L'indépendance énergétique est une question qui doit être traitée en termes de sécurité d'approvisionnement par rapport à un marché dont l'histoire a montré qu'il était régulièrement secoué par des chocs géopolitiques. Dans un monde marqué par une grande interdépendance économique, les choix de politique énergétique doivent donc plutôt viser à limiter les conséquences de ces chocs. J'ai déjà indiqué que nos approvisionnements étaient diversifiés et que les coûts de production étaient pour l'essentiel locaux, ces éléments confirmant l'intérêt de l'industrie nucléaire.
L'évolution du marché de l'uranium naturel devrait nous réserver quelques années difficiles, car ni les prix spot ni les prix de long terme ne sont élevés. À de tels niveaux, certaines mines de nos concurrents ne sont déjà plus rentables. La reprise probable de la production d'électricité nucléaire au Japon, même partielle, et le développement de nouvelles capacités en Asie et en Europe laissent présager une augmentation des besoins, et donc la nécessité de développer ou de mettre en production de nouvelles mines à l'horizon 2020. Je rappelle que le prix de long terme, qui est le plus représentatif des transactions, est passé de 56 dollars la livre en 2012 à 50 dollars aujourd'hui, et devrait atteindre à nouveau 56 dollars en 2020.
L'activité minière d'AREVA enregistrera en 2013 des résultats économiques remarquables et sera l'un des contributeurs majeurs au redressement de l'entreprise que nous avons engagé. C'est là tout d'abord le résultat de notre choix de ne pas exploiter n'importe quels gisements, mais de développer les mines les plus performantes économiquement afin de réduire les coûts de production. Ce choix assure notre robustesse face aux variations économiques.
En deuxième lieu, notre diversification géographique assure notre crédibilité lorsque nous prenons à l'égard de nos clients des engagements de long terme. Nous pouvons ainsi signer des contrats comportant une forte composante de prix de long terme ou établissant un lien entre prix et coûts de production. Nous sommes ainsi moins sensibles que certains de nos concurrents aux variations du prix spot.
L'année 2013 a également été très bonne grâce aux ventes d'uranium hautement enrichi. Nous nous attendons à un certain tassement de ces résultats, mais le modèle économique d'AREVA est ainsi fait que, lorsqu'une activité faiblit, d'autres prennent le relais, comme les activités amont d'enrichissement, sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure. C'est ainsi que la montée en puissance de l'usine Georges-Besse II nous permettra de compenser le ralentissement de l'activité minière.
Le fait qu'AREVA ne soit guère présente en Australie, où l'uranium est abondant, est un constat et une source de frustration. À la différence de nos concurrents, qui ont développé de grands gisements, nous ne sommes pas parvenus à percer dans ce pays. Le permis de recherche que nous y avions obtenu a été suspendu par une loi de protection des populations aborigènes, mais nous redémarrons quelques activités avec le groupe Mitsubishi. Notre souci de diversification nous incite clairement à développer nos activités en Australie, bien sûr dans un cadre compatible avec les exigences locales.
Une large diversification est en effet la réponse à la vulnérabilité géopolitique, tant pour les mines existantes que pour les projets à venir, tant en Australie qu'au Canada, en Mongolie et peut-être en Afrique. Je ne vois aujourd'hui ni au Niger, ni au Kazakhstan d'instabilité géopolitique susceptible de remettre en cause ces activités. Du reste, celles-ci représentent des ressources très importantes pour ces deux pays, qui ont donc autant intérêt que nous à les voir se développer.
Les mines du Niger sont parmi les plus coûteuses de notre portefeuille de production. De fait, le coût des mines a tendance à augmenter avec le temps et l'exploitation des deux mines de la SOMAÏR et de la COMINAK est déjà ancienne – la fin des gisements devrait du reste survenir vers la fin de la décennie. Dans un pays qui connaît des besoins énormes et une pression démographique colossale, et dont la situation sécuritaire est difficile, il est compréhensible que le gouvernement souhaite tirer davantage de ses ressources naturelles – la découverte de pétrole apporte heureusement un complément bienvenu à cet égard.
Pour ce qui concerne l'uranium, AREVA est confrontée à la fois à la nécessité de répondre aux demandes du gouvernement nigérien et à la réalité économique de ces mines. Pour la période récente, 70 à 80 % des bénéfices des mines ont été attribués au Niger, qui en est actionnaire, et cette part n'a cessé d'augmenter au cours des dernières années. Ce mouvement a bien évidemment une limite. En 2006, période de renaissance nucléaire qui ouvrait des perspectives d'augmentation beaucoup plus importante des prix de l'uranium naturel et où le prix spot était bien plus élevé qu'aujourd'hui, le Niger avait adopté une nouvelle loi minière qui, si elle était intégralement appliquée aujourd'hui, mettrait immédiatement les exploitations existantes en lourd déficit, les condamnant à court terme.
L'audit, que le président Issoufou et moi-même avons confié d'un commun accord à un cabinet indépendant, avait pour premier objectif de vérifier la situation économique de ces mines et d'étudier l'impact de cette nouvelle législation minière. Il a confirmé notre diagnostic selon lequel, si cette législation était appliquée, les mines cesseraient à très court terme d'être viables – or elles représentent, je le rappelle, près de 6 000 emplois directs et indirects au Niger, sans parler des personnes qui vivent autour de ces activités. Les négociations se déroulent, je le rappelle, dans un contexte très défavorable pour le marché de l'uranium.
On insiste sur le fait que cet audit serait le premier exercice de ce type, mais l'État du Niger est associé à la gouvernance des mines du pays : ses représentants siègent à tous les conseils d'administration de celles-ci et ont accès à l'ensemble des données.
Dans les négociations en cours, nous nous efforçons de trouver un bon équilibre, au moyen d'aménagements qui pourraient être apportés à la législation nigérienne et de programmes que nous pourrions de notre côté mettre en oeuvre pour contribuer au développement économique du pays. L'objectif est de maintenir ces mines en vie. La pire des situations serait celle où des prélèvements excessifs à court terme remettraient en cause les exploitations du Niger.
Dans le domaine de l'environnement et de la sécurité, nous suivons bien sûr, comme nous le faisons partout dans le monde, l'ensemble de nos équipes au Niger, mais nous avons également créé des observatoires consacrés à l'eau, à l'air et à la santé, auxquels nous avons associé diverses parties prenantes locales afin de partager toutes les mesures que nous prenons et d'évaluer les conséquences éventuelles de notre exploitation. Au Niger spécifiquement, un observatoire est destiné à examiner l'état sanitaire des anciens travailleurs des mines et nous recherchons – ce qui n'est pas facile – les personnes ayant travaillé pour la COGEMA, puis pour AREVA, pour la COMINAK et pour la SOMAÏR. Sur près de 350 qui ont déjà été retrouvées, il n'a pas été mis en évidence de cas avérés où le travail dans le domaine minier aurait eu un impact sur la santé.
De façon générale, nous sommes bien conscients que l'acceptabilité de nos activités dépend d'un travail régulier avec les parties prenantes, car notre présence à long terme n'est possible que si nous répondons aux questions légitimes des populations et des gouvernants des pays concernés.
Pour ce qui est de la montée en puissance de l'usine Georges-Besse II, le fait qu'elle bénéficie d'abord à AREVA n'est qu'un juste retour des choses, car le fonctionnement d'EURODIF (European gaseous diffusion uranium enrichissement consortium) consommait énormément d'énergie et les coûts de production y étaient donc beaucoup plus élevés, ce qui nous faisait régulièrement perdre des parts de marché, que nous regagnons maintenant progressivement.
Ce n'est pas nous qui fixons le prix de l'enrichissement : comme pour l'uranium naturel, il existe un prix spot – mais qui concerne des quantités encore plus limitées – et un prix de long terme, qui a baissé après l'accident de Fukushima pour les mêmes raisons qu'a baissé celui de l'uranium naturel – il est passé d'environ 130 dollars à 100 dollars par unité de travail de séparation (UTS).
Le retraitement a deux finalités : l'une, économique, est de mieux valoriser les ressources, et l'autre de mieux gérer les déchets et les combustibles usés. La réponse à votre question est donnée par les électriciens : plus d'une quarantaine de centrales dans le monde, soit plus de 10 % du parc, fonctionnent avec du MOX et plusieurs pays y trouvent un intérêt au regard des deux finalités que je viens de mentionner.