Intervention de Serge Janquin

Réunion du 27 mai 2014 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Janquin :

Les recommandations de nos collègues, qui sont allés observer comment on perd le Nord à Bamako, me paraissent plutôt justes. Il y a néanmoins une faiblesse dans le raisonnement, car le problème ne se résume pas au Mali. Il s'étend de la Mauritanie jusqu'au Golfe de Guinée, avec les trafics de drogue et les enlèvements que l'on connaît, mais aussi avec les effets de la crise libyenne, dont la sortie a été mal gérée et qui a conduit à une diffusion d'armes dans toute la zone du Sahel. Boko Haram dispose ainsi de missiles sol-air de moyenne portée.

La situation est explosive de l'Est à l'Ouest. Chacun sait ce qui vient de se passer au Kenya. Quant à l'Ethiopie, le jour où la population musulmane y prendra le pouvoir, tout l'axe médian allant de l'Afrique blanche et arabe du Nord jusqu'à l'Afrique noire, chrétienne et animiste, sera déstabilisé. Il faut prendre le problème à cette échelle. Boko Haram n'est qu'un acteur parmi d'autres, avec AQMI, le MUJAO et la Séléka. Ils sont assurément peu coordonnés, mais tout de même solidaires, car leur stratégie est identique. Il s'agit de déstabiliser l'Afrique, dans une sorte de jeu de dominos.

Le pire est probablement à venir. L'immense frontière mauritanienne est une vraie passoire et les Mauritaniens, qui ont des intérêts à défendre au plan intérieur, ne sont pas pleinement engagés dans la lutte actuelle. Le Mali a servi de déversoir pour les djihadistes qu'on ne voulait pas garder dans le pays, même si les Algériens ont joué le jeu correctement dans la phase de conflit au Mali. Le Tchad est notre allié dans ce pays, mais son rôle est très contreproductif en Centrafrique. Le Soudan du Nord accueille des katibas près de Khartoum. Le Nigéria et le Cameroun entretiennent des relations exécrables, et le Nord du Cameroun ne peut pas être mis à l'abri de Boko Haram, pas plus que le Bénin.

Quand l'Union africaine saura-t-elle donc se mobiliser et se donner les moyens nécessaires pour gérer ces problèmes de sécurité intérieure en Afrique ? Quand l'Union européenne prendra-t-elle suffisamment en compte les intérêts de sa propre sécurité en adoptant une attitude concertée et homogène ? Enfin, quand l'ONU mesurera-t-elle l'effort qu'elle devrait consentir dans cette région de l'Afrique, au lieu d'envoyer 22 000 militaires au Sud Soudan pour soutenir un pays qu'elle a artificiellement créé contre toute logique ? Son effort au Mali et en Centrafrique reste très en deçà de ce qu'il faudrait.

Jean- Paul Dupré. Il n'est pas seulement question de l'avenir du Mali. Ce qui se passe en ce moment semble confirmer que la France n'a pas vocation à agir seule en tant que force armée. Il faut qu'il y ait des forces internationales sur le terrain.

Compte-tenu de tout ce qui a été dit précédemment, on peut se demander ce qu'il en est de l'avenir du Mali. Peut-on parler d'un risque majeur de partition entre le Nord et le Sud du pays ?

Jean Glavany. Il faut tout de même rappeler que l'objectif initial de la visite que le ministre de la défense devait faire la semaine dernière n'était pas seulement de mettre en place le nouveau dispositif BSS, mais de clore l'opération Serval et de fermer son état-major à Bamako. Cela a été empêché par les évènements de Kidal et donc reporté.

Au début de l'opération Serval, le Président de la République avait été accueilli triomphalement à Bamako. Aujourd'hui, il semblerait qu'il en serait peut-être autrement en raison d'un début de retournement de l'opinion. Qu'en est-il exactement ? On a entendu des propos de responsables politiques et de journalistes maliens et il y a eu des débuts de manifestions contre les militaires français. Quelle est l'exacte ampleur de ce phénomène ?

Sans prétendre égaler la clairvoyance de notre collègue Pierre Lellouche, depuis le début de cette intervention, nous étions nombreux à souligner le risque de partition et l'importance de la question touareg. Nous devons cependant faire une distinction. Le MNLA a été en collaboration avec AQMI mais il a également coopéré avec les forces françaises dans la lutte contre ce mouvement. Aujourd'hui, nous devons savoir si la collaboration du MNLA avec AQMI a repris ou si le MNLA peut être un allié ou une force neutre. Si le MNLA redevient un allié d'AQMI, alors il devient pour nous un adversaire alors qu'il a été plutôt un allié pendant l'opération Serval.

François Loncle. Jean Glavany a posé la question centrale de ce dossier. Il est exact que le MNLA a été dans certaines circonstances un allié. En revanche quand une partie de ce mouvement s'attaque au gouvernorat de Kidal, c'est insupportable. Il convient donc d'évaluer précisément le comportement de ce groupe.

Les manifestations anti-françaises au Mali, comme dans beaucoup de pays d'Afrique, varient d'un jour à l'autre. Là-bas, la presse écrite est très libre. Elle peut dire n'importe quoi et écrire ce qu'elle veut. Tout ça est un jeu. Ceux qui criaient « Vive la France » peuvent être ceux qui quarante-huit heures plus tard, sur tel ou tel évènement, vont dire « A bas la France », puis revenir à nouveau avec le drapeau français ultérieurement. Pierre Lellouche et moi avons averti les dirigeants maliens à ce sujet mais pour l'instant cela reste sporadique et relève davantage de l'effervescence. Nous avons été bien accueillis partout au Mali.

Concernant la séparation Nord-Sud, la zone sahélienne et le Mali tel qu'il est évoqué par Jean-Paul Dupré et Jacques Myard, je pense qu'il n'est pas possible d'imaginer l'indépendance de l'Azawad. Cela reviendrait à mettre le doigt dans un engrenage et à provoquer un désordre inouï en Afrique. On sait qu'il y a des incohérences dans le tracé des frontières et que la géographie commande l'histoire. Cependant, le peuple touareg n'aspire même pas à gouverner. C'est un peuple de commerçants. Quant au Sud Soudan, est-ce réellement un modèle à suivre ? Aujourd'hui, il faut un nombre considérable de soldats de l'ONU pour y éviter les tueries.

En ce qui concerne la stratégie de sortie, je peux vous confirmer qu'il en existe bien une. Mais il faut absolument éviter une sortie précipitée et non préparée, notamment après les évènements de la semaine dernière. La première étape de cette stratégie de sortie est d'ailleurs le plan BSS annoncé par le Ministre.

Par ailleurs, je suis moins pessimiste que mon collègue Pierre Lellouche et j'aimerais insister sur les aspects positifs réels qui caractérisent aussi la situation sur le terrain. Ces aspects concernent autant les ressources présentes dans le pays qu'une gouvernance qui s'améliore, comme on peut le voir à travers la tenue d'élections qui sont mieux organisées qu'auparavant. Plus fondamentalement, la compréhension que la sécurité et le développement vont de pair se fait de plus en plus nette. Enfin, les pays d'Afrique de l'Ouest (Mali, Mauritanie, Tchad, Niger) agissent aujourd'hui à peu près de concert, ce qui est une nouveauté. Ils ont compris que leur priorité commune était la sécurité de la région.

Pour finir, contrairement à ce qu'a dit mon collègue Pierre Lellouche, les entreprises françaises sont fortement impliquées dans la reconstruction du pays. Il s'agit d'ailleurs de l'une des priorités de notre Ambassade sur place, reflétant la priorité donnée par le Quai d'Orsay à la diplomatie économique.

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