Intervention de Charles Coppolani

Réunion du 3 juin 2014 à 18h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Charles Coppolani, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne :

Le contrôle du Parlement est un élément essentiel de la fonction de régulation. Même si la nomination du président de l'ARJEL n'est pas encore précédée légalement d'une audition par les commissions parlementaires, j'ai souhaité vous exposer, trois mois après ma nomination, les principales orientations de mon action et ma vision de la régulation des jeux d'argent et de hasard en ligne.

J'ai été nommé président de l'ARJEL le 25 février 2014 par le Président de la République pour un mandat de six ans. Ma candidature, et sans doute ma nomination, tiennent à mon expérience au contrôle général économique et financier – CGEFi. J'ai en effet dirigé ce service qui contrôle près de six cents organismes publics, dont certains sont directement concernés par les problématiques du jeu, comme la Française des jeux, le PMU mais aussi l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé – INPES. Depuis sa création en 2011, j'ai présidé également l'Observatoire des jeux, qui a pour mission d'observer les évolutions du jeu en France et d'alerter les décideurs publics sur les risques du jeu addictif.

J'ai accepté en 2011 avec beaucoup d'intérêt la présidence de cet observatoire. Je connaissais déjà les problématiques du jeu responsable à travers la Française des jeux et du PMU, qui sont dans le champ d'intervention du CGEFi. L'Observatoire des jeux m'a donné l'occasion d'aller plus loin et de découvrir un monde complexe faisant intervenir des acteurs aux objectifs et aux intérêts qui peuvent apparaître contradictoires. Cette complexité était attrayante et m'a poussé au mois de janvier 2014 à poser ma candidature à la présidence de l'ARJEL.

La problématique du jeu se noue autour de trois acteurs.

Le joueur, tout d'abord : pour une grande majorité d'entre eux, le jeu est un divertissement sans autre conséquence que le rêve – qui se réalise parfois – d'une vie meilleure. Mais pour quelques-uns, il peut devenir un gouffre dans un engrenage, où l'on se perd, en y entraînant souvent ses proches.

L'État, ensuite, qui doit assumer une contradiction majeure : pour lui, le jeu est une source de revenus non négligeables mais en tant que garant de la protection des joueurs, il se doit de mettre en place des garde-fous qui en limitent la consommation.

Les opérateurs, enfin, dont le développement suppose qu'ils évoluent dans un contexte favorable et rentable économiquement tout en intégrant dans leur modèle économique les contraintes parfois exigeantes de notre système de régulation.

La loi de 2010 place le régulateur au centre de ces trois forces. Il doit dépasser les différentes contradictions pour faire vivre en bonne harmonie les acteurs du marché des jeux d'argent et de hasard en ligne, qui, comme l'indique la loi du 12 mai 2010, « ne sont ni un commerce ordinaire ni un service ordinaire ».

J'ai donc placé mon mandat sous le signe de la recherche de cet équilibre. Le joueur doit être protégé, mais les opérateurs qui ont fait le choix du marché régulé doivent pouvoir atteindre la viabilité économique. L'offre de jeux ne doit pas aggraver le risque d'addiction, mais rester cependant assez attractive pour concurrencer l'offre illégale. Il faut que l'État maintienne des recettes à travers la fiscalité des jeux, mais l'assiette de l'impôt doit rester économiquement attractive et cohérente. La régulation doit garantir au joueur-consommateur la sécurité de ses données, de ses avoirs et de son environnement de jeu, mais sans être trop contraignante pour les opérateurs au plan technique. Enfin, l'impérieuse nécessité de lutter contre le blanchiment et de garantir l'intégrité des manifestations sportives ne doit pas se traduire par un niveau trop élevé de contraintes pour les opérateurs et pour les joueurs.

Ma feuille de route découle de cet impératif et le choix de mes priorités s'inscrit dans les objectifs définis par la loi de 2010 et notamment le premier d'entre eux, la protection des joueurs. Au titre de la protection des joueurs, qui sont d'abord des consommateurs, l'ARJEL exerce sur les sites agréés une surveillance de haut niveau – obligation de fiducie, contrôle systématique du caractère aléatoire des distributeurs de cartes pour les joueurs de poker. Mais le jeu présente aussi des risques d'addiction. La loi impose ainsi aux sites la mention obligatoire de mises en garde, interdit le jeu à crédit et plafonne à 85 % le taux de retour aux joueurs, alors que ce taux marque à l'étranger plutôt un plancher. Reprenant une proposition de l'ARJEL, la récente loi relative à la consommation interdit en outre aux opérateurs l'envoi de messages publicitaires aux interdits de jeu.

L'ARJEL veut aller encore plus loin grâce à la mise en place de dispositifs d'alerte sur des comportements à risque, qui lui permettent d'intervenir en amont et à titre préventif. Sur ce point, le concours des opérateurs agréés est désormais acquis à l'ARJEL, car ces derniers sont conscients de ce que le jeu en ligne ne pourra s'installer durablement que s'il conserve une dimension de divertissement et de loisir. À cet égard, les comportements à risque constituent un champ de recherche trop peu développé en France ; l'ARJEL s'efforce désormais de tisser des liens étroits avec l'université.

La loi vise également à favoriser l'équilibre économique du marché régulé. Or, la situation économique des opérateurs agréés reste préoccupante. Il faut donc étudier les mesures les plus efficaces pour soutenir ces entreprises et concevoir un modèle de développement viable et durable. Après l'engouement de l'ouverture du marché, le nombre d'opérateurs est désormais stabilisé à dix-huit, qui se partagent au total trente-deux agréments. Trois seulement ont dégagé quelques bénéfices en 2013. Trois autres seront dans cette situation à la fin de l'année 2014. Aucun des autres n'y parviendra probablement à court terme. Les opérateurs ont d'ores et déjà sensiblement réduit leurs coûts, en particulier leurs coûts de marketing.

Mais il faut aller plus loin. Peut-être serait-il bon de réfléchir à une baisse du coût de la régulation, sous réserve qu'elle conserve tant un niveau de contrôle et de protection équivalent que des recettes constantes pour l'État. Élargir l'offre de jeux est aussi envisageable. À cet égard, les attentes et les propositions des opérateurs sont nombreuses. Je pense qu'il faut se prononcer, en ce domaine, segment de jeu par segment de jeu. Après des rencontres avec chacun des opérateurs, l'ARJEL étudie les mesures les plus efficaces en vue de proposer aux autorités compétentes un plan d'action. Car je souhaite privilégier une approche globale et cohérente plutôt que procéder au coup par coup.

La lutte contre l'offre illégale constitue la troisième priorité. Elle est stratégique. Elle va de pair avec la protection des joueurs, mais aussi avec la garantie des opérateurs agréés contre toute concurrence déloyale. Or, une offre de ce type subsiste en France. Quoiqu'elle soit par nature difficile à évaluer, elle attire sans doute 10 % des joueurs. Elle recouvre différents contenus, comme le casino en ligne, qui est interdit par la réglementation française. En s'inspirant de l'expérience étrangère, l'ARJEL étudie les moyens les plus efficaces pour aller encore plus loin sur ce chantier, par exemple en bloquant les moyens de paiement.

Le modèle de régulation français est sans conteste exemplaire, avec des objectifs clairs et les moyens qui vont avec pour l'atteindre. Je m'attacherai à promouvoir ce modèle sur la scène internationale, car nous serons d'autant plus efficaces dans la coopération transfrontalière nécessaire pour lutter contre les manipulations sportives et l'argent sale que nous aurons des niveaux de régulation homogènes et cohérents. C'est le message que je porte dans mes contacts avec nos partenaires européens et internationaux.

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