Les menaces terroristes qui pèsent sur notre pays sont une réalité renouvelée que chacun, hélas, a aujourd'hui à l'esprit. Elles appellent une réponse très déterminée, opérationnelle autant que juridique, de la part de l'ensemble des partis de gouvernement.
Nous savons que le Gouvernement prépare un projet de loi renforçant notre arsenal antiterroriste et qu'il participe, au plan européen, à un nécessaire effort de coordination en ce sens. Le groupe UMP entend prendre toute sa part à la préparation de ces mesures d'intérêt général. C'est le sens de la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter avec MM. Éric Ciotti, Philippe Goujon et Olivier Marleix.
Nous ne prétendons pas embrasser l'ensemble des questions posées par la lutte contre le terrorisme. Nous avons eu et nous aurons d'autres débats à cette fin. La proposition de loi est centrée sur un objet précis : la lutte contre la diffusion du terrorisme au moyen d'internet.
Le texte que nous vous proposons et les amendements qui l'accompagnent sont nourris par de nombreuses auditions – ont ainsi été entendus les responsables opérationnels de la lutte antiterroriste et des services de renseignement, l'Office de lutte contre la cybercriminalité, le juge antiterroriste Marc Trévidic, l'association des victimes du terrorisme, l'imam Chalghoumi, président de la Conférence des imams de France, la direction du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et des acteurs et opérateurs d'internet.
Ces auditions ont renforcé notre conviction qu'internet est aujourd'hui un vecteur majeur, sans doute le premier, de la propagande djihadiste et, par conséquent, le principal moyen d'endoctrinement d'individus susceptibles de se livrer, de manière isolée ou collective, à un attentat terroriste.
À titre d'illustration, je vous invite, mes chers collègues, à vous reporter au dernier numéro, malheureusement très facile à trouver sur internet, de la revue en ligne Inspire, diffusée par la nébuleuse d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), qui vise à diffuser le djihad au sein du monde occidental. Vous y trouverez notamment un mode d'emploi très précis pour la fabrication de bombes et des conseils pratiques, eux aussi très précis, pour commettre des attentats en France. Vous pourrez également constater, en un ou deux clics, qu'il est très aisé d'accéder à des vidéos présentant, pour les glorifier, des scènes de décapitation par des djihadistes, vues par des dizaines de milliers d'internautes.
Il y a aujourd'hui urgence à réagir. Nos ennemis terroristes ont investi un champ de bataille sur lequel les démocraties ne sont pas encore suffisamment entrées et pour lequel elles sont encore désarmées.
Il existe, bien sûr, des moyens de veille de l'internet et je ne sous-estime pas le travail effectué en ce sens par les agents affectés au sein de l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC). Le nombre de signalements de sites de propagande terroriste que reçoit l'Office ne cesse d'augmenter : alors que 13 signalements de ce type avaient été enregistrés en 2011, ce nombre est passé à 120 en 2012, pour atteindre 360 en 2013, soit près d'un signalement par jour. En 2013, les principaux sites concernés par ces signalements ont été les réseaux sociaux, en particulier Facebook et Twitter, qui représentaient 54 % du total, puis des blogs, pour 14 %, des sites internet thématiques, pour 13 %, la plateforme YouTube, pour 6 %, et de forums, pour 6 %. Chaque signalement fait l'objet d'un traitement individuel, qui peut aboutir à la saisine de l'autorité judiciaire.
Notre conviction est qu'il faut aller bien au-delà de la simple veille.
Je propose à cette fin quatre mesures, directement inspirées du projet de loi qui avait été présenté dès avril 2012, sous l'impulsion du président Nicolas Sarkozy, par le gouvernement de l'époque, et des amendements que j'avais présentés avec Éric Ciotti, Nathalie Kosciusko-Morizet et Philippe Goujon en novembre 2012, lors de l'examen du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Ces amendements, retravaillés au fil des auditions, constituent le socle de cette proposition.
Première mesure : nous voulons renforcer les obligations de signalement qui pèsent sur les fournisseurs d'accès et les hébergeurs de sites.
Depuis la loi du 21 juin 2004, ces opérateurs ont la double obligation de mettre en oeuvre un dispositif permettant à toute personne de porter à leur connaissance des contenus illicites relatifs à l'apologie de crimes contre l'humanité, à la provocation à la haine, à la diffusion d'images pédopornographiques et à la diffusion de message portant atteinte à la dignité humaine, et d'informer les autorités publiques compétentes de ces activités illicites. Il s'agit donc d'un double mécanisme de signalement, de l'internaute à l'opérateur et de l'opérateur à l'autorité publique. En pratique, les signalements de contenus illicites sont centralisés auprès de l'OCLCTIC, qui gère une plateforme en ligne de signalement dénommée « PHAROS ».
Nous proposons que ce dispositif de vigilance soit explicitement étendu aux contenus faisant l'apologie du terrorisme, ce qui n'est aujourd'hui pas le cas en droit. Il faut que, demain, les fournisseurs d'accès à internet et les hébergeurs de sites aient l'obligation, de leur propre initiative et à peine de sanction, de signaler aux autorités les sites faisant l'apologie du terrorisme. Cette première mesure est le minimum minimorum que l'on puisse exiger des opérateurs de l'internet, sans doute trop enclins aujourd'hui à considérer que leur autorégulation est suffisante, ce qui n'est manifestement pas le cas.
Deuxième mesure : nous voulons donner la faculté aux services du ministère de l'Intérieur, d'obtenir le blocage de l'accès aux sites de propagande terroriste.
De quels sites parlons-nous ? La frontière est parfois ténue, il est vrai, entre les contenus publics et les contenus relevant de la correspondance privée. Nous voulons un dispositif qui s'applique aussi largement que possible aux contenus à caractère public, qu'il s'agisse de sites internet classiques, de blogs, de forums de discussion, de plateformes vidéo ou de pages de réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter.
La proposition de loi et les amendements qui l'accompagnent prévoient cette possibilité de blocage pour tous les contenus faisant l'apologie du terrorisme ou provoquant aux actes de terrorisme, quelle que soit la forme du message : il peut, bien sûr, s'agir de vidéos, mais aussi d'images fixes, de sons ou d'écrits. La proposition de loi, telle qu'amendée par votre rapporteur, couvre bien tout ce champ.
Qu'appelle-t-on « bloquer » un site ? Il ne s'agit pas, par ce moyen, de chercher à obtenir la fermeture ou le retrait du contenu, ce qui est déjà théoriquement possible pour un contenu illicite, mais très difficile dans la pratique, la plupart de ces sites étant hébergés à l'étranger. Le blocage de l'accès est une mesure de police administrative, prise pour la sauvegarde de l'ordre public et ayant un caractère aussi opérationnel que possible : le site reste actif, mais les internautes français n'y ont plus accès. Quand il cherche à se connecter, l'utilisateur est renvoyé à une page internet lui indiquant que le site qu'il veut consulter n'est pas accessible, car tombant sous le coup de la loi. Concrètement, ce sont les fournisseurs d'accès à internet – par exemple Orange, Free, SFR ou Bouygues – qui auraient le devoir de bloquer l'accès à une série de sites définie par le ministère de l'Intérieur sur une « liste noire » ciblée et actualisée dans la mesure du possible.
Il s'agit donc de donner aux services chargés de lutter contre le terrorisme un outil supplémentaire, souple et réactif, auquel ils pourraient recourir de manière discrétionnaire. Dans certains cas, ils pourront avoir intérêt à laisser perdurer l'accès à des sites internet, afin de pouvoir recueillir des renseignements sur ceux qui les fréquentent et sur les projets qu'ils préparent, mais dans d'autres cas, il faudra peut-être « couper le signal », afin d'éviter que la haine ne se propage sur les réseaux.
Ce dispositif, nous en sommes convaincus, va dans le sens des déclarations faites par le ministre de l'Intérieur lors de son audition par notre Commission, le 30 avril dernier : « nous agirons (...) auprès des opérateurs pour qu'ils "coupent" les discours, les vidéos et les images servant à l'endoctrinement ».
J'ajoute que le dispositif proposé s'inspire de celui, créé par la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 », applicable aux sites pornographiques diffusant des images de mineurs – dispositif explicitement examiné et validé par le Conseil constitutionnel.
On nous objectera sans doute que ce dispositif n'est toujours pas en vigueur, faute de publication par le Gouvernement d'un décret d'application. Il ressort cependant des auditions que j'ai menées qu'il n'y a là aucune impossibilité technique ou juridique, mais seulement une contrainte budgétaire, qui donne lieu à un débat entre le ministère de l'Intérieur et le ministère du Budget, la loi de 2011 prévoyant la compensation financière aux fournisseurs d'accès des surcoûts liés au blocage des sites pédopornographiques.
Au bout du compte, il n'y a aucun obstacle dirimant, ni au plan juridique, ni au plan opérationnel, pour définir et mettre en oeuvre un tel dispositif de blocage des sites à caractère terroriste. Chacun doit prendre ses responsabilités. La nôtre, en notre qualité de législateur, est de nous engager dans ce dispositif.
Troisième mesure : la proposition de loi crée un nouveau délit réprimant la consultation habituelle de sites internet incitant au terrorisme. Là encore, nous nous inspirons du droit applicable en matière de lutte contre les images pornographiques de mineurs. Depuis 2007, l'article 227-23 du code pénal punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende « le fait de consulter habituellement » un site internet diffusant des images pédopornographiques.
Les sites visés par la nouvelle incrimination seraient très précisément définis, afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté de communication et de ne sanctionner que la consultation des sites dont l'illégalité est manifeste. Concrètement, il s'agirait par exemple de sites montrant des décapitations ou des exécutions commises à des fins terroristes.
Naturellement, certains motifs légitimes de consultation seraient préservés, lorsque la consultation des sites en cause est justifiée par l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, lorsqu'elle intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou lorsqu'elle est réalisée afin de servir de preuve en justice.
Ce nouveau délit aurait deux avantages. D'une part, il permettrait de repérer et de sanctionner les individus en voie de radicalisation et de basculement dans la violence terroriste. Cela serait d'autant plus utile face à des individus qui, parce qu'ils sont isolés, ne peuvent pas entrer à, ce stade, dans le champ du délit d'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Je précise que, lors de son audition, hier matin, le juge antiterroriste Marc Trévidic a explicitement indiqué qu'il était favorable à l'édiction de ce nouveau délit de consultation habituelle d'un site, comme instrument de lutte contre les « loups solitaires ».
D'autre part, ce délit de consultation habituelle permettrait de mieux protéger les mineurs, notamment ceux de 13 à 16 ans, qui sont les plus vulnérables aux stratégies d'endoctrinement – pour ne pas dire : de « lavage de cerveau » – que l'on peut trouver sur internet. Un individu qui inciterait un mineur à se livrer à une telle consultation pourrait ainsi être poursuivi pour « corruption de mineur », sur le fondement de l'article 227-21 du code pénal. Quant aux mineurs eux-mêmes, une peine alternative pourrait leur être réservée, telle qu'un stage de sensibilisation et de prévention adapté, comme le proposent notamment les associations qui participent, à l'échelle européenne, au réseau Radicalisation Awareness Network (RAN). Je vous proposerai tout à l'heure un amendement en ce sens, qui relève de l'idée que, face aux « prêcheurs de haine », il faut développer à l'intention des adolescents un contre-discours susceptible de les éloigner de la propagande radicale dont ils sont l'objet.
Quatrième et dernière mesure : la proposition de loi vise à renforcer les possibilités de « cyberpatrouilles » ou de « cyberinfiltrations » pour lutter contre le terrorisme.
Les « cyberpatrouilleurs » sont des policiers spécialement habilités, qui peuvent intervenir sur internet ou sur des réseaux sociaux pour y constater la commission de certaines infractions. Dans ce cadre, ils peuvent participer à des discussions sous un pseudonyme, entrer en relations avec des personnes et recueillir des données et des éléments de preuve, la seule limite étant de ne pas inciter directement à la commission des infractions en cause.
En matière de terrorisme, ces moyens d'investigation ont été introduits dès 2011 dans la LOPPSI 2. Il s'agissait d'une première adaptation de notre arsenal juridique aux évolutions techniques et aux nouvelles formes de menaces. Ces cyberpatrouilles permettent aujourd'hui, sous un régime de police judiciaire – et sous ce régime seulement –, de constater et de réprimer les infractions de provocation directe au terrorisme ou d'apologie du terrorisme.
La proposition de loi étend cette possibilité à la répression du nouveau délit de consultation habituelle des sites internet faisant l'apologie du terrorisme. Les cyberpatrouilleurs pourront ainsi repérer plus facilement les incitations aux idées extrémistes, les tentatives de recrutement terroriste et la préparation d'attentats.
Sans doute faudrait-il aller encore plus loin, en créant un dispositif législatif autorisant les cyberpatrouilles à des fins de police administrative, c'est-à-dire dans une optique préventive. Je vous présenterai tout à l'heure un amendement en ce sens, créant un nouveau régime juridique pour consolider des pratiques qui se situent actuellement dans un cadre juridique incertain.
Pour conclure, mes chers collègues, la lutte antiterroriste doit être un sujet qui nous rassemble au nom de l'intérêt général. Le groupe UMP n'a pas failli à cette nécessaire solidarité face à la menace terroriste et a voté, en novembre 2012, la loi antiterroriste présentée par le Gouvernement.
Nous invitons chacun à faire de même aujourd'hui, en adoptant cette proposition de loi renforçant la lutte contre l'apologie du terrorisme sur internet.
Ce serait placer la France à l'avant-garde du combat contre le cyber-djihadisme, à charge pour le pouvoir exécutif de porter activement ce combat au sein des instances européennes et, au-delà, à l'échelle internationale, notamment transatlantique. C'est notre devoir que d'être en pointe sur ce sujet majeur, pour lequel nos démocraties sont aujourd'hui, hélas, encore trop désarmées.