européennes de participer aux débats sur ce projet de loi, à travers un rapport d'information pour observations, en application de l'article 151-1-1 de notre règlement.
Ce rapport d'information s'attache à mettre en évidence la synergie entre les politiques nationales et européennes, mais aussi à formuler des pistes d'amélioration du projet de loi, qui seront soumises à la sagacité des membres de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, saisie au fond.
En Europe comme partout dans le monde, l'extinction des espèces naturelles n'a jamais été aussi rapide : elles disparaissent à un rythme 100 à 1 000 fois plus élevé que la normale ; seulement 17 % des habitats et des espèces et 11 % des écosystèmes protégés par la législation européenne se trouvent dans un état favorable. Ce phénomène, principalement imputable à des facteurs humains, a des effets sur de multiples fonctions écosystémiques.
Avec le changement climatique, la perte de biodiversité constitue manifestement la menace environnementale la plus critique à l'échelle planétaire, entraînant des pertes substantielles en termes de performances économiques, de bien-être social et de qualité de la vie. Outre sa valeur intrinsèque, la biodiversité est en effet indispensable au développement durable, dans la mesure où elle conditionne la fourniture de biens et de services essentiels, par exemple la nourriture ou la séquestration du carbone.
L'Union européenne s'attache depuis plus de dix ans à conduire une stratégie d'ensemble pour préserver la biodiversité et peut faire état d'un réel acquis tant en termes d'arsenal réglementaire que d'actions concrètes.
Son réseau Natura 2000, instauré en 1992, est aujourd'hui le maillage le plus dense de zones protégées du monde, avec 27 000 sites écologiques, dont 1 753 en France. Il inclut pas moins de 18 % du territoire communautaire. Ces sites, rappelons-le, ne sont pas des réserves naturelles mais les activités humaines qui y sont exercées doivent être durables et s'abstenir de menacer les espèces et habitats rares et vulnérables.
Ce dispositif phare a été complété, dans les années 1990 et 2000, par des textes sectoriels concernant la conservation des oiseaux sauvages, la protection des espèces de faune et de flore sauvages menacées, la préservation du milieu marin ou encore la gestion de l'eau.
Les résultats en demi-teinte de ces textes, dus à des lacunes intrinsèques et, parfois, aux déficiences de leur mise en oeuvre par les États membres, ont cependant amené l'Union européenne à se doter, en mai 2011, d'une stratégie ad hoc inscrite dans le dessein Europe 2020, inspirée des travaux de la 10e Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, dite « Conférence de Nagoya ».
Cette stratégie fixe six objectifs à l'horizon 2020 : conserver et régénérer la nature en mettant pleinement en oeuvre la législation existante ; préserver, améliorer et rétablir les écosystèmes et leurs services ; renforcer la contribution de l'agriculture et de la foresterie au maintien et à l'amélioration de la biodiversité en assurant leur durabilité ; garantir l'utilisation durable des ressources de pêche ; lutter contre les espèces allogènes envahissantes ; gérer la crise de la biodiversité au niveau mondial.
La démarche s'est traduite, en trois ans, par la multiplication d'initiatives positives.
Des réflexions ont été conduites en vue de mieux mettre en oeuvre les directives liées à la biodiversité, grâce à une optimisation des modalités de financement et de gestion des actions qu'elles prévoient.
Deux initiatives concrètes ont été lancées ces jours derniers : l'une, baptisée MAES, pour établir une cartographie européenne de la biodiversité ; l'autre, B4Life, pour aider les pays les plus pauvres de la planète à protéger leurs écosystèmes et à lutter contre la criminalité environnementale.
Par ailleurs, l'instrument de financement LIFE+, dont l'un des trois volets thématiques vise expressément la conservation et la restauration de la nature et de la biodiversité, a été prorogé pour la période de programmation budgétaire 2014-2020.
Enfin, trois textes législatifs emblématiques sont en cours d'adoption par les colégislateurs européens : la mise en oeuvre du protocole de Nagoya relatif à l'accès aux ressources génétiques et au partage des avantages qui en découlent, ou APA, à propos duquel j'ai rédigé un rapport d'information en novembre 2012 ; un instrument spécifique concernant les espèces exotiques envahissantes, qui a fait l'objet, en novembre 2013, d'une communication de notre collègue Arnaud Leroy ; un acte portant adhésion à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d'extinction, ou CITES.
Il ne faut pas oublier non plus la dimension biodiversité des politiques agricoles. En la matière, notre Commission est intervenue sur trois dossiers majeurs : la politique agricole commune post-2013, qui prévoit notamment le verdissement de 30 % des paiements directs, à propos de laquelle nous avons, avec Hervé Gaymard, rendu un rapport d'information en avril 2013 ; la préservation des abeilles face au danger mortel des pesticides, sujet sur lequel je vous ai rendu un autre rapport, en mars 2013 ; l'encadrement des organismes génétiquement modifiés, qui a fait l'objet d'une communication de ma part, en novembre 2013.
Après cette présentation du panel des politiques européennes en matière de biodiversité, que notre Commission se doit de mettre en avant, j'en viens à l'analyse du projet de loi, qui sera débattu le 10 juin en Commission du développement durable et à partir du 17 juin en séance publique.
Sur chacune des six parties, je vous présenterai les dispositions clés et je vous dirai sur quels points, de mon point de vue, des améliorations sont encore susceptibles d'être apportées.
Le titre Ier du projet de loi vise à faire évoluer les grands principes structurant la politique de conservation et de restauration de la biodiversité, notamment en ajoutant les concepts de « processus biologiques » et de « biodiversité », en instituant le principe de « solidarité écologique » entre territoires et en mentionnant les « continuités écologiques ».
Les principes de mieux-disant environnemental, de non-régression du droit de l'environnement et de compensation pourraient également être cités.
En outre, par souci de clarté, l'adjectif « systémique » pourrait être ajouté à la notion de « services ».
Le titre II unifie la gouvernance des politiques en faveur de la biodiversité en créant : une instance de concertation, le Comité national de la biodiversité, ou CNB ; une instance d'expertise, le Conseil national de protection de la nature, ou CNPN.
Les modalités de fonctionnement et la composition de ces instances sont renvoyées à un décret. Le texte pourrait tout de même tracer quelques lignes d'action, notamment en matière de saisine, mais aussi préciser la composition du CNB en collèges et les modalités de sa déclinaison en région.
La composition des instances de concertation liées à toutes les politiques publiques impactant la biodiversité pourrait être revue au passage, en impliquant systématiquement les acteurs de la société civile oeuvrant dans la défense de l'environnement.
Le titre III dote la France d'un opérateur fusionnant plusieurs structures existantes, baptisé Agence française pour la biodiversité, ou AFB, qui sera chargé : d'organiser la connaissance en matière de biodiversité ; de sensibiliser les Français ; de participer à la formation et à l'information des acteurs ; de soutenir financièrement des projets de restauration des milieux.
Il semble indispensable d'intégrer l'Office national de la chasse et de la faune sauvage dans l'AFB, afin de renforcer le volet terrestre du champ d'action du nouvel organisme. Son maintien hors de la nouvelle structure, au contraire de tous les autres établissements publics nationaux qui oeuvrent principalement dans des champs interagissant avec la biodiversité, ne serait justifié par aucune raison objective.
La composition du conseil d'administration de l'AFB devrait être sérieusement réexaminée car elle est déséquilibrée à plusieurs égards.
Il importe de supprimer la référence aux préfets comme autorités de mise en cohérence de la politique de la biodiversité, afin qu'ils ne soient pas imposés comme les responsables régionaux ou départementaux de l'AFB.
Enfin, pour être en mesure d'accomplir l'intégralité de ses missions, l'AFB devra être doublée de représentations déconcentrées sur les territoires, être dotée de moyens budgétaires suffisants et bénéficier du soutien des autorités politiques.
Le titre IV crée un régime national d'APA, en tenant compte à la fois de l'exceptionnelle richesse du territoire français – particulièrement outre-mer – en matière de ressources génétiques et du poids dans l'économie nationale de secteurs utilisateurs de premier ordre comme les industries agroalimentaire, pharmaceutique ou cosmétique.
Il est prévu que les procédures d'application s'appliquent à « toute nouvelle utilisation » de ressources génétiques. Les caractéristiques de ces nouvelles utilisations pourraient être utilement précisées.
Pour que le projet de loi ne soit pas moins-disant par rapport au protocole de Nagoya, la place accordée aux communautés d'habitants pourrait être renforcée à chacune des étapes du processus d'APA, particulièrement celle de l'autorisation pour l'accès aux ressources génétiques et celle de l'autorisation pour l'utilisation des connaissances traditionnelles associées.
La mise en oeuvre du processus d'APA n'est pas envisagée pour les zones transfrontalières. Des règles supplémentaires pourraient être définies en la matière.
Par ailleurs, afin de lutter contre la délocalisation de la « biopiraterie », il serait souhaitable de soumettre à des contraintes supplémentaires les entreprises françaises utilisant des ressources génétiques et savoirs traditionnels à l'étranger.
Le titre V modernise les outils de protection des espaces naturels et des espèces sauvages : en facilitant l'action des parcs naturels régionaux et des établissements publics de coopération environnementale ; en adoptant de nouvelles mesures foncières ; en renforçant l'action sur le milieu marin et le littoral ; en aggravant les sanctions en cas d'atteinte à l'environnement ; en simplifiant les schémas territoriaux.
L'alignement de la durée des chartes des parcs naturels régionaux sur celle des parcs nationaux – quinze ans au lieu de douze – devrait s'accompagner d'un parallélisme des formes en termes de gouvernance, avec la mise en place d'un comité scientifique et d'un conseil économique, social et culturel.
Il n'y a pas lieu de maintenir les possibilités d'affichage de publicités dans les parcs naturels régionaux ; il convient au contraire de faire respecter une interdiction totale.
La gestion possible des réserves naturelles nationales ou régionales comprenant une partie maritime par des comités de pêches ou de conchyliculture pose problème, car l'objectif de préservation de la biodiversité commande de ne la confier qu'à des structures désintéressées et disposant de réelles compétences en matière environnementale.
Il serait bienvenu de généraliser en droit français la notion de devoir de diligence raisonnée des opérateurs économiques, déjà applicable pour ce qui concerne le commerce du bois.
Compte tenu de l'étendue du champ des autorisations à légiférer par ordonnance, les mesures envisagées par le Gouvernement pourraient être préalablement soumises pour avis au Conseil national de la transition écologique.
Le titre VI renouvelle l'approche du paysage, dans l'esprit de la Charte européenne du paysage : d'une part en passant d'une logique de protection des paysages remarquables à une prise en compte de tous les paysages ; d'autre part en considérant l'évolution des territoires au fil du temps, sous l'influence du milieu, des populations et des activités humaines.
Un atlas de la biodiversité pourrait être élaboré parallèlement à l'atlas des paysages.
Les critères de désinscription des sites classés dégradés de façon irréversible mériteraient d'être précisés. Des garanties pourraient également être apportées en ce qui concerne la procédure de désinscription, notamment l'association des parties prenantes.
L'abandon de la procédure d'inscription des sites est contestable car il s'agit d'un outil d'urgence efficace pour préserver des sites dans l'attente de trouver une solution de gestion répondant aux enjeux patrimoniaux et socio-économiques.
Peut-être conviendrait-il de substituer à la notion de sites inscrits celle d'espaces de continuité biologique, dans le but d'identifier et de protéger les espaces à forts enjeux, en transcendant les zonages actuels basés sur l'occupation du sol.
Un autre concept à creuser, absent du projet de loi, est celui des « zones de nature vierge » – c'est-à-dire des espaces à haute naturalité, très peu modifiés par les activités humaines –, promu par le Parlement européen.
Face à ce projet de loi progressiste, complet et bien équilibré, qui contient plusieurs avancées marquantes en faveur de la biodiversité, je vous propose, dans nos conclusions, de ne pas nous prononcer point par point mais d'en approuver le principe, l'architecture, les grandes orientations et l'essentiel des mesures du projet de loi, tout en faisant simplement état des réserves que je viens d'exprimer devant vous, en renvoyant à la lecture du présent rapport d'information.