Vous avez bien compris que, dans mon exposé liminaire, je n'ai pu qu'établir le diagnostic de la situation. Il est vrai que des élus se sont montrés réticents à l'évolution de la décentralisation à partir des années 2000, pour la simple raison qu'ils avaient vécu la première décentralisation au cours de laquelle l'État n'avait pas toujours reversé les moyens dont il disposait alors que, dans le même temps, il transférait des compétences.
Je l'ai vécu moi-même en tant que recteur. Dans l'académie où j'exerçais mes fonctions, le taux de croissance de la population scolaire était très important et j'ai fini par manquer de personnel. J'ai découvert que je pouvais disposer de personnels détachés depuis presque vingt ans – soit après les premières lois de décentralisation – à la direction départementale de l'équipement pour s'occuper des collèges et des lycées – relevant aujourd'hui, en l'occurrence, du conseil général des Alpes maritimes et du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur. J'ai écrit au directeur départemental de l'équipement pour lui demander le retour de ces personnels. Je pensais qu'il me proposerait de me les rendre progressivement. Or il me les a renvoyés d'un coup. J'ai procédé de la même manière avec le département du Var et j'ai ainsi récupéré, en un instant, vingt personnes qui ne faisaient rien depuis vingt ans ! La résistance des élus à l'acte II de la décentralisation est liée au fait qu'ils ont vécu cette grande difficulté.
Ensuite, je suis d'accord sur la nécessité de clarifier les compétences. Il faut réaliser un audit très précis des doublons non seulement entre communes, intercommunalités, départements et régions, mais aussi et surtout de doublons avec l'État dont les services ont conservé des personnels qui ne sont plus censés assumer des compétences qu'il a transférées.
Enfin, les dernières élections, dont je déplore les résultats, ont mis en évidence la question de l'intercommunalité : nos concitoyens, qui n'ont rien contre la mutualisation de certains services, exigent qu'elle se traduise par une diminution des impôts locaux et par une amélioration des services publics. Or ils ont constaté que l'intercommunalité a donné des effets inverses. Elle a été imposée de façon jacobine. Cela m'a conduit, après plusieurs visites dans les territoires français, à dresser une typologie des intercommunalités.
Le premier type est l'intercommunalité centralisatrice qui, donc, a la volonté de tout centraliser, y compris des détails qui devraient relever de telle ou telle commune.
On a ensuite l'intercommunalité consensuelle : l'État a promis de l'argent aux communes qui se mettaient ensemble sans qu'elles définissent pour autant de projets collectifs. Ainsi, quand la ville de Nice a souhaité obtenir le statut de métropole, il était écrit noir sur blanc sur son site internet que c'était pour toucher davantage de dotations financières.
Enfin, l'intercommunalité subsidiaire est malheureusement minoritaire. Ici, les communes rassemblées décident d'avoir un projet commun, et c'est au niveau de l'intercommunalité que sont gérés les problèmes communs à l'ensemble des territoires concernés, mais où prévaut une logique de subsidiarité : l'intercommunalité renvoie même de l'argent aux communes si nécessaire pour la réalisation de projets à l'échelon inférieur.
Il serait très important d'évaluer l'intercommunalité. Vous savez fort bien que le nombre de fonctionnaires de la fonction publique territoriale, au sein des communes et des intercommunalités, a augmenté sans que les citoyens constatent une amélioration des services publics.
Martial Saddier a évoqué l'état d'esprit des Français. Il ressort de tous mes déplacements qu'ils me paraissent dubitatifs : cette réforme ne passe pas comme une lettre à la poste. Certains journalistes pensaient qu'elle serait acceptée d'emblée et n'envisageaient pas d'en parler ; désormais je suis appelé par cinq journalistes chaque jour.
La France ne cesse d'opposer Girondins et Jacobins. Je rappelle que les cahiers de doléance de 1789 étaient girondins, mais que ce sont les Jacobins qui l'ont emporté en utilisant des moyens coercitifs – je vous renvoie au monument de Bordeaux ou à ce qui s'est passé à Lyon et qui a provoqué la mort de milliers de personnes. Or la logique jacobine continue d'exister : un certain nombre de représentants de la haute fonction publique n'a jamais accepté la décentralisation. Depuis 1982, de nombreuses décisions de recentralisation ont été prises, la plus importante ayant été la recentralisation fiscale de la fin des années 1990 avec la fin de l'autonomie fiscale des régions – si bien que les citoyens ne savent pas combien leur coûte leur région, puisque les impôts locaux régionaux qu'ils paient ne représentent qu'une part minoritaire des recettes régionales.
Ces décisions de recentralisation se constatent au niveau intercommunal. La région est en effet chargée de l'aménagement du territoire. Qui devrait être responsable de la carte de l'intercommunalité ? Évidemment la région. Or on a décidé que ce serait l'État, à travers ses préfets qui auraient la science infuse en la matière. Or – il faut dire les choses crûment – le sous-préfet s'intéresse plutôt à la façon dont il pourra être nommé préfet grâce aux relations qu'il entretient à Paris, le préfet n'exerce ses fonctions dans un département que temporairement, alors que le conseiller général, le conseiller régional et le député connaissent le territoire par coeur et ont vocation à réfléchir au long terme. Les très nombreuses décisions de recentralisation posent donc un réel problème. (Applaudissements)
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la question des communes. Ici aussi, comme disait Jaurès, il faut comprendre le réel. La taille des communes est très différente selon les départements. La France était jusqu'au XIXe siècle le pays le plus peuplé d'Europe, deux à trois fois plus que les pays voisins. Les paroisses correspondaient ainsi aux besoins d'un pays à très forte densité. Si, dans le Nord-Pas-de-Calais, les communes sont beaucoup plus petites que dans le département des Landes, c'est parce que le peuplement y a justifié une organisation territoriale plus serrée.
La plupart des communes étant de nos jours faiblement peuplées, faut-il pour autant les supprimer ? Elles ne coûtent pas cher : la quasi-totalité des conseillers municipaux agissent gratuitement pour le bien-être de leurs concitoyens. Les supprimer empêcherait les habitants de ressentir leur identité communale. Ceci ne signifie pas qu'on ne peut pas imaginer que les communes n'aient plus de budget. Il s'agirait de rendre des services de proximité comme le font tous les conseillers municipaux dans les communes rurales. Reste qu'il faut absolument garder le niveau communal où l'on continue de prendre des initiatives fondamentales, dans le monde rural comme dans le monde urbain.
Certains d'entre vous ont évoqué l'Europe des régions. S'agit-il d'un scénario souhaitable, possible ? J'ai publié une étude sur les régions d'Europe montrant une très grande diversité institutionnelle. Aussi le scénario d'une Europe des régions n'est-il pas viable parce que les régions sont tantôt entre guillemets, si je puis dire, tantôt entre tirets, et donc très importantes – comme dans les États fédéraux. Le « Comité des régions » de l'Union européenne n'est d'ailleurs pas un comité des régions, mais un comité des collectivités territoriales, car l'échelon régional est fondamentalement différent d'un pays à l'autre.
Tous les exemples de réussite locale que j'ai donnés sont des exemples de croissance endogène, ceux de gens qui se sont mobilisés pour dynamiser leur territoire.
L'attachement identitaire est fondamental pour la dynamique territoriale. Ainsi, bien que dépourvu de métropole, le Puy-de-Dôme compte deux grandes entreprises internationales : Michelin et Limagrain – troisième producteur mondial de semences. Comment l'expliquer ? Les dirigeants de ces entreprises sont attachés à leur territoire et tiennent à rester dans cette dynamique favorable à l'Auvergne. S'ils obéissaient à une logique financière, ils auraient vendu leur entreprise, qui ne serait plus française, et ils vivraient de leurs rentes. Il paraît essentiel d'insister sur cette dimension identitaire forte et sur le fait qu'il n'est pas nécessaire pour une entreprise d'évoluer dans une métropole pour avoir une dimension internationale – et j'aurais pu aussi évoquer le groupe Bénéteau ou d'autres exemples d'entreprises internationales très connues dont le siège social n'est pas dans une métropole. Règne en France une idéologie métropolitaine. Or les résultats des métropoles sont très différents en Europe. L'attractivité d'un territoire n'est pas fonction de l'existence d'une métropole.
J'ai évoqué les Pays de la Loire de façon quelque peu provocatrice. Débattre du découpage revient sans doute à discuter du sexe des anges, mais avec des conséquences qui peuvent se révéler dommageables pour les territoires. La région des Pays de la Loire recèle des forces centrifuges qui justifient certainement le maintien des départements. La meilleure preuve en est que les échanges économiques entre la Loire-Atlantique et la Vendée ne sont pas extraordinaires en raison de réalités locales très fortes qui se traduisent d'ailleurs par de faibles taux de chômage – d'où la nécessité de tenir compte de ces réalités culturelles. Prenons à cet égard les chiffres de la Vendée : son taux de chômage était très faible en 2007 ; il a augmenté avec la crise, mais les entreprises locales se sont très rapidement réadaptées et il a diminué. Il faut toujours avoir présent à l'esprit que le taux de chômage national n'est que la moyenne de taux de chômage très différents selon les territoires. C'est ce qui m'amène à considérer qu'il y a de petites Allemagne en France et de petites France en Allemagne – puisqu'en Allemagne aussi le chômage, dans certains territoires, est élevé. Il ne faudrait pas qu'une centralisation sur une capitale régionale fasse fi des succès de certains départements.
En ce qui concerne le mode de scrutin régional en vigueur, sauf à choquer, il faut bien admettre qu'il favorise un système d'apparatchiks. Il s'agit certes d'hommes et de femmes comme les autres qui pensent au bien commun, mais qui sont souvent contraints par les objectifs de leur parti politique plus que par le souci de la région. Le mode de scrutin actuel n'est donc pas propice à la démocratie. Il paraît essentiel que les élus soient des élus de terrain, de terroir, pour qu'on sache qui ils représentent. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI)
L'addition réglementaire, évoquée par l'un d'entre vous, est en effet extraordinaire. Si les collectivités territoriales ont des coûts relativement élevés, c'est parce qu'elles sont obligées de respecter des réglementations trop complexes. Si l'on veut créer une crèche de cinquante berceaux, l'épaisseur du dossier ne sera pas de cinq centimètres, mais de plus de deux mètres ! Il faut donc mener un travail de simplification des réglementations.
Le risque de centralisation est réel. Par exemple, dans la périphérie de la région Rhône-Alpes, on a le sentiment que la région est le moyen pour Lyon de dominer l'ensemble du territoire.
Ce qui est important, comme l'a souligné David Douillet, ce sont le développement économique et la lutte contre le chômage, qui supposent que l'État améliore le cadre permettant aux élus de mieux gouverner leur territoire, et donc abolisse des règles qui les en empêchent. Cela suppose le développement de la concertation et une clarification des compétences – préférable à une suppression de la clause de compétence générale.