Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 4 juin 2014 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Je suis heureux que notre commission reçoive Mme Pau-Langevin, dont nous connaissons la détermination à sortir des sentiers battus et à faire sauter les portes et les barrages. Je le dis, car je pense qu'aujourd'hui, il nous faut aller plus loin. À trois ans de la fin du mandat du Président de la République, il est désormais indispensable de changer de braquet, de méthode et de forme. Je soutiens, bien sûr, toutes vos propositions, madame la ministre, mais on ne peut plus se contenter de pansements pour remettre sur pied les politiques économiques de l'outre-mer.

Pour quelle raison aucune loi spécifique sur le développement économique outre-mer n'a-t-elle vu le jour ? Les occasions n'ont pourtant pas manqué avec la loi d'avenir pour l'agriculture, et le Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, à propos duquel nous avions cru comprendre, mais à tort, qu'il y aurait non pas une déclinaison outre-mer, mais un vrai projet pour l'outre-mer. Je crains qu'il en soit de même avec le Pacte de solidarité. Je ne dis pas que l'outre-mer doive se désolidariser de l'Hexagone, mais simplement que sa situation plaide en faveur d'un projet de développement économique fondé sur une loi de programme, avec une déclinaison pluriannuelle permettant d'avoir une visibilité.

Il ne sert à rien de reprendre des propositions éclatées : l'édifice n'aurait pas de cohérence. Les solutions du type exonérations ont vocation à accompagner une situation de développement, alors que l'essentiel est désormais de changer de modèle économique. Il faut sortir de l'importation massive, de la monoculture de la banane ou de la canne à sucre, et exploiter nos richesses de manière plus transversale – je pense à la fois à la biodiversité et à la politique énergétique. Il faut aussi penser une politique de coopération ancrée dans la réalité territoriale, avec une diplomatie économique qui nous permette d'élargir notre bassin d'expertise à la petite Caraïbe, à la grande Caraïbe et à l'Amérique du Sud. L'Association des États de la Caraïbe (AEC) compte vingt-cinq États, sept États associés et 276 millions d'habitants : la mer des Caraïbes est une immensité ! Nous avons vraiment besoin d'une libéralisation de l'économie et d'une pénétration des marchés intérieurs. Ce ne sont pas quelques « retouches » dans les domaines de l'agriculture, de la biodiversité et de la fiscalité, surtout dans le contexte budgétaire que nous connaissons, qui permettront d'y parvenir. Certes, nous allons demander à améliorer le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ; mais c'est surtout de lisibilité que nous avons besoin.

Il nous faut progresser considérablement en ce qui concerne les normes et la réglementation. La reconstruction d'infrastructures en Martinique, liée à l'utilisation des fonds du FEDER (Fonds européen de développement régional) ne concerne pas seulement les équipements. Équiper un pays, ce n'est pas le développer : les équipements accompagnent un processus d'organisation et de développement.

Le Pacte de solidarité prévoit une exonération de la part salariale des cotisations familiales pour accroître le volume de la consommation. Quelles répercussions cette mesure peut-elle avoir, alors que vous avez vous-même indiqué que les mesures d'exonération et de compensation existent déjà outre-mer ? Depuis que la défiscalisation a été laminée, nous assistons à une chute de l'activité impressionnante en Martinique, le territoire étant très dépendant du secteur du bâtiment-travaux publics (BTP). Vous avez évoqué le taux de chômage des jeunes à La Réunion, qui avoisine les 60 %. Il y a urgence à trouver des solutions innovantes pour permettre à ces jeunes de trouver une activité, sans quoi nous assisterons à une nouvelle explosion dans nos régions.

C'est donc sur ce point que je souhaite insister : pouvons-nous conduire une réflexion globale sur l'outre-mer pendant la mandature ? Il est vrai que la situation de la Guyane n'est pas celle de la Martinique, que la situation de la Guadeloupe n'est pas celle de La Réunion, et que la situation de La Réunion n'est pas celle de la Nouvelle-Calédonie. Mais je proposerais volontiers que le projet de loi que j'appelle de mes voeux ouvre la voie à une expérimentation outre-mer, où des voies d'innovation et d'excellence pourraient être expertisées pour permettre de créer une cohésion entre la réglementation de la politique de développement économique, des problèmes de matériaux et des problèmes de construction, afin de dégager des perspectives. Cette expérimentation devrait aussi toucher le domaine social.

Permettez-moi de prendre un exemple : les entreprises de tourisme réclament aujourd'hui pour leur secteur un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), comme il en existe pour la banane. Il s'agirait de prendre en charge les frais de personnel pendant six mois. Le dispositif est intéressant, mais il a ses limites. Ce qu'il faut pour le tourisme, c'est créer une véritable dynamique, en travaillant aussi sur les visas d'affaires dans la Caraïbe, afin qu'un Mexicain ou un Colombien puisse facilement venir chez nous, ou en mettant en oeuvre un programme de type Erasmus pour l'ingénierie du développement, l'énergie renouvelable, la science et la biodiversité. Nous sommes à 8 000 kilomètres de l'Europe : nous ne pouvons pas avoir d'échanges universitaires de haut niveau avec des États européens. Combien de laboratoires faudrait-il construire pour « booster » les recherches en matière de biodiversité ou d'exploitation de nos richesses ? Combien de barges faudrait-il faire venir du Brésil ou du Mexique pour établir de vrais échanges économiques ? Comment construire l'alternative énergétique si nous n'allons pas chercher l'interconnexion avec le gaz de Trinidad ? Pour prendre un autre exemple, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a toutes les peines du monde à comprendre que la biomasse pourrait être une source d'énergie dans nos régions.

Je suis en train de vous dire que si nous n'abordons pas notre développement économique de manière plus globale, nous allons à l'échec. Il faut laisser nos territoires créer, sur le fondement de l'expérimentation, les conditions d'une véritable autonomie de développement économique. Paris n'a plus de solution, et Bruxelles encore moins. Le débat n'est plus de savoir s'il faut plus de subventions ou pas – du reste, il n'y a plus d'argent ; je vous parle d'ingénierie moderne du développement. Ce dont nous avons besoin, c'est de plus de liberté pour structurer le développement endogène local. Si nous ne définissons pas ce paradigme nouveau, que nous ne l'inscrivons pas dans une perspective de trois à six ans, nous allons droit à l'échec.

À cela s'ajoute la nécessité d'une réappropriation culturelle de notre milieu naturel. Je ne demande ni l'autonomie ni l'indépendance pour la Martinique ; je dis simplement qu'il faut dépasser ce cadre institutionnel pour entrer dans un processus de liberté de développement dans ces régions.

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