Intervention de Benoît Hamon

Réunion du 4 juin 2014 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Monsieur le président, il n'a évidemment jamais été question pour nous de résumer les ambitions éducatives du gouvernement à la création de 60 000 postes. Mais le fait d'en avoir auparavant supprimé 80 000 a indiscutablement eu un effet, dans plusieurs territoires, sur la qualité de l'enseignement et sur les conditions dans lesquelles les élèves étudient. Il nous a donc semblé nécessaire de garantir un taux d'encadrement satisfaisant, pour répondre aux demandes que vous-mêmes, mesdames et messieurs les députés, formulez pour vos écoles, vos collèges, vos lycées.

C'est important dès lors que l'on nourrit des ambitions élevées pour notre système éducatif, confronté à la dégradation des résultats en primaire et au « décrochage » en sixième que nous connaissons. La part des élèves en éducation prioritaire qui maîtrisent en fin de troisième les compétences requises en français est passée de 54 à 42 %, ce qui doit nous conduire à nous interroger sur ce qui se passe avant cet âge. Les tests auxquels sont soumis les jeunes Français lors des journées défense et citoyenneté confirment des résultats préoccupants dans plusieurs apprentissages fondamentaux, notamment en français. Qui plus est, le phénomène a tendance à s'aggraver.

En outre, les créations de postes témoignent d'une priorité politique. Il eût été curieux que le gouvernement, qui s'est résolument engagé à réduire la dépense publique pour préparer l'avenir, ne s'attache pas également à résorber la dette éducative que la France a contractée vis-à-vis de l'école de la République, faute d'accorder une priorité budgétaire à l'éducation nationale.

À ce propos, monsieur Apparu, je ne me suis pas montré caricatural : c'est la formation professionnelle des enseignants dont j'ai regretté la suppression par le passé, non leur formation théorique.

Ces créations de postes, nous en avons consacré l'essentiel à la formation des professeurs ; mais, alors que nous en avons créé 13 402 entre 2012 et 2013, la réalisation a été inférieure à ce nombre. Cela s'explique par plusieurs raisons, monsieur Reiss : le nombre de départs à la retraite notamment a été plus élevé que nous ne nous y attendions alors que le nombre de candidats aux concours était inférieur aux prévisions, malgré l'organisation de sessions exceptionnelles. Heureusement, cette tendance s'inverse : le nombre de candidats augmente, y compris dans des disciplines qui recrutaient traditionnellement moins et dans des académies où nous constations une pénurie de candidats. Cela montre que le métier d'enseignant gagne en attractivité, certainement parce que le climat a changé. Les syndicats saluent d'ailleurs le ton du discours gouvernemental sur l'école. Sans vouloir stigmatiser ni caricaturer qui que ce soit, la suppression des postes et de la formation professionnelle initiale par le passé explique que le vivier ait été moins important que prévu au moment où nous avons voulu recruter de nouveau. Mais il est en train de se reconstituer.

Les « emplois d'avenir professeur » contribuent aussi à l'attractivité renouvelée du métier, ainsi que la création des ESPE, avec la possibilité d'effectuer ses premiers stages en établissement au cours de la première année de master, puis, après avoir passé le concours, de bénéficier d'une véritable formation en alternance la seconde année. Les nouvelles maquettes de formation permettent d'acquérir les gestes professionnels requis, que l'on soit professeur de langue ou professeur des écoles. Les étudiants en sortent mieux armés pour enseigner.

Pour l'anecdote, lors de mon premier déplacement dans une ESPE, l'une des « emplois d'avenir professeur » à qui je demandais si les premières rencontres avec les élèves avaient confirmé la vocation à enseigner a répondu qu'elle était ravie d'avoir pu constater qu'elle ne voulait absolument pas enseigner ! Peut-être l'expérience des ESPE détournera-t-elle ainsi certains étudiants de ce qu'ils croyaient être leur vocation mais qui les angoisse ou pousse leur patience à bout.

Car ce métier, pour lequel je veux dire mon admiration, représente une remise en cause hebdomadaire, voire quotidienne : les enseignants doivent chercher eux-mêmes les ressources et construire des pédagogies différenciées afin de transmettre à tous les connaissances et les compétences visées. Contrairement à ce que je peux entendre ici ou là, cela suppose une quantité élevée de formation, d'investissement, y compris en dehors des heures de cours, et d'implication personnelle.

Voilà pourquoi il est nécessaire d'investir dans le numérique, qui facilite la tâche des enseignants bien plutôt qu'il ne se substitue à eux. Quand ils le maîtrisent suffisamment pour en faire un outil pédagogique supplémentaire, les professeurs mobilisent davantage l'attention des élèves, les stimulent dans leurs apprentissages, suscitent de leur part des réactions nouvelles grâce à l'interactivité. En outre, le numérique a l'immense avantage de modifier le statut de l'erreur : le fait de pouvoir effacer celle-ci évite d'avoir l'impression qu'elle est définitive, irrémédiablement inscrite sur la copie. Cette modification du rapport des élèves aux apprentissages rend la transmission bien plus efficace.

En cas de dyspraxie ou de dyslexie, un simple petit logiciel adossé à un logiciel libre de traitement de texte permet de séparer et de colorer les syllabes, de sorte que des élèves dont le rythme d'apprentissage diffère peuvent suivre la même leçon.

Je suis également très convaincu des bienfaits du dispositif numérique « D'Col » que nous expérimentons auprès des élèves en difficulté : il permet de rattraper des retards constatés en primaire ou à l'entrée au collège, donc d'assurer une scolarisation normale à des élèves en décrochage.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous devons investir dans le numérique.

S'agissant des rythmes scolaires, l'argument central de l'opposition est que la réforme créerait des inégalités, en particulier selon les moyens que les collectivités peuvent consacrer aux activités périscolaires. Je veux tordre le cou à l'idée selon laquelle un projet périscolaire serait classé « bon » ou « mauvais » au vu de la richesse de la commune, de sa taille ou de sa couleur politique. Le principal critère appliqué est l'existence d'un projet éducatif, qui facilite la mise en oeuvre de la réforme des rythmes. Voilà pourquoi j'ai ouvert autant que possible ma porte aux nouveaux élus qui, à la faveur de l'alternance, ont voulu revoir la copie ou, découvrant une copie blanche, se sont saisis de l'organisation des rythmes.

En revanche, je ne renoncerai pas à la compétence de l'État en la matière. Car si nous laissions le libre choix aux collectivités, il y aurait encore plus d'inégalités. Le libre choix que vous proposez, c'est l'inégalité partout : entre les riches et les pauvres, entre ceux qui ont les moyens de porter un projet et les autres, entre les collectivités fortes d'un important tissu associatif ou sportif et les autres, bref entre ceux qui pourront construire un PEDT solide et ceux qui ne le pourront pas.

Et cette inégalité nuirait surtout aux enfants, dont les rythmes d'apprentissage varieraient en fonction de la concertation organisée sur le terrain entre les parents d'élèves, les enseignants et les maires, mais aussi de la bonne volonté de telle ou telle équipe municipale. De sorte que le système susciterait l'opposition des professeurs, certes, mais, immédiatement après eux, des parents d'élèves.

De l'avis des chronobiologistes, c'est en scolarisant les enfants le samedi matin plutôt que le mercredi matin que l'on répartit les neuf demi-journées de classe par semaine de la manière la plus favorable aux apprentissages. Mais ce choix peut avoir des conséquences notables sur l'organisation familiale lorsque les parents sont divorcés et lorsque la famille est recomposée. Voilà pourquoi le mercredi matin sera souvent privilégié.

À propos des rythmes scolaires, nombre d'entre vous me disent que je suis sympathique alors que mon prédécesseur ne l'était pas. Je pourrais en être flatté, si je ne soupçonnais pas que cela n'aura qu'un temps. Quoi qu'il en soit, ce n'est ni vrai ni correct vis-à-vis de Vincent Peillon. Celui-ci a fait le choix tout à fait inédit de soumettre à la discussion l'organisation du temps scolaire, qui, relevant de l'État, aurait pu être appliquée purement et simplement. Il l'a fait car nous avions pour ambition – une ambition que nous devrions tous partager – l'extension du domaine du service public d'éducation, pour reprendre l'expression employée par plusieurs acteurs du monde éducatif. Il fallait donc ouvrir à la discussion avec les communes, les parents d'élèves et les enseignants la question des apprentissages dans le cadre des activités périscolaires. Celles-ci peuvent par exemple s'articuler aux « mercredis neige » cités par Mme Dion.

Je ne peux donc pas laisser dire que la concertation n'a pas eu lieu. Elle a commencé début 2013 et s'est poursuivie, bien qu'interrompue par la campagne pour les élections municipales.

Vient toutefois un moment où le gouvernement doit prendre ses responsabilités et exercer sa compétence : l'organisation du temps scolaire. Nous en avons donc fixé les principes, après quoi j'ai pris un décret d'assouplissement, critiqué par les partisans de la réforme dans son épure initiale comme par les défenseurs de l'assouplissement qui ont jugé que je n'allais pas assez loin. Mais ce décret était nécessaire pour débloquer certaines situations, notamment en zone rurale, où de petites communes et certaines intercommunalités ont besoin de concentrer le temps périscolaire sur une après-midi, de manière à mutualiser les intervenants, souvent les mêmes au sein d'une intercommunalité donnée. Cela permet de réaliser des économies d'échelle et d'assurer la qualité des activités.

Nous avons aussi intégré des expérimentations qui avaient précédé la réforme et qui donnaient de bons résultats, par exemple à Épinal, sous l'égide d'un député-maire UMP qui faisait valoir à juste titre l'intérêt de l'enfant. En revanche, il m'a fallu dire à M. de Mazières que ses propositions étaient « hors des clous » : elles conservaient la semaine de quatre jours au lieu d'ériger en principe les cinq matinées d'école hebdomadaires, puisque seul un samedi sur deux était travaillé. Nous avons étudié la question ensemble jusqu'au moment où nous avons constaté un désaccord.

Je le dis cependant à M. de Mazières comme à tous les maires : le 6 juin, le directeur académique des services de l'éducation nationale arrêtera l'organisation du temps scolaire, mais il restera possible d'ouvrir une nouvelle période d'expérimentation à la rentrée suivante, à la lumière de l'expérience que vous en aurez faite et toujours sur le fondement des décrets existants.

Le financement de la réforme est en fait double. La partie pérenne est constituée du financement par les caisses d'allocations familiales, soit 54 euros par enfant, dont bénéficient les activités périscolaires que les CAF ont labellisées en fonction de plusieurs critères – niveau des encadrants, taux d'encadrement, etc. J'ai demandé à la CNAF de simplifier ces critères afin qu'il ne soit pas nécessaire de constituer un dossier par école. Comme l'a dit Benoist Apparu, il faut aussi oeuvrer au niveau interministériel pour clarifier les niveaux d'intervention et éviter ainsi doublons et confusion.

Quant au financement par le fonds d'amorçage, prévu pour l'année scolaire 2014-2015, il représente 50 euros par enfant pour tous les enfants, qu'ils participent ou non aux activités périscolaires, auxquels s'ajoutent 40 euros en zone de revitalisation rurale ou en zone urbaine sensible. Il sera prolongé en 2015-2016. Le Premier ministre rendra des arbitrages sur son montant. Il n'est pas dit qu'il faille aider de la même manière toutes les communes, riches ou non, qui font payer ou non, et quel que soit leur projet. Mais il ne m'appartient pas d'évaluer celui-ci : l'essentiel, pour moi, ce sont les cinq matinées d'école, une organisation scolaire propice aux apprentissages et un niveau d'activités périscolaires qui tende vers un optimum local, grâce à une discussion avec tous les acteurs, dont les mouvements d'éducation populaire et les mouvements sportifs.

À ce propos, monsieur Juanico, j'ai parlé avec les représentants du Comité national olympique et sportif des activités sportives nouvelles, jusqu'alors confidentielles, que la réforme permet de proposer dans le cadre des activités périscolaires. Cela permettra de détecter des talents bien plus tôt et de former des champions dans des disciplines où nous n'en avions pas. Le milieu sportif est très intéressé.

Cela dit, le mouvement d'éducation populaire, le mouvement associatif, le mouvement sportif ne sont plus aussi solides financièrement que par le passé. Pourquoi ? Parce que leur mode de financement repose de plus en plus sur la mise en concurrence et les appels à projet, et de moins en moins sur la subvention. Par voie de conséquence, les acteurs associatifs sont moins nombreux, notamment dans les territoires les plus en difficulté, et la structuration qu'ils apportent sur le terrain moins performante – même si, en contrepartie, leur professionnalisation croissante permet de satisfaire les demandes des familles et des maires.

J'en viens aux « ABCD de l'égalité », à propos desquels un grand journal du matin – sans doute le journal qui aura consacré le plus d'articles au sujet – s'est fait récemment, en effet, l'écho de rumeurs. Dans cette affaire, quel est mon objectif ? Faire en sorte que la culture de l'égalité et la lutte contre les stéréotypes sexistes s'enracinent à l'école et que l'orientation scolaire des garçons et des filles ne dépende pas de préjugés sexistes, de l'idée que certaines formations, certains métiers seraient sinon réservés aux filles ou aux garçons, du moins davantage faits pour les unes ou pour les autres ; et aussi, enseigner le respect mutuel.

Aujourd'hui, au collège, certaines jeunes filles adoptent des stratégies d'évitement en s'abstenant de participer aux sorties scolaires ou aux cours d'éducation physique et sportive. Or ces activités sont censées contribuer à l'épanouissement des élèves, à leur émancipation, à leur apprentissage du libre arbitre, sans parler de l'acquisition de connaissances que nous jugeons indispensables. Cette tendance est d'autant plus préoccupante qu'elle s'accentue, même s'il ne s'agit en rien d'un phénomène de masse. Nous devons la prendre au sérieux.

L'égalité, ce n'est pas l'indifférenciation. C'est ma conviction profonde. Et ce n'est pas l'indifférenciation que l'on enseigne aujourd'hui à l'école. Avec les « ABCD de l'égalité », nous n'avons aucunement voulu introduire une quelconque « théorie du genre » à l'école. Il faut cesser de représenter ces instruments pédagogiques comme ce qu'ils ne sont pas. Cela étant rappelé, je tiens compte de ces représentations. En disant cela, je ne m'adresse pas ici à certains groupes qui, sous prétexte de remettre en cause la théorie du genre, attaquent le principe même d'égalité entre les hommes et les femmes. Mais, dans une société où les écoutilles sont fermées, le principe d'égalité doit être enseigné de telle manière que l'objectif prime sur l'objet lui-même. Or mon objectif, dans le cadre de la refonte des programmes, est, je le répète, de faire en sorte que la culture de l'égalité et le respect mutuel s'enracinent au primaire.

Nous verrons ce que donnera l'évaluation des « ABCD » par l'inspection générale. Je ne transigerai pas sur l'objectif ; quant aux voies et moyens utilisés pour y parvenir, j'en discuterai avec le Premier ministre à la lumière de l'évaluation et des propositions formulées par le CSP. J'espère avoir rassuré celles et ceux qui pensaient que nous allions renoncer à notre objectif – si du moins ils étaient véritablement inquiets, et non simplement opposés à l'idée même que l'on puisse parler d'égalité, enseigner l'égalité à l'école.

Je veux dire à Benoist Apparu que les ESPE, sur lesquelles plusieurs d'entre vous m'ont interrogé, sont très préférables à ce qu'il y avait avant elles.

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