Intervention de Patrick le Lidec

Réunion du 4 juin 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Patrick le Lidec, sociologue :

Il y a eu une continuité dans l'action des gouvernements successifs depuis cinquante ans en matière de réforme territoriale : tous ont cherché à promouvoir les intercommunalités au détriment des communes et les régions au détriment des départements. On peut ainsi considérer la loi Chevènement comme un avant-projet de la loi Perben. Cette continuité s'est traduite par une superposition des structures puisque, de deux catégories de collectivités, on est passé à quatre.

La France est le seul pays d'Europe à avoir une seconde chambre, le Sénat, dont le collège électoral est constitué de représentants des communes élus dans un cadre départemental – raison pour laquelle a été conservé ce tissu de 36 700 communes.

Il faut désormais en venir à une logique de soustraction et passer de quatre à trois voire à deux catégories de collectivités. On doit tenir compte de plusieurs indicateurs économiques. D'abord, nous avons un taux d'administration locale – à savoir un ratio entre administrateurs et administrés – deux fois plus élevé qu'en Allemagne. La dispersion de la population française a certes un coût, la population allemande habitant davantage les grandes villes, mais il faut tenir compte de l'existence, chez nous, de ces quatre niveaux de collectivités par ailleurs très largement concurrents. Je rappelle que l'augmentation nette des effectifs du bloc communal, au cours des dix dernières années, a été, par an, de 34 000 emplois à champs de compétences constants.

Qu'ont fait nos voisins ? Ils ont procédé à des fusions assez systématiques en deçà d'un certain seuil – en général de 500 habitants. Il y a une opportunité à saisir avec la proposition de loi Pélissard. Le président de l'Association des maires de France est ouvert à l'idée de fusionner les plus petites communes. Le fonctionnement des intercommunalités, surtout si on doit les porter à 20 000 habitants minimum, sera des plus complexes car, si chaque commune doit avoir un représentant, les assemblées seront pléthoriques. Nous devons donc, quand c'est possible, constituer de nouvelles communes ou fusionner, créer des intercommunalités d'au moins 20 000 habitants. Les comparaisons internationales permettent de mesurer quelles économies d'échelles sont susceptibles d'être réalisées en fonction de la taille des collectivités. Ces comparaisons dessinent une « courbe en U » qui montre des surcoûts pour les collectivités peuplées de moins de 50 000 habitants et pour celles qui en comptent plus de 50 000. La taille idéale de la collectivité de base est donc de 50 000 habitants.

On peut envisager une articulation différente entre pouvoirs communaux et intercommunaux. Le sens de l'histoire devrait conduire au transfert de la souveraineté communale vers le niveau intercommunal, qui déléguera ensuite des compétences de gestion de proximité. On pourra s'inspirer du modèle de Paris, Lyon et Marseille, où la souveraineté appartient à la ville qui délègue la gestion de certains équipements à ses arrondissements, manière d'optimiser l'organisation territoriale.

La carte proposée n'est certainement pas idéale, mais elle tient assez largement compte du rayonnement de certaines métropoles. Il est important de muscler notre organisation territoriale à partir des métropoles. Les chiffres sont clairs. Si l'on prend le cas de la seule métropole mondiale française, l'Île-de-France, elle représente 18 % de la population mais 30 % du PIB. Si l'on veut stimuler la croissance et assurer une redistribution vers d'autres territoires, il faut mettre l'accent sur certains investissements métropolitains pour rendre ces territoires attractifs et la vie plus confortable en matière de transports et de logement.

Il convient de mener une réflexion sur l'utilité sociale des investissements. Ainsi, le réseau routier français – on s'en rend compte une fois à l'étranger – est d'une exceptionnelle qualité dont on peut se demander si elle n'est pas le fruit de surinvestissements au détriment, par exemple, des investissements réalisés dans les universités, qui sont souvent dans un état de délabrement avancé. On note une insuffisance française des dépenses en recherche et développement, très nettement inférieures à ce qu'elles sont dans les pays d'Europe du Nord – ce qui explique le succès économique de ces derniers.

Pour ce qui concerne les modes de scrutin, le personnel politique marque une préférence générale pour le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, notamment pour la stabilité qu'il confère et pour l'indépendance qu'il donne vis-à-vis des organisations politiques. Toutefois, autour de nous en Europe, presque tous les pays – à l'exception du Royaume-Uni – utilisent des scrutins de liste ou des scrutins mixtes. Il me paraîtrait très intelligent que nous nous orientions vers un usage plus large du scrutin mixte, d'autant que la taille de nos collectivités est amenée à s'accroître et qu'il permettrait d'améliorer la représentation de la diversité des opinions politiques, de s'affranchir d'une culture d'affrontement.

La question des contre-pouvoirs au sein des collectivités recouvre un champ beaucoup plus vaste que celui des modes de scrutin. Pour en finir avec une anomalie française, nous devrions nous inspirer du modèle corse qui distingue les présidences de l'exécutif et de l'assemblée délibérante – exception qu'on retrouve au niveau national. Enfin, l'idée de confier la présidence de la commission des finances aux oppositions locales serait bienvenue, de même que l'idée de renforcer le statut des directeurs généraux des services en leur donnant des attributions propres.

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