Contrairement aux intervenants précédents, je me place du point de vue de la science politique et de la comparaison des systèmes d'administration en Europe. J'aurai donc un point de vue différent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)
Le modèle territorial français présente la particularité d'être resté en l'état depuis 1982. Il se caractérise par trois éléments historiques : d'abord le faible poids des dépenses publiques locales dans le PIB ; ensuite la très forte fragmentation des pouvoirs locaux, en particulier l'émiettement communal qui n'est pas sans lien avec l'inachèvement de la décentralisation – le processus de décentralisation a presque toujours été bloqué par l'insuffisante taille des collectivités ; enfin l'absence d'ordre dans les relations entre les différents niveaux : toutes les collectivités se trouvent formellement sur un pied d'égalité en raison du principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre, principe d'abord inscrit dans la loi puis dans la Constitution. De ce désordre, il résulte une efficacité médiocre et des coûts de coordination et de transaction élevés.
Ces trois caractéristiques historiques commandent un quadruple agenda.
En premier lieu, il convient d'augmenter la taille des collectivités en poursuivant quatre objectifs. Premier objectif, il faut atteindre une taille critique pour recevoir de nouvelles compétences. La taille est toujours un frein à la prise de responsabilité : on a pu observer récemment la réticence de certains présidents de petites régions à se voir transférer des compétences. L'accroissement de la taille des régions permet de sortir du modèle de cogestion trop systématique dans certains domaines de compétence. La recherche de la taille critique vaut également pour les intercommunalités dont certaines sont incapables de prendre en charge les attributions des conseils généraux. Le deuxième objectif est d'optimiser la fourniture des biens publics locaux afin d'en minimiser le coût. Le troisième objectif est d'éviter les effets de débordement, d'internaliser la gestion des externalités et de s'adapter à une société de mobilité. Le dernier objectif est d'assurer la péréquation. La gestion des services publics à plus grande échelle permet d'améliorer la redistribution, en mobilisant une plus grande capacité contributive, de réduire la concurrence fiscale et de résorber mécaniquement une grande part des inégalités de richesse. En effet, les disparités se développent fortement lorsque la taille des circonscriptions fiscales est réduite. C'est pourquoi je souscris à l'idée d'intercommunalités de plus de 20 000 habitants et de grandes régions.
En deuxième lieu, il faut modifier la répartition des compétences. Il ne me paraît pas déraisonnable de partager les compétences départementales au profit de trois entités distinctes : la région pour assurer la cohérence et les économies d'échelle, les intercommunalités pour la proximité, et l'État ; il ne me semble pas choquant que certaines responsabilités sociales des départements soient prises en charge par l'État ou par la sécurité sociale, puisque les pouvoirs locaux n'ont aucune maîtrise des prestations définies au niveau national.
En troisième lieu, une remise en ordre s'impose. Il faut dépasser le principe de non-tutelle et faire en sorte que l'éloignement ne nuise pas à la réactivité. Il faut parvenir à concilier l'impératif d'économies et de réduction des coûts de transaction et le besoin de proximité et de connaissance du terrain. La dévolution de compétences élargies à des régions de plus grande taille, qui les délèguent ensuite à l'échelon infrarégional, constitue une bonne formule. C'est celle qui a été choisie pour la réforme de l'administration territoriale de l'État ; elle s'est traduite par une diminution de plus de 150 000 équivalents temps plein au cours des six dernières années. La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles suit la même logique s'agissant des métropoles à statut particulier : la souveraineté est transférée à la métropole et l'exercice de certaines compétences est délégué à des territoires. Cette méthode est nécessaire pour faire cesser une concurrence inflationniste entre région et département. La fonction de péréquation et, plus généralement, les fonctions de solidarité doivent être confiées à l'échelon le plus vaste. À cet égard, la gestion du revenu de solidarité active (RSA) à l'échelle départementale ne me paraît pas appropriée, car elle est facteur d'inégalités.
Enfin, le découpage de la carte des régions doit être revu. La proposition du Président de la République semble aller globalement dans le bon sens. Outre la taille des nouvelles régions, deux règles semblent avoir présidé à l'établissement de la nouvelle carte : la première qui consiste à prendre en compte l'aire de rayonnement des métropoles ou, à défaut, des grandes agglomérations ; en la matière, il est possible de mieux faire. Seconde règle, fusionner des entités existantes et refuser la vente à la découpe des régions ; cette mesure de précaution est bienvenue pour accroître les chances de réussite de la réforme. Dans le cas contraire, les régions risquaient de revendiquer les départements les plus riches et ceux qui votent dans un sens favorable au pouvoir en place.
Je note néanmoins deux anomalies : le Nord-Pas-de-Calais qui fait figure de microrégion, et la macrorégion rassemblant Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon pour laquelle la présence de deux métropoles risque de poser problème. Sous réserve de quelques ajustements, la démarche me semble aller dans le bon sens.
En conclusion, je recommande de privilégier un paysage institutionnel à trois niveaux, qui correspond au modèle le plus répandu en Europe.