Intervention de Béatrice Giblin

Réunion du 4 juin 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Béatrice Giblin, géographe :

Quels sont les objectifs de la réforme territoriale ? Simplification, économies, proximité… certes. Mais la question fondamentale est de savoir quel type d'État on veut : si l'on institue de grandes régions pourvues de forts budgets et de compétences importantes, on sera, qu'on le veuille ou non, plus près d'un État fédéral que de notre État centralisateur. C'est peut-être une très bonne chose, mais il convient de lancer ce débat et de ne pas engager cette réforme comme si elle ne devait pas avoir ce type de conséquences. Il ne s'agit pas d'une réforme d'ordre technique, mais bien d'ordre politique.

Considérer que les communes et les départements correspondraient à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, et que les intercommunalités et les régions seraient seules adaptées au XXIe siècle, relève d'une pensée d'experts, hauts fonctionnaires comme universitaires, alors que la situation est beaucoup plus politique. On n'aura pas tout résolu parce qu'on aura supprimé les départements et fusionné les communes.

La question de la représentativité démocratique des intercommunalités – destinées à être renforcées – est revenue dans de nombreuses interventions. La réforme semble prévoir qu'on regrouperait les communes afin d'atteindre un seuil de 20 000 habitants. S'agit-il d'un bon chiffre ? Sans doute pas, puisqu'il conviendra ici quand le seuil de 5 000 habitants sera préférable là. C'est seulement après avoir réalisé un diagnostic précis des densités de population, des flux des bassins de vie et des modes de vie, qu'il faudra penser l'intercommunalité. Fixer un seuil unique de 20 000 habitants relève d'une vision technocratique. La France n'est pas un espace-plan sur lequel dessiner ce qui nous donne l'impression, selon notre vision cartésienne, que tout est clair et net. Il faut s'adapter aux caractéristiques historiques, géographiques, culturelles et même politiques des territoires.

Pour ce qui est du système électoral, M. Dumont s'est montré très favorable à ce qu'un élu représente un territoire. J'y suis beaucoup plus réticente. L'idée que seul un homme puisse incarner un territoire fera du président d'une région puissante un petit Président de la République. La personnalité d'un individu risque de peser très fort. Or la démocratie me semble devoir supposer un minimum de proportionnalité. Notre histoire politique n'est certes pas celle de la négociation ou du consensus. Ainsi, l'expérience de la IVe République a semblé abominable alors qu'elle n'a pas été sur bien des plans aussi négative. La logique de la Ve République implique qu'on dégage de fortes majorités pour pouvoir agir, logique qu'on retrouve à tous les niveaux. C'est le cas avec la réforme de l'Université : il n'y a plus d'opposition, plus de contre-pouvoir. Or la question des contre-pouvoirs est fondamentale. Il n'est pas de démocratie sans contre-pouvoirs et, en effet, la presse quotidienne régionale n'en est pas un. Il faut réfléchir aux lieux de débat et d'information ouverte. Le scrutin proportionnel présente l'avantage de donner la parole à des opposants qui peuvent construire des projets communs et porter des débats sur la place publique. Nous, Français, devons apprendre à travailler dans le consensus, la négociation pour, ensuite, avancer ensemble. Le succès de la réforme territoriale n'est pas seulement fonction du choix de tel meccano, mais aussi de choix en matière de culture politique. C'est le moyen d'éviter les phénomènes de recentralisation au niveau régional à cause desquels on s'éloignera de nouveau des citoyens. Les derniers scrutins, municipal et européen, doivent nous faire réfléchir sur le sentiment de perte de repères éprouvé par nos concitoyens.

La complexité réglementaire, pour sa part, est imputable à notre culture de la défiance, le clivage droite-gauche n'y entrant pour rien. Nous produisons un grand nombre de règles au nom, d'une part, de l'égalité – elles servent de garde-fou –, et, d'autre part, parce que nous ne savons pas faire confiance. La haute fonction publique française, qui a une très haute image d'elle-même – parfois à juste titre –, a toujours considéré les élus territoriaux moins compétents qu'elle. Les collectivités territoriales sont sans cesse brocardées par ceux qui sont passés par Sciences Po et l'ENA : elles coûteraient cher, compteraient trop de fonctionnaires territoriaux, seraient égoïstes, ne négocieraient pas entre elles.

Or la clause compétence générale a permis la réalisation du Louvre à Lens – plus d'un million de visiteurs en moins d'un an ! Si la région, les communautés d'agglomération, le département du Pas-de-Calais, ne s'étaient pas mis autour de la table, aurait-on pu réunir les 150 millions d'euros nécessaires à la construction du bâtiment alors que l'État n'a contribué qu'à hauteur de 2 millions d'euros ? Ce projet dynamise de façon remarquable le bassin minier. Sauf à vous choquer, il me paraît important de réunir les différents niveaux de collectivités pour porter ensemble des projets qui vont irriguer tout le territoire. C'est pourquoi je suis moins favorable que d'autres à l'idée selon laquelle tout irait pour le mieux si chacun restait chez soi – ce qui serait le meilleur moyen de créer de fortes tensions avec des métropoles très puissantes qui ne tiendraient dès lors aucun compte de ce qui se passerait autour d'elles dans la région.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion