Monsieur le ministre, nous partageons le diagnostic et les objectifs. Nul ici, en effet, n'ignore les difficultés juridiques et matérielles liées à l'application d'un tel texte au regard de la nécessaire protection des libertés publiques et individuelles et de la complexité d'une appréhension d'ensemble de la planète internet. Cependant, compte tenu de l'extrême urgence qu'il y a à agir, renvoyer ce texte, dont vous avez vous-même reconnu l'importance, à un texte ultérieur dont nous serons peut-être saisis dans quelques mois ne peut nous satisfaire. Faut-il rappeler que près de 300 de nos compatriotes sont partis faire le djihad en Syrie – chiffre en hausse de 75 % sur les six derniers mois ? Qu'en sera-t-il dans six mois si ce texte n'est pas appliqué ? La question est d'autant plus urgente que la plupart des personnes qui se rendent sur ces théâtres d'opérations en sont convaincues par le biais d'internet et que, comme l'a rappelé le rapporteur, l'un des magazines djihadistes les plus consultés sur internet, qui indique comment fabriquer de bombes artisanales, cible particulièrement notre pays.
Une étude du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam a révélé la présence importante de femmes – 40 % – dans ce contingent d'apprentis djihadistes, à 70 % originaires de famille athées, membres de la classe moyenne dans leur immense majorité – 83 % –, voire de familles aisées pour 20 % d'entre elles. Ce qui est en cause est donc moins la misère sociale que la perte de repères de jeunes gens « normaux », aiguillonnés par des sites internet qui prennent à distance le contrôle de leur vie, selon des procédés qui sont ceux des dérives sectaires et dont la pénétration est facilitée par le vecteur internet.
Notre groupe a voté la loi de lutte contre le terrorisme du 21 décembre 2012, qui reprenait d'ailleurs en partie des dispositions portées par la précédente majorité à la suite de l'affaire Merah et répondait à la nécessité de pérenniser le cadre juridique établi par la loi antiterroriste de 2006. Cette volonté commune de garantir la sécurité de nos compatriotes et de notre pays nous rassemble bien évidemment au-delà de nos appartenances politiques. C'est dans cet esprit que la proposition de loi que nous examinons vise à fournir des outils juridiques permettant d'agir en amont pour mettre hors circuit ces terroristes potentiels.
La possibilité de bloquer les sites djihadistes, proposée par l'article 1er, complète le panel d'outils de police administrative mis à la disposition des forces de sécurité, sans pour autant empêcher la pratique du cybersuivi et du harponnage des suspects actuellement utilisée par les services. Notre rapporteur propose à juste titre d'élargir encore le champ du dispositif de blocage, notamment pour y inclure, outre les images, les contenus audio et textuels que l'on trouve aussi très fréquemment sur ces sites.
L'article 2 s'inspire d'un amendement, rejeté par le Gouvernement, que MM. Éric Ciotti et Guillaume Larrivé, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet et moi-même avions porté lors des débats sur la loi de lutte contre le terrorisme, en vue de créer ce délit de consultation habituelle des sites faisant l'apologie du terrorisme. En intégrant ce délit dans notre droit, nous mettrons en outre notre législation en conformité avec le mémorandum de Rabat, signé par les membres du Forum mondial contre le terrorisme, auquel la France appartient et qui préconise la criminalisation des actes préparatoires. Il permettra, sous la compétence de la juridiction parisienne et, bien sûr, selon le code pénal, d'arrêter les suspects et de les placer en garde à vue afin de recueillir des informations permettant de déterminer leur degré d'endoctrinement et de dangerosité. Ce délit constituera également une base très utile pour inculper de corruption de mineur un majeur ayant poussé un mineur à consulter ces sites, et de lutter ainsi contre le départ des mineurs. Il jouera également un rôle dissuasif auprès des primo-consultants de ces sites. Un amendement du rapporteur sera présenté à ce propos, afin de compléter la réponse pénale destinée aux mineurs, prévoyant notamment un stage de désendoctrinement, solution qui existe déjà pour les délits raciaux.
Enfin, les cyberpatrouilleurs prévus par la LOPPSI 2 seront renforcés par cette proposition de loi qui permettra, en matière de police judiciaire, d'effectuer surveillance, infiltration, sonorisation et captation de données informatiques lors de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire. Là aussi, le texte sera amélioré par un amendement du rapporteur qui clarifiera le cadre légal d'exercice des cyberpatrouilles en matière de police administrative.
Ce texte a donc été très travaillé et présenté à plusieurs reprises. Il a été réfléchi et discuté avec les différents directeurs de vos services, monsieur le ministre, et certains magistrats spécialisés.
Nous avons bien entendu vos arguments, qui ne sont nullement hostiles à ce texte, mais nous pensons que, dans la situation présente, nous ne pouvons pas prendre le risque de perdre encore plusieurs mois dans la lutte contre le terrorisme en attendant un texte gouvernemental. Cette proposition de loi répond à un aspect du problème très urgent et les mesures qu'elle contient peuvent être mises en oeuvre très rapidement pour lutter contre l'apologie du terrorisme et la provocation à celui-ci sur internet. C'est là une priorité pour éviter de nouveaux endoctrinements et autant de futures menaces pour notre sécurité nationale. L'augmentation du nombre de djihadistes a été, je le répète, de 75 % au cours des six derniers mois : de combien sera-t-elle dans les mois qui s'écouleront dans l'attente de votre texte ?
Nous avons voté la loi antiterroriste de décembre 2012 présentée par le Gouvernement et nous espérons que celui-ci et la majorité feront preuve du même esprit constructif à l'égard de cette proposition de loi.