Elle reprend d’ailleurs pour l’essentiel des dispositions déjà défendues par l’UMP en 2012. Adapter notre arsenal est nécessaire, mais nous devons également dresser le bilan des dispositifs existants. Prenons garde de ne pas banaliser le concept de terrorisme. Les effets boomerang peuvent être dévastateurs, comme en témoigne ce que l’on a un peu trop vite appelé l’affaire de Tarnac, qui n’ai d’ailleurs jamais été vraiment éclaircie. Le terrorisme est une pratique extrêmement grave qui met en cause le vivre-ensemble en démocratie. Il ne faut surtout pas en banaliser le mot et la qualification.
Nous devons examiner en détail les dispositions proposées. Les trois mesures figurant dans le texte mêlent toutes internet et terrorisme. Si ni Mohamed Merah ni Mehdi Nemmouche ne s’est radicalisé par internet, ce n’est pas le cas d’autres apprentis djihadistes ou terroristes. Mais les dispositions qui nous sont proposées présentent toutes des défauts qui nous empêchent d’envisager leur adoption.
La première concerne la responsabilité pénale des hébergeurs et des fournisseurs d’accès à internet. Il est proposé d’étendre aux messages faisant l’apologie du terrorisme l’obligation faite aux hébergeurs et fournisseurs d’accès à internet, prévue par la loi de 2004, de mettre en place des dispositifs de signalement des contenus illicites. S’ils ne censurent pas le contenu signalé, leur responsabilité pourrait alors être engagée.
Or, commentant cette loi de 2004, le Conseil constitutionnel avait noté que « la caractérisation d’un message illicite peut se révéler délicate, même pour un juriste ». Dès lors, il y a fort à craindre que la procédure proposée ne soit inefficace et source de nombreux contentieux. Par ailleurs, la plupart des contenus visés sont hébergés à l’étranger.
Cette partie de la loi de 2004, que notre collègue Guillaume Larrivé souhaite étendre, a de nombreux défauts : elle confond le rôle des hébergeurs de sites internet et celui des fournisseurs d’accès à internet, les objectifs et les incriminations. Elle devrait donc être refondue plutôt que constamment, et par petits bouts, modifiée. Rappelons d’ailleurs que les lois plus récentes, qui n’ont pas encore été définitivement adoptées, relatives à la prostitution, puis à l’égalité entre les femmes et les hommes, l’ont déjà modifiée pour inclure d’autres objectifs. Le Gouvernement avait alors promis une consultation et un projet de loi sur le numérique avant toute nouvelle modification de la loi de 2004 sur la responsabilité des hébergeurs et des fournisseurs d’accès. Il nous semblerait plus sage d’attendre avant d’élargir une nouvelle fois le champ de cet article.
La deuxième partie de l’article 1er vise à mettre en place un blocage administratif pour les sites faisant l’apologie du terrorisme.
S’il peut être tentant et légitime de vouloir bloquer ces sites, préoccupation que nous partageons tous, le blocage administratif est rarement applicable en pratique. Ainsi, quand il fut bloqué par la justice, le site « Copwatch » fut immédiatement dupliqué en trente-cinq sites miroirs.
Le blocage administratif est complexe à mettre en place. Prévu par l’article 18 de la loi de 2004, il n’a jamais été appliqué avant d’être supprimé dans la récente loi relative à la consommation, parce que son décret d’application n’avait jamais été pris.
Notons également que le décret permettant le blocage administratif des sites pédopornographiques, dispositif qui inspire cette deuxième partie de l’article 1er, n’est toujours pas sorti, plus de trois ans après le vote de la loi. Devant notre assemblée, lors de l’examen de la loi sur la prostitution, la ministre des droits des femmes avait douté que ce texte puisse être un jour publié.
Le blocage administratif peut également entraîner certaines dérives. L’exposé sommaire de la proposition de loi évoque la possibilité de bloquer des réseaux sociaux entiers comme Facebook ou Twitter. Il serait bon que le rapporteur nous éclaire sur les limites de ce blocage.
En outre, un blocage trop hâtif des sites pourrait freiner des enquêtes ayant pour objet de lutter contre les réseaux qui sont derrière ces sites. C’est d’ailleurs un argument qui avait été utilisé lors des débats de la loi de 2012 relative à la lutte contre le terrorisme.
Les articles 2 à 4 tendent à créer un délit de consultation des sites internet faisant l’apologie du terrorisme. Serait puni de deux ans de prison le fait de consulter de façon habituelle un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, « soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes ».
Cette disposition ne serait pas applicable lorsque la consultation résulterait de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public – les journalistes –, interviendrait dans le cadre de recherches scientifiques ou serait réalisée afin de servir de preuve en justice.
Une telle mesure présente trois défauts. Tout d’abord, elle renvoie à des notions floues, incertaines et contraires au principe de légalité et de proportionnalité. Qu’est-ce qu’une consultation habituelle ? Comment limiter ce qu’est l’exercice normal ou anormal d’une profession ?
De surcroît, si l’apologie du terrorisme, passible de cinq ans de prison, relève de la protectrice loi sur la presse, la consultation de tel contenu relèverait de la législation antiterroriste. Même si des atténuations sont prévues à l’article 3, le cadre législatif reste plus contraignant pour le lecteur que pour l’émetteur, ce qui est un comble ! Enfin, cette pénalisation risque d’empêcher la surveillance d’activités terroristes par les services, ou de l’interrompre trop tôt.
En commission, nous n’avons pas voté cette proposition de loi pour les raisons que je viens d’évoquer. Plus généralement, méfions-nous des textes d’affichage qui nuisent à la crédibilité de notre travail législatif. Concernant l’impérieuse lutte contre le terrorisme, il faut non seulement se méfier de l’affichage, mais privilégier l’action de fond, peu visible mais beaucoup plus efficace, favoriser le travail de renseignement, de repérage des profils dangereux ou à la dérive, la protection des mineurs car les personnes concernées peuvent être parfois très jeunes, l’accompagnement des familles grâce à l’école, l’éducation nationale, les éducateurs, les associations. Bien plus que des textes d’affichage, c’est ce travail de fourmi qu’il faut faire. Il est, fort heureusement, déjà réalisé, mais nous devons encore l’améliorer, notamment au niveau de la coordination internationale. Je tiens à saluer à cet égard les propos du ministre de l’intérieur qui, après le dramatique attentat en Belgique, a déclaré qu’il nous fallait plus d’Europe pour plus de coordination si nous voulions lutter efficacement contre le terrorisme.
N’entretenons pas l’illusion qu’internet est responsable de la montée de la radicalisation, notamment islamiste ou djihadiste. Internet peut même aider à repérer les personnes à la dérive ou embrigadées. Ce n’est pas internet qui créé l’embrigadement – les raisons sont beaucoup plus profondes.
Monsieur Larrivé, vous devez savoir tout cela pour avoir travaillé pendant de nombreuses années au cabinet de plusieurs ministres de l’intérieur. Ne cédez pas à la tentation de la facilité, à celle de l’affichage, sans effet réel !