Intervention de Béatrice Giblin

Réunion du 4 juin 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Béatrice Giblin, géographe :

La géopolitique régionale et locale fonde l'analyse non seulement sur des considérations économiques, sociales et culturelles, mais aussi sur les rivalités de pouvoir qui s'exercent pour le contrôle des territoires. Comme en matière de géopolitique internationale, les stratégies de conquête et les luttes de pouvoir permettent bien souvent d'expliquer certaines situations de blocage ou certaines aberrations.

La carte des régions dessinée par le Président de la République en est la parfaite illustration : la réforme territoriale ne peut pas être dissociée du contexte politique local. En cela, elle est bien géopolitique. La meilleure preuve est le cas de l'Alsace. Les promoteurs de la réforme affirment vouloir préserver l'identité régionale. Jean-Yves Le Drian, militant de la cause régionaliste, a ainsi obtenu que sa Bretagne reste seule : le département de la Loire-Atlantique aurait pu être adjoint à cette dernière, si le choix avait été fait de démanteler les régions, mais cela aurait à coup sûr empêché la réforme de voir le jour et la sagesse l'a emporté. Pour justifier la fusion de l'Alsace et de la Lorraine, on invoque la nécessité d'unir les régions qui ne comptent que deux départements : mais cette règle n'a prévalu ni pour le Nord-Pas-de-Calais ni pour la Corse. En vérité, si l'intégrité de l'Alsace n'est pas préservée, outre qu'elle est actuellement la seule région de droite, c'est parce que personne n'a défendu la nécessité de maintenir la solidarité et la dynamique nées de l'identité alsacienne. L'Alsace-Lorraine est une représentation héritée de l'annexion par l'Allemagne, en 1871, de l'Alsace et de la partie de la Lorraine de langue germanique, mais cet ensemble ne coïncide pas avec la réalité actuelle de ces deux régions. Même si elles sont toujours associées dans l'imaginaire national, on aurait pu songer à réunir Lorraine et Champagne-Ardenne, et à laisser l'Alsace seule au nom de l'identité régionale.

La France serait irréformable à cause de ses 36 700 communes. C'est faux. Certes, depuis 1982, le découpage territorial n'a pas été modifié, mais de nombreuses réformes ont été menées. Cependant, la fusion des communes se heurte à deux difficultés : l'histoire politique des communes liée à la Révolution française, où elles ont remplacé les paroisses, et leurs fonctions régaliennes, notamment d'état civil. La France représente un vaste territoire, le plus grand de l'Union européenne, avec parfois de faibles densités, ce qui justifie une organisation différenciée.

J'en reviens à notre sujet : quelle réforme territoriale pour quels territoires ? Je devrais dire : pour quels objectifs ? Les économies, grâce à la chasse aux doublons, sont constamment mises en avant. La réforme permettra certes d'en réaliser, mais elle occasionnera de nouvelles dépenses. En outre, il me semble que les collectivités territoriales ne sont pas nécessairement responsables de la dette de l'État. Je rappelle qu'elles ne peuvent emprunter que pour couvrir des dépenses d'investissement. De même, la France a beaucoup changé grâce au travail de ces fonctionnaires territoriaux qu'on accuse de peser sur les budgets.

La France a-t-elle besoin de grandes régions pour faire face à la concurrence de ses voisins ? Les Länder, qui sont régulièrement cités en exemple, ont pour la plupart été délimités par les Alliés victorieux de 1945 ; ils ont des tailles très variées. Certains, comme le Land de Hambourg, sont fort petits. Or, les Allemands ne passent pas leur temps à s'interroger sur le découpage de leur territoire.

Les métropoles étant censées jouer le rôle de locomotives du développement économique régional, chaque nouvelle région devrait donc en compter une. Or la future région regroupant Poitou-Charentes, Centre et Limousin, en est dépourvue. À l'inverse, la fusion de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon ferait coexister deux métropoles, ce qui risque de poser un problème de prépondérance. Cette fusion ne s'explique d'ailleurs que par le décès de Georges Frêche, qui ne l'aurait jamais acceptée.

Paris a bloqué, involontairement, le développement de métropoles régionales dans sa périphérie, à l'exception de Rouen. Pourquoi Lille ne fait-elle pas partie des métropoles à statut particulier, à l'instar de Lyon, Paris et Marseille, puisque sa communauté urbaine compte 1,2 million d'habitants ? La lecture politique de l'absence de Lille est indispensable.

Le seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités, prenant la relève des départements, est un bon principe, car il peut contribuer à rationaliser le maillage communal. Je précise tout de même que nous ne sommes pas le seul pays d'Europe confronté à l'éparpillement des communes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion