Intervention de Marie-Françoise Bechtel

Réunion du 4 juin 2014 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Bechtel :

Nous nous inscrivons ici dans un esprit de coopération, à la recherche de mesures d'intérêt général que nous avons tous intérêt à adopter de la meilleure manière possible, lorsqu'elles seront prêtes à être opérationnelles juridiquement – et donc factuellement.

La proposition de loi que nous examinons s'inscrit dans une séquence qui commence avec la LOPPSI 2, se poursuit avec la loi antiterroriste (LAT) de décembre 2012, dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteure et qui faisait suite partiellement au projet de loi Mercier. Cette séquence est également marquée par une double annonce ministérielle : lorsque nous avons examiné la LAT, le ministre de l'Intérieur, qui était alors M. Manuel Valls, avait annoncé qu'il faudrait améliorer certaines dispositions, relatives notamment au cyberpatrouillage, laissant la porte ouverte à une ou deux autres possibilités, selon l'évolution des choses. Hélas, cette évolution a conduit M. Cazeneuve à exprimer devant cette même Commission – et c'est le dernier acte de cette séquence –, qu'il était maintenant nécessaire de renforcer le dispositif antiterroriste – c'était avant l'affaire de Bruxelles, mais la situation était assez préoccupante et vous l'avez décrite avec beaucoup de précision, monsieur le ministre, voilà deux ou trois semaines. Il y a donc lieu de préciser certaines dispositions législatives et, sans doute, d'en introduire d'autres : c'est le travail auquel se livre également le Gouvernement. Il faut donc comprendre la proposition de loi que nous examinons comme un élément de réflexion et de travail auquel participe précisément notre discussion de ce matin.

À propos du texte, je soulignerai trois points majeurs, qui ont en commun la question fondamentale de savoir comment mieux appréhender le passage de la pensée à l'action djihadiste.

Tout d'abord, comment lutter contre l'apologie si les hébergeurs et fournisseurs d'accès laissent passer de nombreuses vidéos atroces qui posent le double problème de l'endoctrinement du majeur et de l'impression faite sur le mineur ? Le texte propose, et le ministre s'y est déclaré favorable, d'étendre la responsabilité des fournisseurs d'accès et hébergeurs, outre l'apologie de crimes contre l'humanité et la pédopornographie, qui figurent déjà au code pénal, à l'endoctrinement djihadiste par des vidéos violentes.

La deuxième question, qui nous a déjà divisés et risque de diviser encore, est celle de la « consultation habituelle » de sites. C'est là un point dont nous avons longuement débattu en commission durant la procédure d'adoption de la LAT. Nous y reviendrons sans doute dès aujourd'hui, et peut-être à la faveur d'amendements qui pourraient être déposés lors de l'examen du projet de loi du Gouvernement. Tel qu'il est aujourd'hui rédigé, en effet, le texte ne paraît pas satisfaire aux exigences de constitutionnalité et de proportionnalité. Il ne suffit pas de dire qu'on peut avoir un motif légitime de consulter ces sites pour échapper au risque constitutionnel. De fait, le motif légitime peut avoir un champ très large – il peut même s'agir, ne craignons pas de le dire, de la simple curiosité intellectuelle. Or, nous n'avons pas à porter atteinte à des libertés en leur imposant un carcan sans souplesse. Cette partie de la proposition de loi devrait donc être difficile à reprendre, même ultérieurement.

Enfin, il faut saluer l'effort visant à renforcer le dispositif judiciaire et, surtout, administratif offert au cyberpatrouillage, sans aller jusqu'à la provocation à l'acte terroriste, défaut parfois dénoncé par la presse outre-Atlantique – peut-être aurez-vous, monsieur le président, l'occasion de faire prochainement le bilan de ces actions avec vos interlocuteurs américains. Il y a en tout cas matière à renforcer le cyberpatrouillage, comme nous en convenions du reste en votant la LAT en novembre 2012.

Il ne me semble pas choquant d'attendre quelques mois que nous soyons saisis d'une loi qui soit à la fois susceptible d'intégrer certaines des réflexions portées par la présente proposition de loi et plus achevée du point de vue de la sécurité juridique – c'est au contraire le meilleur moyen d'éviter le risque de retarder une action désormais de plus en plus urgente.

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