Intervention de Franck Supplisson

Réunion du 4 juin 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Franck Supplisson, repreneur d'Ascométal :

Comme directeur de cabinet au ministère de l'industrie, j'ai suivi pendant plusieurs années Ascométal qui, produisant les matières premières des pièces les plus critiques d'un grand nombre de filières industrielles françaises, m'apparaissait comme l'un des derniers fleurons de la sidérurgie française.

Les aciers spéciaux Ascométal permettent à la France de faire rouler des locomotives à plus de 400 kilomètres à l'heure sur des rails, grâce à des roues et des essieux qui ne cassent pas. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles les Chinois se sont portés candidats lors du premier appel d'offres. Les aciers spéciaux Ascométal sont aussi présents dans toutes les pièces critiques de la filière automobile – directions, injections, boîtes de vitesse –, soumises à des contraintes thermiques et mécaniques de plus en plus fortes avec la miniaturisation des voitures et les normes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce sont encore les tubes sans soudure en aciers spéciaux Ascométal qui permettent à Vallourec d'explorer et de produire à 2 000 mètres de profondeur de nouvelles ressources conventionnelles ou non conventionnelles, et de les exporter sur l'ensemble des continents, en particulier aux États-Unis. Ainsi, cette entreprise est à la source de la production d'un grand nombre de filières industrielles françaises majeures.

Voilà donc bien longtemps que je m'intéresse à cette société, qui occupe une position stratégique en drainant toutes les filières de l'industrie française, et qui a vocation à rester stratégique : en étant le premier producteur européen de ferraille et en affichant le coût de production de l'électricité le plus faible d'Europe, la France dispose, à travers elle, de grands atouts.

Il y a encore une quinzaine d'années, Ascométal était leader européen des aciers spéciaux. Depuis lors, l'entreprise n'a cessé de décliner faute d'une stratégie de moyen terme que les quatre propriétaires successifs n'avaient pas érigé en priorité, soit parce qu'ils étaient, tels Lucchini et Severstal, concurrents de l'entreprise, soit parce qu'il s'agissait de fonds spéculatifs américains, comme Apollo. Ces changements de propriétaires étaient notamment financés par LBO, si bien qu'à son dernier rachat, l'entreprise s'est vu infliger 380 millions d'euros de dettes à 12,5 % – soit près de 40 millions d'euros d'intérêts financiers par an –, pour un chiffre d'affaires de 600 millions. En 2011, le résultat d'exploitation, bénéficiaire de 80 millions, avait permis de payer ces intérêts, mais lorsqu'il est devenu négatif de 10 à 15 millions, l'actionnaire et les banques n'ont pas trouvé d'accord pour renflouer l'entreprise.

La dernière fois que l'entreprise a changé de mains, j'ai pensé qu'elle n'allait pas s'en remettre. C'est pourquoi j'ai alerté les plus grands noms de la sidérurgie française – Guy Dollé, ici présent, ancien président d'Arcelor, Noël Forgeard, fondateur d'Ascométal, et Jean-Claude Cabre, ex-président de Vallourec. Ensemble, nous avons construit, depuis un an, un projet de reprise et de transformation d'Ascométal, avec l'idée de le mettre sur la table en cas de liquidation judiciaire, car nous ne voulions pas voir mourir cette entreprise.

La liquidation a attiré un grand nombre de vautours, les mêmes qu'auparavant : des fonds spéculatifs et les grands concurrents de l'entreprise, dont une belle société brésilienne, un « petit Mittal » affichant 15 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Or on a déjà vu ce qu'a donné Ascométal entre les mains du géant russe Severstal et de l'italien Lucchini, ses concurrents, et sous la gestion de divers fonds spéculatifs. Notre offre a, il est vrai, perturbé un paysage figé sur l'idée que les fleurons sidérurgiques français sont destinés aux grands concurrents de pays émergents ou aux fonds spéculatifs. Elle est apparue comme un « objet industriel non identifié », en ce qu'elle constituait un projet de reprise et de transformation visant à développer Ascométal, et non à capter des volumes, des savoir-faire, de la propriété industrielle et des marchés.

Nous avons reçu un soutien fort du ministère de l'industrie, qui a compris l'intérêt stratégique de cette offre industrielle, dont la principale caractéristique n'est pas d'être française, mais de constituer un projet entrepreneurial et de développement. Nous ne sommes ni des concurrents ni un fonds spéculatif, nous sommes des entrepreneurs et des investisseurs désireux de développer Ascométal. Le ministère de l'industrie a été présent à nos côtés jusqu'au bout, ce qui nous a permis de lever 230 millions d'euros, dont 35 millions sous forme d'un prêt sur sept ans accordés par le Fonds de développement économique et social (FDES), sachant que nous sommes en discussion pour l'entrée de la Banque publique d'investissement (BPI) dans le capital.

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