Intervention de Gérard-François Dumont

Réunion du 4 juin 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Gérard-François Dumont, géographe :

Alors que nous commémorons le centième anniversaire de l'assassinat de Jean Jaurès, je citerai l'une de ses formules célèbres : « Le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel. » Pour comprendre le réel, il paraît nécessaire de répondre à dix questions.

Un projet semblable de réduction du nombre de régions est-il envisagé ailleurs ? Existe-t-il un autre pays démocratique qui envisage de réduire d'un tiers le nombre de ses régions ? La réponse est : nulle part.

Les régions sont-elles plus vastes dans les autres pays européens ? La taille moyenne des régions françaises est supérieure à celle des Länder. Dans les pays alentour, de nombreuses régions sont plus petites que la plus petite des régions françaises, à savoir l'Alsace. La réforme prévoit pourtant d'agrandir encore les deux régions les plus importantes, Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées, comme si la grande taille procurait automatiquement des avantages.

Les régions sont-elles plus peuplées dans les autres pays d'Europe ? Beaucoup de régions européennes, et certains États américains – le Dakota du Nord, le Vermont et le Wyoming –, sont moins peuplés que le Limousin, région française la moins peuplée.

Les régions actuelles ont-elles une identité ? Elles ne sont pas nées sous X. Leur dénomination en témoigne : le nom de treize régions renvoie à l'histoire ; le nom de trois régions, sur les quatre qui sont désignées par deux noms accolés, comporte au moins une dimension historique ; enfin, trois régions portent un nom qui correspond à l'addition d'anciennes provinces. Cela nous rappelle que, en 1790, les limites géographiques ont été fixées selon les convenances locales. Notre découpage régional est l'héritage de cette longue histoire. Une seule région – les Pays de la Loire – est marquée par une identité plus faible : cependant, il n'est pas proposé de la redécouper.

Existe-t-il un optimum régional ? J'ai publié, en 2006, un article intitulé « L'optimum régional ou le sexe des anges », qui demeure d'actualité, car il n'y a pas d'optimum régional. Ainsi, en Espagne comme en Italie, le taux de chômage est plus faible dans les petites régions, tandis que l'Allemagne connaît des situations très diverses. La réforme fixe un seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités afin de garantir l'attractivité et l'emploi, mais l'optimum local n'existe pas non plus. Un seuil de 20 000 habitants ne signifie rien. En observant la carte des territoires qui ont révolutionné leur économie, vous constaterez que leurs dimensions sont très variables : on recense des communes de 200 habitants qui parviennent à stimuler leur activité.

Le millefeuille, si indigeste, est-il un mythe ou une réalité ? Il relève, dans une certaine mesure, du mythe, car tous les pays étrangers connaissent, pour des raisons géographiques, des échelons territoriaux différenciés qui permettent d'apporter une réponse adaptée à chaque problème : ce ne sont pas les mêmes échelons qui doivent décider de la construction d'une école maternelle et de la localisation d'une gare TGV. Le millefeuille est donc très répandu : l'organisation de la Bavière est particulièrement difficile à comprendre, mais le taux de chômage y est de 3,1 %. En Chine, cinq niveaux de collectivités territoriales coexistent avec une diversité au sein de chaque niveau. Le millefeuille n'est pas une spécificité française, mais il y est compliqué par la multiplication des types d'intercommunalités.

La refonte de la carte des régions sera-t-elle source d'économies ? Une telle réforme entraîne d'abord des coûts directs. Quatre ou cinq ans seront nécessaires pour fusionner les régions et aligner les conditions des personnels sur le statut le plus avantageux. Or on observe déjà une baisse de la productivité des agents territoriaux qui s'interrogent sur leur avenir. Des coûts indirects sont également à prévoir : le temps que les élus et leurs collaborateurs consacreront au meccano institutionnel manquera pour l'essentiel de leur tâche, à savoir développer l'attractivité du territoire. Cette réforme pourrait également s'avérer coûteuse une fois mise en oeuvre : d'une part, en vertu de la loi de Parkinson, les coûts de structure croissent avec la taille puisque des services de coordination et des administrations relais sont nécessaires ; d'autre part, les régions risquent de ne plus avoir le temps de se consacrer à des tâches structurantes et à l'investissement. Trop occupées par la gestion quotidienne, elles délaisseront l'aménagement du territoire.

Le regroupement des régions sera-t-il favorable à leur développement ? Les exemples récents montrent le succès du local. Pour s'investir dans leur territoire, les gens ont besoin de s'identifier à lui. L'intégration est-elle préférable à l'émulation ? Le Futuroscope a créé, pour le département de la Vienne, une dynamique dont de nombreux élus se sont inspirés pour développer des projets. Il ne faut pas oublier non plus l'échec des villes nouvelles, créées ex nihilo.

La réforme peut-elle faciliter la transition énergétique ? Je suis sceptique. Comment mettre en synergie Lyon et Clermont-Ferrand, dont les régions sont fusionnées, alors que le trajet en train entre ces deux villes dure au minimum deux heures vingt-cinq ? Il ne faut pas négliger les risques écologiques, alors même que l'heure est au développement des circuits courts et de l'économie circulaire.

Enfin, y a-t-il un risque de double centralisation ? À la recentralisation nationale, avec la suppression des élus départementaux et le maintien des préfets, s'ajoutera une centralisation régionale, les grandes régions s'appropriant les réflexes jacobins et oubliant le principe de subsidiarité.

Pour aller à l'idéal, plusieurs autres pistes de réforme devraient être envisagées : démocratiser la décentralisation, décentraliser véritablement et faciliter la gouvernance des élus. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI)

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