Je souhaite rappeler, en six points, quelle est la contribution du combustible uranium à l'économie de la production d'électricité d'origine nucléaire, ainsi que ses spécificités par rapport à d'autres combustibles associés à des moyens de production d'électricité non intermittente.
Premièrement, comparé au pétrole, au gaz ou au charbon, l'uranium est un combustible à haute densité énergétique. Une tonne d'uranium naturel permet de produire la même quantité d'énergie thermique que 10 000 tonnes de pétrole, 10 000 tonnes de gaz naturel liquéfié ou 14 000 tonnes de charbon. Ainsi, alors que le fonctionnement d'un réacteur nucléaire d'à peu près 1 000 mégawatts électriques nécessite chaque année 150 tonnes d'uranium naturel pour son fonctionnement, il faudrait 1,5 million de tonnes de charbon pour produire la même énergie à partir d'une centrale à charbon supercritique.
Deuxièmement, l'uranium naturel est une matière première abondante dont les réserves se trouvent dans des zones géographiques nombreuses et variées. Les réserves prouvées – je parle de réserves conventionnelles – suffiraient à assurer environ cent ans de production, soit un rapport entre ressources et production comparable à celui du charbon alors que, pour le gaz et le pétrole, on ne dispose de réserves que pour cinquante à soixante ans.
Surtout, à la différence des autres modes de production d'énergie à base de combustibles fossiles – pétrole, gaz, charbon –, le rendement des réserves d'uranium naturel pourrait être considérablement accru grâce au développement de nouvelles technologies de réacteurs. Alors qu'aujourd'hui, on n'utilise que 1 % de l'uranium extrait des mines, on pourrait parvenir à en exploiter une part beaucoup plus grande : utilisées dans des réacteurs de quatrième génération à spectre rapide, les réserves prouvées d'uranium naturel représenteraient alors à peu près 5 000 années de production potentielle.
Comme je l'ai dit, les gisements d'uranium naturel sont bien répartis dans le monde, ce qui permet de diversifier et donc de sécuriser l'approvisionnement. Il existe trois grandes régions de production, la première en Amérique du Nord – principalement au Canada, mais aussi aux États-Unis – ; la deuxième en Australie, qui compte les plus grandes réserves mondiales ; et la troisième en Asie centrale et en Russie. Mais on trouve également de l'uranium naturel en Amérique du Sud et en Afrique.
Troisièmement, l'uranium naturel, avant d'être chargé dans le réacteur, passe par trois étapes de transformation – la conversion, l'enrichissement et la fabrication –, tous services disponibles en France et dont le poids économique est le double de celui de la production de matière première.
Cette dernière, extraite de la mine – le yellow cake –, est donc transformée dans une usine de conversion, puis dans une usine d'enrichissement, où elle est concentrée afin de porter de 1 % à 4 % la partie de l'uranium réellement combustible. Puis elle est mise sous forme de pastilles et conditionnée dans des tubes, lesquels seront insérés dans les assemblages de combustibles chargés dans les cuves des réacteurs.
Quatrièmement, pour sécuriser son approvisionnement et optimiser le coût de son combustible, EDF a développé une stratégie consistant à agir sur différents leviers. En premier lieu, l'entreprise intervient à chaque étape de la chaîne d'approvisionnement : elle achète l'uranium à la sortie de la mine, puis se procure auprès de différents industriels les services de conversion, d'enrichissement et de fabrication, avant de récupérer les assemblages de combustibles pour les mettre à disposition des centrales.
Il n'est pas sans intérêt de noter qu'elle a une certaine latitude pour arbitrer entre investissement dans la matière première et investissement dans l'enrichissement : elle peut charger les réacteurs, soit avec une plus grande quantité d'uranium naturel moins enrichi, soit avec de l'uranium plus enrichi mais en moindre quantité.
Les autres leviers sont la diversification des sources d'approvisionnement et la constitution de stocks de sécurité – des moyens classiques utilisés dans d'autres secteurs industriels –, ainsi que l'anticipation et la contractualisation à long terme sur chacun des segments de la chaîne d'approvisionnement, qui permettent de limiter considérablement les effets d'une volatilité des prix et, dans le meilleur des cas, d'obtenir un avantage économique sur la durée. Ainsi, au cours des dix dernières années, alors que le prix spot de l'uranium naturel a un peu plus que triplé en raison de l'entrée dans un nouveau cycle d'investissement minier, le coût de l'approvisionnement en combustible pour EDF – achat d'uranium, conversion, enrichissement et fabrication – a augmenté de moins de 20 %.
Cinquièmement, le coût complet du combustible nucléaire intègre les externalités. La production d'énergie nucléaire ne génère pas de CO2, mais des déchets hautement radioactifs. Après quatre ou cinq ans de production d'énergie au sein du réacteur, le combustible usé est traité à La Hague afin de séparer les déchets radioactifs ultimes des matières pouvant être recyclées – uranium résiduel et plutonium. Aujourd'hui, les assemblages à base de matières recyclées représentent environ 15 % des assemblages de combustibles chargés en réacteur.
Le traitement du combustible usé et les charges futures de gestion des déchets radioactifs sont provisionnés dans les comptes d'EDF et intégrés, en tant que coût « aval », au coût complet du combustible tel qu'il a notamment été rendu public par la Cour des comptes. Cela représente à peu près un quart du total, soit l'équivalent du coût d'acquisition de l'uranium naturel. De même, toujours grosso modo, la conversion et l'enrichissement représentent un quart du coût complet, le quart restant étant consacré à la fabrication.
Sixième et dernier point : par rapport aux autres sources d'énergie non intermittentes comme le gaz et le charbon, la part du combustible dans le coût de production est faible. Son coût complet – acquisition, transformation, coût aval – représente en effet environ 10 % du coût de la production nucléaire tandis que cette part est, hors coût du CO2, de 60 à 70 % du coût de production pour une centrale au gaz et de 30 à 40 % pour une centrale à charbon. Il en résulte que le coût de production de l'électricité d'origine nucléaire est beaucoup moins sensible aux incertitudes et aux cycles inhérents aux marchés de matière première. En outre, du point de vue macroéconomique, cette caractéristique représente un avantage considérable pour notre balance commerciale.