Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 28 mai 2014 à 14h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure :

Le programme de Stockholm - Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens , adopté le 11 décembre 2009 par le Conseil européen, a fixé des objectifs ambitieux à réaliser pour l'espace de liberté, de sécurité et de justice, pour la période 2010-2014. Il a pris la suite des programmes de Tampere (1999-2004) et de La Haye (2005-2009). Il a été complété par le plan d'action mettant en oeuvre ce programme (COM(2010) 171 final du 20 avril 2010).

Conformément à l'article 68 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), le Conseil européen doit définir les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Il a été prévu, au cours du Conseil européen des 27 et 28 juin 2013, que le Conseil européen, lors de sa réunion des 26 et 27 juin 2014, « se penchera sur la définition des orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l'espace de liberté, de sécurité et de justice (en application de l'article 68 du TFUE) ».

L'espace de liberté, de sécurité et de justice recouvre un vaste champ de politiques européennes.

Les enjeux liés à l'espace de liberté, de sécurité et de justice sont spécifiques, en ce que ces politiques sont au coeur des questions de souveraineté nationale et touchent particulièrement les citoyens s'agissant notamment du respect de leurs droits fondamentaux, de la liberté de circulation au sein d'un espace ouvert et sûr, de l'attractivité de l'Union, de l'élaboration d'un véritable espace judiciaire européen et de la lutte contre la criminalité transfrontière.

La mobilité internationale est appelée à s'accroître à l'avenir et l'Europe devra certainement faire face à un afflux de personnes cherchant à s'établir et à travailler, temporairement ou durablement, en Europe. Il lui appartiendra de saisir le potentiel que représentent les migrations économiques, compte tenu des pénuries qui sont attendues sur les marchés du travail des États membres. Les conflits et périodes d'instabilité, parfois à proximité du territoire de l'Union, nécessitent des actions cohérentes et coordonnées des États membres. La réponse donnée à des flux migratoires mixtes, comprenant à la fois des migrants économiques et des demandeurs d'asile, doit et devra permettre de garantir tant la sécurité du territoire européen que le plein respect des droits fondamentaux des migrants. Dans un contexte de crise économique qui a durement frappé et continue de frapper l'Europe, les tensions liées à la xénophobie sont plus manifestes, ce qui appelle une vigilance toute particulière. Parallèlement, une régulation active de l'immigration économique doit être définie et menée.

Enfin, les menaces liées à la mondialisation et à l'ère du numérique, déjà pointées depuis de nombreuses années, se confirment et appellent également une réponse forte de la part de l'Union. La criminalité transfrontalière, notamment le terrorisme et le trafic des êtres humains, n'épargne pas l'Europe, dont les services répressifs doivent plus que jamais oeuvrer ensemble à travers des outils communs performants. L'ouverture de l'Europe ne peut en effet s'entendre sans protection commune.

Le programme de Stockholm, Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens, a établi les priorités de l'Union européenne dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité pour la période 2010-2014.

Le programme de Stockholm a été axé sur des priorités larges :

– promouvoir la citoyenneté et les droits fondamentaux ;

– l'Europe du droit et de la justice ;

– l'Europe qui protège ;

– l'accès à l'Europe à l'heure de la mondialisation ;

– l'Europe faisant preuve de responsabilité et de solidarité et travaillant en partenariat en matière d'immigration et d'asile ;

– le rôle de l'Europe à l'heure de la mondialisation.

Depuis 2009, beaucoup a été fait mais les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions fixées par le programme de Stockholm et beaucoup reste encore à accomplir. Sans viser à l'exhaustivité, je souligne dans la communication écrite l'adoption de plusieurs textes importants.

Au-delà d'une seule approche quantitative, il convient de relever qu'il n'existe pas de politique d'évaluation systématique des politiques menées dans les secteurs de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Par ailleurs, les études d'impact qui accompagnent les propositions d'actes sont parfois très insuffisantes et ne permettent pas de dresser un véritable état des lieux des dispositions existantes. Il est régulièrement fait reproche à la Commission européenne de ne pas suffisamment motiver ses propositions de textes par rapport aux éventuelles lacunes du droit existant. Des évaluations moins morcelées permettraient, en complément du programme pluriannuel, de mieux adapter les politiques aux besoins recensés.

Par ailleurs, la prise en compte, dans ces évaluations, des expériences des citoyens apporterait un éclairage important, certaines mesures trouvant difficilement à s'appliquer concrètement.

Plusieurs textes importants sont encore en cours de négociation, que nous avons eu l'occasion de voir dans notre commission.

Je ne reviendrai pas ici dans le détail sur les contributions de la Commission européenne (à travers sa communication Faire de l'Europe ouverte et sûre une réalité (COM(2014) 154 final) du 11 mars 2014) et du Parlement européen (résolution du 2 avril 2014 sur l'examen à mi-parcours du programme de Stockholm), mais vous trouverez ces éléments dans la communication écrite.

Il ressort de l'analyse des résultats du programme de Stockholm que les priorités dressées étaient très larges, débordant le strict cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ce qui ne facilite ni la mise en oeuvre concrète du programme ni son évaluation. Les outils d'évaluation existants sont, comme cela a été souligné plus haut, morcelés et incomplets.

Un recentrage sur des priorités politiques claires serait préférable, sans toutefois minorer l'ambition du projet. Un ancrage des priorités sur les termes du titre V du traité en assurerait une plus grande lisibilité. Ceci n'empêcherait pas de dégager des priorités transversales.

Je vous propose d'adopter une résolution européenne reprenant les principales priorités qui devraient figurer dans le prochain programme pluriannuel.

Dans le cadre des négociations en cours, les autorités françaises ont fait état de priorités transversales : moins légiférer et améliorer la mise en oeuvre concrète des mesures, décloisonner les politiques en matière de Justice et d'affaires intérieures et mettre en place une politique efficace d'évaluation et d'adaptation. Devant l'important travail législatif accompli, la priorité devrait être la bonne mise en oeuvre des mesures.

Des priorités sectorielles sont également soutenues, dont vous trouverez le détail dans la communication écrite.

La France et l'Allemagne ont travaillé ensemble sur l'élaboration des priorités de la future programmation stratégique pluriannuelle. Les deux États membres partagent un grand nombre d'objectifs communs.

Au-delà du partenariat franco-allemand dans ces négociations, il apparaît que les États membres défendent des positions proches sur les grands principes de consolidation et de mise en oeuvre des textes adoptés. L'accent ne devrait donc pas être principalement mis sur l'adoption de nouvelles initiatives législatives. Une plus grande coopération pratique, un décloisonnement des politiques et une meilleure prise en compte de la dimension extérieure sont également très largement souhaités.

S'agissant des priorités sectorielles, les négociations sont en cours. Certaines propositions de la Commission européenne, telles que celle tenant à la création de voies d'accès humanitaires au territoire de l'Union, posent de nombreuses questions et suscitent de sérieuses réserves de la part des États membres La mise en oeuvre de procédures communes d'examen des demandes d'asile suscite, elle aussi, des réserves. Les États membres sont très majoritairement pour la promotion d'une immigration légale bien plus dynamique et pour un renforcement de la protection des frontières ainsi que de la lutte contre l'immigration irrégulière, notamment s'agissant de la politique de retour. Les questions d'intégration nécessitent certainement une meilleure articulation avec les priorités en matière d'affaires intérieures.

La libre circulation est également un enjeu majeur.

La lutte contre la criminalité organisée et la radicalisation porteuses de violences ainsi que la cybercriminalité sont également des questions importantes.

De nombreux États membres appuient l'adhésion rapide de l'Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. En matière de coopération judiciaire, le renforcement de la confiance mutuelle apparaît comme un élément central. La codification du droit existant est également soutenue par plusieurs États membres, tout comme les efforts en matière de coopération pratique et de formation des acteurs.

Je vous propose de souligner, dans la résolution européenne proposée, l'intérêt majeur de la définition d'orientations stratégiques pour l'élaboration de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (point 1). L'approche retenue devrait être ambitieuse. Les orientations devraient toutefois être recentrées sur des priorités moins nombreuses et plus clairement définies qu'elles ne l'étaient dans le programme de Stockholm (point 2).

Les attentes et besoins des citoyens européens devraient être mieux pris en compte (point 3). L'enjeu est en effet aussi celui d'un espace citoyen qui peut sembler peu mis en évidence du fait de l'ensemble des mesures concernées, de leur caractère apparemment lointain par rapport à des préoccupations plus immédiates mais dont les effets sont néanmoins bien réels pour l'existence d'un État de droit pour tous et performant.

S'agissant des droits fondamentaux, il convient de rappeler que les politiques européennes doivent garantir le plein respect des droits fondamentaux tels qu'ils sont définis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que, dans un contexte de crise profonde, la promotion et la défense des droits qui sont au coeur de la construction européenne sont impératives (point 4).

L'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales devrait être rapidement finalisée (point 5).

Il convient notamment de rappeler qu'il est essentiel d'aboutir au plus tard en 2015 à une adoption simultanée des deux propositions de règlement et de directive en matière de protection des données à caractère personnel (COM(2012) 11 final et COM(2012) 10 final) (point 6).

Il est proposé de souligner que les politiques tendant à l'édification de l'espace de liberté, de sécurité et de justice devraient faire l'objet d'une meilleure articulation avec d'autres politiques sectorielles de l'Union avec lesquelles des synergies sont possibles (point 7). Tel est notamment le cas pour la politique extérieure de l'Union, l'emploi, la protection des consommateurs, la recherche ou encore la politique des transports.

Je propose de souligner que la mise en oeuvre rapide des mesures législatives adoptées, notamment en matière de droit d'asile et de coopération judiciaire pénale, constitue une priorité et devrait faire l'objet d'un suivi rigoureux (point 8). Les mesures prises devraient être plus systématiquement évaluées puis adaptées, sur la base d'objectifs clairement affichés, des évolutions et des nouveaux risques apparus.

Il convient de rappeler que l'espace de libre circulation sans frontières intérieures constitue l'une des principales réalisations européennes qui doit encore être améliorée et assortie d'un renforcement des contrôles aux frontières extérieures (point 9). Tous les aspects des politiques migratoires devraient être pris en compte. Les nouveaux enjeux liés aux conflits civils, le renforcement de la coopération avec les pays tiers et avec les pays voisins, l'idée d'un corps européen de gardes-frontières, la réflexion sur la politique européenne des visas, ou encore la meilleure utilisation des nouvelles technologies sont autant d'éléments à prendre en considération.

Il convient de souligner l'apport que représente l'immigration légale pour les sociétés européennes et la nécessité d'une politique européenne régulatrice et plus ambitieuse en la matière (point 10).

La poursuite des travaux en matière de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme doit être déterminée et la coopération opérationnelle entre les services répressifs des États membres doit être renforcée. La pleine mise en oeuvre des instruments existants, notamment s'agissant des systèmes d'échanges d'information existants, devrait être accélérée (point 11).

Je souhaite que nous appelions au renforcement de la reconnaissance mutuelle en matière de coopération judiciaire et souligner la nécessité de développer les coopérations concrètes, l'échange des bonnes pratiques ainsi que les formations européennes des magistrats et des professionnels du droit (point 12).

Les propositions de directive déposées en matière de garanties procédurales dans le cadre de procédures pénales devraient être rapidement adoptées.

Les aspects opérationnels et de financement de la proposition de directive relative à l'aide juridictionnelle doivent être discutés au niveau des États et des organes politiques de l'Union afin de garantir l'effectivité des droits (point 13).

Il appartient à l'Union de porter des projets ambitieux marquant des étapes majeures faisant progresser l'intégration européenne et il convient de rappeler à cet égard le soutien constant de l'Assemblée nationale à la création d'un Parquet européen, indispensable pour renforcer la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et la délinquance financière au détriment de l'Union européenne. Le Parquet européen devrait être de forme collégiale et disposer de compétences étendues à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, comme le permet l'article 86 TFUE (point 14).

Enfin, l'importance de la confiance mutuelle, de la clarification et de l'harmonisation des règles de conflits de lois pour faciliter la vie quotidienne des citoyens devrait être mise en avant, en saluant notamment les progrès récemment accomplis en matière de droit des régimes matrimoniaux et de droit des successions (point 15).

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