Intervention de Benoît Hamon

Réunion du 4 juin 2014 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Ce que nous dit ce film, c'est que l'école de la République, ça marche ! Et bien d'autres indicateurs nous le montrent. L'école demeure l'une de nos institutions les plus fédératrices ; les attentes des Français à son égard sont considérables, et ils se montrent très exigeants, souvent vis-à-vis des professeurs, mais plus largement vis-à-vis du système scolaire lui-même. Dans un contexte de grande tension dans la société française, la promesse de l'école républicaine – la réussite et l'épanouissement de chacun, quelles que soient ses origines sociales – continue de rassembler.

Il nous faut néanmoins faire preuve de lucidité et donc cesser d'entretenir le mythe d'une école égalitaire. Regardons la réalité en face : nous sommes aujourd'hui, hélas, champions d'Europe pour le poids de l'origine sociale dans le destin scolaire des enfants. La promesse de l'école n'est plus, ou pas assez tenue, et cela doit alerter les élus que nous sommes. Ce diagnostic sévère ne fera, je crois, guère débat entre nous.

Mais cela ne veut pas dire que l'école ne sait pas changer et qu'elle échoue systématiquement. La Cour de Babel nous montre le bel exemple d'élèves allophones qui apprennent, grâce à une professeur absolument exceptionnelle, à parler, à lire et à écrire le français, pour suivre ensuite une scolarité ordinaire ; ce film nous montre aussi des élèves qui apprennent à dépasser leurs préjugés sur les uns ou les autres. J'ai d'ailleurs programmé, la semaine prochaine, une projection de ce documentaire pour l'inspection générale de l'éducation nationale et les recteurs, car on y voit vraiment une image formidable de l'école. Je vous répondrai tout à l'heure sur la façon dont nous voulons poursuivre le travail de ces classes d'accueil.

Il y a d'autres sujets de réjouissance : ainsi, une évaluation du niveau des élèves à l'entrée au CP rendue publique à l'automne dernier montrait qu'entre 1997 et 2011, les enfants qui sortaient de l'école maternelle avaient largement progressé. C'est la preuve que l'école peut se transformer et améliorer le niveau des élèves. On peut aussi se réjouir de la montée en puissance du baccalauréat professionnel ou encore de la réussite du collège unique – ce qui ne s'oppose pas à la volonté de le réformer.

Il y a aujourd'hui beaucoup trop de nervosité dans et autour de l'école. Il faut apaiser le climat scolaire – mais pas, comme je l'ai lu, en achetant la paix sociale par un accord avec les syndicats, ou en enterrant les sujets qui fâchent ! Il nous faut fabriquer du consensus - surtout lorsque nous sommes d'accord sur les diagnostics. Je travaillerai donc, dans les mois à venir, à conduire le changement avec tous, sans opposer les parents aux professeurs, la communauté éducative aux élus, les maires à l'institution scolaire…

Les priorités qui sont celles de ce ministère depuis deux ans ne changent pas : il est indispensable de tout faire pour lutter contre les inégalités que l'école, aujourd'hui, maintient, voire accentue.

C'est pourquoi le gouvernement a décidé de donner la priorité au primaire : une marche ratée à l'école primaire devient ensuite insurmontable. Nous devons nous donner tous les moyens pour que les savoirs fondamentaux soient maîtrisés par tous à l'issue du CM2 et à l'entrée en sixième.

Dans ce cadre, le gouvernement souhaite favoriser la scolarisation des enfants de moins de trois ans, notamment dans les zones d'éducation prioritaire : c'est dans les quartiers populaires, où beaucoup de parents d'élèves parlent peu ou mal le français, que les bénéfices d'une scolarisation précoce sont les plus grands. C'est aussi dans cette logique que nous avons mis en place le dispositif « plus de maîtres que de classes », qui permet de mieux suivre les enfants et qui donne déjà satisfaction.

Nous voulons également procéder à une refonte de l'éducation prioritaire, pour concentrer les moyens sur les territoires où les besoins sont les plus importants. Nous devons construire les nouveaux réseaux d'éducation prioritaire, REP et REP+, à partir d'indicateurs robustes : nous avons proposé de prendre en considération le nombre d'enfants décrocheurs, le nombre d'enfants habitant dans des quartiers relevant de la politique de la ville, le nombre d'enfants boursiers et le revenu moyen des familles. Il faut aussi corriger les lacunes des précédents dispositifs : ainsi, nous allons permettre que 54 heures soient dégagées, à l'école et au collège, selon des formules différentes, pour que les enseignants se consacrent davantage à des projets collectifs et pédagogiques. De plus, nous souhaitons une stabilisation du corps enseignant : des temps et des jours de formation supplémentaires seront accordés et les indemnités accordées aux enseignants des REP et REP+ seront augmentées afin de les encourager à demeurer dans ces territoires.

Le lien entre l'école et le collège est déterminant pour assurer un meilleur suivi des élèves et une meilleure progressivité des apprentissages, qui est l'une des clefs de la réussite. Tous n'apprennent pas au même rythme : l'école de la République doit en tenir compte.

Je ferai prochainement des annonces relatives aux réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED.

Je poursuivrai également l'engagement de mon prédécesseur sur la lutte contre le handicap : je pense en particulier à la transformation des contrats des auxiliaires de vie scolaire (AVS) en contrats à durée indéterminée, ce qu'on appelle la « CDIsation ». Cela offrira de la stabilité, mais aussi une reconnaissance de leur qualification. Davantage d'enfants en situation de handicap doivent être intégrés au milieu scolaire ordinaire.

Souvent, la population scolaire croît en milieu urbain, ce qui justifie des créations de postes, et décroît en milieu rural, ce qui oblige à supprimer des classes. Je répondrai volontiers aux questions sur les inégalités que vous pouvez percevoir entre les territoires. Une expérimentation est menée dans le Cantal, qui suscite de grandes réactions : je vous dirai les conditions auxquelles, à mes yeux, nous pouvons l'étendre – comme, je le sais, beaucoup d'élus le souhaitent – en mettant en place un dialogue entre élus et rectorats, afin de mieux penser les regroupements pédagogiques et les réorganisations de la carte scolaire, en contrepartie de la stabilisation, pendant trois ans, des effectifs enseignants.

Arrêtons-nous quelques instants sur la question des rythmes scolaires. Le plus frappant, c'est que tout le monde est d'accord sur le diagnostic : une matinée de plus, c'est meilleur pour les enfants. Malheureusement, ce sujet est devenu polémique et beaucoup d'angoisses se font jour, chez les parents, dans la communauté éducative, et au-delà dans toute la société française. Je vais écrire à chacun des parents et des professeurs pour leur redire l'objectif de cette réforme : faire en sorte qu'en fin de CM2, les apprentissages fondamentaux soient acquis par tous, ce qui n‘est pas le cas aujourd'hui. Comme ministre de l'éducation nationale, je ferai mon travail : d'ailleurs, ce qui se passe dans la classe, donc les programmes, mais aussi l'organisation du temps scolaire, relèvent de la responsabilité de l'État – le périscolaire relevant, lui, des communes ou des intercommunalités. Or s'il y avait, en 2013, consensus sur la question des apprentissages et des rythmes scolaires, il n'y a plus de consensus sur les activités périscolaires et la fatigue des enfants.

Beaucoup de représentations liées à ce débat sont, je crois, déjà fixées. C'est donc la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires qui montrera la pertinence de ce choix. J'en veux pour preuve ses premières évaluations, que je rendrai publiques bientôt. Dans les villes où elle est mise en place, des professeurs – au départ mis dans l'embarras, à titre personnel, par cette réforme – estiment aujourd'hui qu'elle a permis d'aider les élèves, et notamment les plus en difficulté. Cette parole est pour moi essentielle : leur mission de transmission de connaissances et de compétences en a été facilitée.

Parmi les 4 000 communes qui avaient déjà arrêté une organisation du temps scolaire lors de la parution du nouveau décret, seules 1 % ont choisi de modifier cette organisation. Pour celles qui n'avaient pas encore mis en oeuvre la réforme, je ne dispose pas de chiffres pour toute la France mais seulement pour cinquante-huit départements : seules 5,1 % des communes s'y sont saisies du nouveau décret. Parmi celles-ci, certaines ont choisi de dégager une après-midi entière pour les activités périscolaires, ce que le décret permet. À titre personnel, j'estime que, pour des intercommunalités en milieu rural, c'est la formule la plus pertinente.

Mais quelle que soit l'organisation retenue, tous les élèves travailleront partout, du lundi au vendredi ou en mobilisant le samedi en contrepartie d'un mercredi non travaillé, cinq matinées par semaine, et c'est bien ce qui compte pour les apprentissages fondamentaux : 100 % des élèves tireront bénéfice de la réforme des rythmes scolaires.

S'agissant de la préparation de l'école du futur, le nouveau Conseil supérieur des programmes va nous permettre d'ajuster les programmes de l'école primaire, afin de les recentrer sur les apprentissages fondamentaux. J'attends beaucoup des travaux de ce Conseil sur le socle commun de connaissances, de compétences et de culture : ses recommandations seront rendues publiques au cours du mois de juin. Nous consulterons les enseignants durant l'automne et je rendrai très rapidement les arbitrages sur l'école primaire et le collège, et sur le lien entre l'un et l'autre. À l'évidence, il faudra aussi débattre des modalités d'évaluation de la maîtrise du socle commun par les élèves, notamment en fin de scolarité obligatoire, dans le cadre du diplôme national du brevet (DNB) mais aussi au cours de la scolarité. C'est une tâche exaltante pour le CSP comme pour moi-même.

L'école du futur sera bien entendu numérique : les Investissements d'avenir nous permettront d'accompagner la montée en puissance du numérique dans les écoles, les collèges et les lycées. Il ne s'agit pas seulement d'assurer le raccordement au haut ou au très haut débit, ce qui sera fait ; il faut aussi que les établissements disposent d'un équipement adéquat et des ressources pédagogiques nécessaires. Cela implique notamment que les enseignants, nouveaux ou pas, soient formés. C'est un travail considérable. Nous avons également appelé l'attention des éditeurs français sur l'enjeu que représentent les manuels numériques : nous ne devons pas prendre de retard par rapport aux éditeurs anglo-saxons ; l'espace francophone du numérique doit être structuré par les initiatives françaises. Je laisse ici de côté les MOOC (massive open online courses), c'est-à-dire les cours en ligne ouverts et massifs, qui sont aujourd'hui l'un des moyens de diffusion de la connaissance mais aussi de la pédagogie française.

Je voudrais dire quelques mots de la question de la formation professionnelle des professeurs, qui avait été abandonnée. Chacun reconnaîtra que c'était une erreur : enseigner s'apprend, c'est une évidence. C'est pourquoi nous accordons beaucoup d'importance à la formation tant initiale que continue : aujourd'hui, face à une classe composée, au mieux, de vingt-cinq élèves qui sont autant de personnes, il faut mettre en oeuvre une pédagogie différenciée, être attentif aux besoins de chacun, choisir ses instruments pédagogiques...

Nous avons donc mis en place les Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), qui « hybrident » la culture du supérieur et la culture du scolaire. Nous transmettrons ainsi les connaissances, dans chaque discipline, mais aussi tous les gestes professionnels indispensables à l'enseignant, qui doit gérer des situations parfois compliquées. Nous ne résoudrons certes pas tout du jour au lendemain, mais il était indispensable de rétablir la formation initiale des professeurs et d'insister sur la formation continue.

Enfin, nous nous préoccupons de l'enseignement professionnel : je crois beaucoup à cette filière, qui a largement contribué à l'augmentation du taux d'élèves bacheliers. L'éducation nationale sera partie prenante de la conférence sociale, notamment pour ce qui regarde l'orientation et l'insertion professionnelle par la voie professionnelle. Nous nous efforçons de renforcer encore les liens de cette dernière avec le monde du travail. La montée en puissance des « campus des métiers et des qualifications » – qui regroupent des établissements d'enseignement secondaire, des écoles d'ingénieurs, des centres de formation d'apprentis, des centres de recherche, des entreprises, etc. – montre aujourd'hui l'excellence de nos lycées de métiers. Au-delà, le travail sur l'offre de formation de l'enseignement professionnel sera un axe important de mon action des prochains mois à la tête de ce ministère – c'est par prudence, vous le comprendrez, que je parle de mois.

Je recevais ce matin M. Pierre Gattaz, qui me disait ses attentes vis-à-vis de l'école. Nous devons en tout cas réfléchir à organiser de façon plus cohérente l'articulation entre la filière professionnelle et l'apprentissage au lieu que ces deux voies de formation se fassent concurrence.

Je ne m'inquiète pas de la qualité des débats au sein de votre Commission. Mais il faut, je le crois profondément, apaiser les débats sur l'école. Il n'est bon pour personne d'avoir une école si nerveuse, si angoissée, avec des élèves, des parents, des professeurs inquiets. Tous, que nous soyons dans l'opposition ou dans la majorité, nous devons redonner à l'école toute sa place d'institution qui fédère, et je mettrai tout en oeuvre pour cela. L'école est aujourd'hui trop souvent remise en cause, voire agressée. Des interrogations se font jour sur la capacité de la République à tenir ses promesses : commençons par apaiser l'école et lui redonner sa capacité à rassembler.

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