Intervention de Gilles Carrez

Réunion du 3 juin 2014 à 18h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, président :

Dans les cas de poursuite de sites illégaux, l'ARJEL ne peut se constituer partie civile devant la juridiction pénale, car elle ne dispose pas de la personnalité morale. Mais elle peut être entendue comme témoin. Quant à l'amende récemment prononcée par le tribunal correctionnel de Paris, son montant paraît en effet assez faible, alors que son recouvrement peut également se révéler problématique. Aux yeux de l'ARJEL, l'essentiel demeure de bloquer l'accès à ces sites. Pour ce faire, elle agit devant la juridiction civile. Le tribunal de grande instance de Paris réserve une audience tous les deux mois à des affaires de ce type. L'ARJEL assigne l'opérateur fautif, en demandant aux fournisseurs d'accès d'en bloquer l'accès. Ce n'est cependant pas la panacée, car des joueurs français peuvent se connecter à des sites étrangers en ayant masqué leur identité. Il faudra donc aller au-delà. Il est cependant difficile de se concerter avec les banques et le réseau des cartes bancaires pour voir s'il est possible d'isoler les opérations de jeu. Les Américains le font pourtant, tout comme les Britanniques.

L'ARJEL exerce sa surveillance sur 3 000 sites environ. Grâce à ses recettes, elle dispose d'une régie d'avances qui fournit les mises nécessaires à des tests menés auprès des différents opérateurs. Si l'un d'entre eux ne respecte pas la réglementation, l'Autorité lui adresse une mise en demeure. Quand l'opérateur n'y défère pas, elle peut engager des actions judiciaires. Une équipe d'enquêteurs travaille en permanence, au sein de l'ARJEL, pour traquer les contrevenants à la réglementation. Il ne fait guère de doute que de nouveaux sites à surveiller fleurissent à l'approche de la Coupe du monde de football. Lutter contre l'illégalité c'est combattre l'hydre à plusieurs têtes : à chaque site supprimé, deux autres apparaissent aussitôt pour le remplacer.

Sur le plan fiscal, les prélèvements sur les jeux en ligne, certes importants en valeur absolue, restent néanmoins, avec un montant total de 323 millions d'euros en 2013, très modestes par rapport à ceux qui touchent le réseau physique. Sur ce montant, 265 millions d'euros étaient destinés l'an dernier au budget général et 43,9 millions d'euros aux organismes de sécurité sociale. Compte tenu des prélèvements destinés au Centre des monuments nationaux et aux communes pourvues d'un casino ou d'un hippodrome, le montant restant acquis au budget général était de 239 millions d'euros.

Ces prélèvements sont effectués sur les mises, ce qui n'est pas la solution globalement retenue en Europe. Ainsi, en Italie, à l'exception de certains prélèvements effectués sur les mises, la plus grande part est calculée sur le PBJ et le système semble évoluer vers un prélèvement d'ensemble sur le PBJ, comme c'est le cas dans les autres États. La différence entre le montant des mises et le PBJ est ce qu'on appelle le taux de retour joueurs, c'est-à-dire les gains des joueurs, dont le montant est plafonné en France à 85 % des mises et se situe aujourd'hui autour de 80 % ou 81 %. En 2013, sur des mises de l'ordre de 8,4 milliards d'euros pour les jeux en ligne, le PBJ s'élevait au total à 686 millions d'euros.

Toute évolution devrait se faire à recettes constantes, supposant donc un taux d'imposition de 45 % à 50 % sur le PBJ, qui serait tout aussi lourd. Les opérateurs se plaignent d'ailleurs du fait que l'ensemble des prélèvements français est beaucoup plus lourd que dans les autres pays, mais il ne faut pas oublier que nous leur permettons de proposer un jeu comportant d'importantes externalités négatives, comme les addictions et les dommages pour la famille des joueurs addicts et pour leur santé.

Il faut donc nous efforcer de proposer un jeu « extensif » plutôt qu' « intensif », c'est-à-dire inciter les opérateurs à proposer une offre destinée à de petits joueurs, qui jouent peu et pour se divertir, plutôt qu'à encourager les joueurs qui jouent beaucoup – lesquels constituent aujourd'hui une grande partie de leur chiffre d'affaires. Pour le poker, par exemple, nous sommes confrontés à des situations paradoxales, avec un traitement différent pour les jeux en ligne et pour les casinos. S'applique en effet la règle traditionnelle du « no flop, no drop », selon laquelle l'opérateur ne prélève sa rémunération que lorsque les joueurs ont commencé à jouer. Or, une partie qui s'interrompt avant que les joueurs aient abattu leurs cartes génère tout de même des mises, sur lesquels l'opérateur en ligne est imposé, alors que les casinos en dur ne le sont pas.

On touche ici à la question de la compétitivité du système français de régulation, très exigeant à l'égard des opérateurs. Pour certains d'entre eux, cependant, même s'ils gagnent encore peu, le fait d'être agréés en France est une carte de visite – nous pouvons ainsi être interrogés par les régulateurs du New Jersey ou de Californie qui veulent savoir si tel opérateur est agréé en France.

Nos échanges avec les régulateurs internationaux, notamment dans les pays européens se déroule dans plusieurs cadres. Un groupe informel de régulateurs qui se réunit deux fois par an permet de traiter divers sujets – la réunion que nous aurons à Berlin au mois de septembre prochain portera ainsi sur la lutte contre l'offre illégale et les sites illégaux. En outre, un groupe d'experts animé par la Commission européenne et composé de régulateurs de jeux en ligne et en dur se réunit régulièrement à Bruxelles pour aborder divers sujets.

Il est certes important que la Commission européenne favorise les échanges, mais les jeux sont des phénomènes très culturels – on ne joue pas de la même façon, ni aux mêmes jeux, en Italie, en Angleterre et en France. La régulation doit donc rester nationale et il ne doit pas y avoir de reconnaissance mutuelle des opérateurs : pour faire une offre de jeux dans un État, il faut être agréé dans cet État. Cette position, partagée par plusieurs régulateurs européens, n'est cependant pas celle de plusieurs autres – Malte, par exemple.

Les enquêtes que nous avons réalisées sur les joueurs addicts dans le cadre de l'Observatoire des jeux ont fait apparaître de fréquentes multiaddictions, avec notamment une très nette présence de l'addiction au tabac. Je rappelle à ce propos que l'un des éléments de régulation de l'offre des casinos du réseau physique a été l'interdiction de fumer, qui oblige les joueurs à quitter les machines à sous pour sortir. Ce n'est pas le cas avec les jeux en ligne.

L'ARJEL, si elle n'a pas vocation à être un organisme de recherche scientifique, dispose néanmoins d'informations très importantes qu'elle peut mettre à la disposition des chercheurs – économistes, praticiens hospitaliers ou sociologues – dans des conditions précisées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés – CNIL – et en respectant notamment l'anonymat des données. On pourrait ainsi faire évoluer la recherche dans ces domaines, encore balbutiante en France.

Nous entretenons une coopération étroite avec les autorités policières, notamment avec le service des courses et jeux, ainsi qu'avec le parquet et Tracfin, et tous nos indicateurs en matière de blanchiment ont été mis en place avec l'accord de cette dernière. Nous avons également des relations avec d'autres autorités, comme l'Autorité des marchés financiers, mais je n'ai pas encore eu l'occasion d'en faire l'expérience depuis ma prise de fonctions. Nous travaillons beaucoup sur la publicité, car celle-ci peut toucher les mineurs ou les personnes interdites de jeu.

La convention du Conseil de l'Europe, sur laquelle l'ARJEL a beaucoup travaillé, peut permettre d'organiser une coopération avec les autres régulateurs, ce qui nous semble très important. Nous avons mis en place un dispositif particulier à l'occasion de la Coupe du monde de football et avons proposé aux régulateurs de tous les pays membres du Conseil de l'Europe de leur fournir des informations.

La question des matchs truqués et des matchs sans enjeu de fin de saison, mise en lumière notamment par l'affaire Cesson-Montpellier – qui concernait, au demeurant, le réseau physique, et non pas les jeux en ligne – est un sujet assez délicat. La notion de match « sans enjeu » est en effet très subjective et, de même que Leibnitz a pu dire de Descartes qu'il avait mis la vérité à l'hôtellerie de l'évidence, mais avait oublié de lui donner l'adresse, nous pouvons nous demander ce qu'est l'enjeu. Dans le monde du sport professionnel, les enjeux sont en effet de multiples : au-delà du classement, il peut également s'agir, par exemple, de la carrière des joueurs ou de leurs relations avec leurs sponsors. Nous devons donc nous référer très précisément aux textes qui s'imposent à nous : aux termes du décret qui s'applique en la matière, on ne peut organiser de paris sur une compétition que si cette dernière a une notoriété suffisante et si elle présente des enjeux suffisants pour attirer des parieurs.

C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité qu'on puisse parier sur les matchs de la fin du championnat de France de ligue 1, car les matchs du Paris-Saint-Germain suscitent chez les parieurs une grande attirance et l'interdiction de parier sur ces matchs les inciterait à recourir à l'offre illégale. En revanche, il ne faut pas organiser de paris pour des compétitions ne présentant pas de notoriété ou d'enjeux suffisants. Il faut également veiller aux types de paris que l'on autorise – l'ARJEL interdit ainsi, à la différence de certains régulateurs, tous les paris sur les actions négatives. L'un de mes chantiers prioritaires consiste donc à revoir à la fois la liste des compétitions et les types de paris concernés. Après avoir beaucoup agi au coup par coup dans la phase où l'ARJEL se mettait en place, il faut maintenant veiller à la cohérence de nos propositions.

Quant au projet de fusion entre l'ARJEL et l'AFLD, je rappelle que, dans son discours de clôture du forum sur l'intégrité du sport, organisé le 15 mai à la Sorbonne par le Qatar et la chaire « Éthique et sécurité dans le sport », le secrétaire d'État a évoqué la création d'une haute autorité de l'intégrité sportive. Il est certes pertinent de traiter au niveau politique les problèmes liés à l'intégrité sportive et la convention du Conseil de l'Europe, qui évoque à ce propos une plate-forme nationale, nous en donne l'occasion. Il conviendrait donc que ces questions soient prises en charge, au niveau politique, par le ministère des Sports, et non pas par une autorité administrative indépendante. En effet, l'intégrité sportive et la lutte contre le blanchiment sont des sujets de société, qui ne relèvent pas d'une autorité indépendante. Il faut donc mettre tous les acteurs autour de la table et l'ARJEL pourra y contribuer dans la mesure de ses modestes moyens.

Pour ce qui est de la fusion proprement dite, je rappelle que les paris sportifs représentent 10 % des mises des jeux en ligne régulés par l'ARJEL, et les paris organisés sur les compétitions en France 2 %. L'essentiel du chiffre d'affaires des opérateurs dans le domaine des paris sportifs procède donc largement de compétitions organisées à l'étranger, comme la Coupe d'Europe et tous les championnats européens.

Pour qu'il y ait fusion, il doit y avoir synergie, et je ne pense pas qu'il y en ait véritablement une entre l'ARJEL et l'AFLD, dont les champs d'intervention, les missions et les publics ne se recouvrent pas. Nous régulons des jeux en ligne ; l'AFLD lutte contre le dopage. Notre public, ce sont les joueurs et les parieurs ; celui de l'AFLD, ce sont les sportifs. Notre mission est la protection du joueur ; celle de l'AFLD est la préservation de la santé des sportifs face au dopage. Les outils n'ont rien de commun : l'ARJEL, c'est un système d'information, qui compte pour plus de 60 % de notre masse salariale, tandis que l'AFLD, ce sont des laboratoires. Ma position quant à la perspective d'une fusion se déduit aisément des indications que je viens de vous donner.

J'en viens aux outils de surveillance dont nous disposons pour protéger les joueurs. L'ARJEL est, je le répète, est un système d'information : tous les opérateurs ont l'obligation de disposer d'un frontal, c'est-à-dire d'un ordinateur situé en France et accessible dans les 2 heures, auquel l'ARJEL est connectée et qui reçoit directement, en temps réel, toutes les informations de jeu. Nous collectons et traitons chaque jour entre 50 et 60 millions d'opérations de jeu. Le traitement de ces informations, automatisé, repose sur une modélisation des paris que nous avons bâtie au cours des quatre dernières années. Nous testons par ailleurs, au moyen de dispositifs informatiques, divers éléments, comme la sécurité des logiciels, pour garantir les données sensibles des joueurs contre les risques d'intrusion et de vol. Nous nous assurons aussi que les paris réalisés correspondent à la liste des paris autorisés et vérifions l'intégrité des paris en nous assurant par exemple de la distribution aléatoire des cartes. Nous disposons également de dispositifs et d'indicateurs permettant de détecter le blanchiment.

Pour la Coupe du monde de football, nous avons mis en place un système de suivi qui concentre les dispositifs que nous utilisons au quotidien. Nous contrôlons l'offre proposée par les opérateurs agréés et les opérations de jeu réalisées sur les sites agréés. Nous procédons à dix types de contrôles, notamment sur les sommes jouées, sur la moyenne des paris, sur le pourcentage de paris simples, sur le pourcentage de paris gagnants, sur les vainqueurs et sur le score à la mi-temps. Cette panoplie de contrôles se décompose en outre en plusieurs dizaines de sous-éléments. Nous avons par ailleurs mis les informations obtenues à la disposition des autres régulateurs. Ce dispositif est en place et va fonctionner.

Quant à la perspective d'une autorité unique de régulation pour l'ensemble des jeux, tant sur le réseau physique qu'en ligne, il me semble préférable de raisonner en termes de missions plutôt qu'en termes d'institutions. Depuis ma prise de fonction, j'ai établi des liens très étroits avec le régulateur des jeux physiques et celui de la Française des jeux – la direction du budget –, ainsi qu'avec la Française des jeux elle-même, dont le dispositif de surveillance des jeux en dur est très performant, et avec le PMU. Le reste appartient au législateur.

Dans les autres pays européens, les modèles de régulation sont très différents. La France est, avec l'Italie, le seul pays où le régulateur collecte les données de jeu en temps réel, les autres régulateurs recevant les données de jeu sur demande. Les informations échangées ne sont donc pas de même nature et nous avons des difficultés pour obtenir celles que nous souhaitons.

Je compte mettre en place une surveillance des paris pris à l'étranger sur les compétitions françaises ouvertes aux paris en France. À cette fin, nous travaillons à une surveillance de l'évolution des cotes sur les principaux sites à l'étranger, ce qui supposera d'instaurer une coopération avec les régulateurs et, parfois, de tester certains régulateurs, notamment asiatiques.

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