Intervention de Guillaume Larrivé

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 9h30
Lutte contre l'apologie du terrorisme sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Permettez-moi tout d’abord de remercier mes collègues Éric Ciotti, Philippe Goujon et Thierry Mariani pour la vigueur de leurs propos. Il est vrai que ce texte est tout sauf un texte d’affichage. Il trouve sa source dans un long travail de maturation technique, éclairé par des auditions. C’est un travail juridique constant, comme Mme Bechtel l’a souligné, qui nous conduit aujourd’hui à soumettre ces dispositions à l’Assemblée nationale.

Oui, il y a urgence à agir car nous faisons face à une menace extrêmement évolutive, à la créativité technique de personnes qui cherchent à embrigader des individus vers des réseaux terroristes extrêmement puissants. Nous ne pouvons pas rester les bras ballants.

Je salue également les amendements de M. Éric Ciotti visant à compléter le champ de la proposition de loi, s’agissant notamment de la question très sensible de la déchéance de nationalité, ou de la nécessité de mettre rapidement en oeuvre des dispositifs liés au contrôle des données des passagers de compagnies aériennes.

Le ministre et Mme Bechtel ont tous deux fait preuve d’un état d’esprit plutôt constructif, en tout cas ouvert à la réflexion. Je les en remercie, mais je les invite à faire preuve d’audace. De l’audace réfléchie, sérieuse, mais de l’audace tout de même. Chacun doit prendre ses responsabilités. C’est vrai, la matière est juridiquement très compliquée, mais c’est précisément parce que c’est difficile qu’il faut avancer.

Nous devons progresser sur la question du blocage de l’accès – le ministre de l’intérieur s’est d’ailleurs montré ouvert à cette réflexion. Nous devons trouver le moyen juridiquement solide, opérationnel, de bloquer l’accès à ces sites.

Je ne dis pas que le dispositif que nous définirons sera parfait. Je dis qu’il est nécessaire. Monsieur le secrétaire d’État, même si nous parvenions à bloquer l’accès de ces sites à un individu, même si nous parvenions à éviter qu’un seul djihadiste commette un attentat terroriste en France, nous aurions déjà fait oeuvre utile.

Plutôt que de refermer dès aujourd’hui la porte, je vous invite sur tous les bancs à déposer des amendements, pas pour supprimer le texte mais pour l’améliorer, le faire vivre lors de la navette parlementaire. Le groupe UMP a choisi d’utiliser une niche pour, justement, faire avancer le débat. Ne perdons pas de temps, avançons techniquement, encadrons la rédaction sur le plan juridique quand elle doit l’être, mais ne faisons pas montre d’une espèce d’autocensure, y compris sur le dispositif du délit de consultation habituelle. Je sais bien que la section administrative du Conseil d’État, lorsqu’elle a été saisie du projet de loi présenté par Michel Mercier, a exprimé de vives réserves. C’est son office.

J’entends aussi, comme je l’ai déjà rappelé, que la Cour de cassation, saisie d’une disposition très proche en 2012, a estimé que la mesure n’était pas anticonstitutionnelle et qu’il n’y avait pas lieu de saisir le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Les deux cours suprêmes, l’une en section administrative et l’autre de manière juridictionnelle, expriment donc des avis différents. C’est à nous, législateur, de prendre nos responsabilités et notre plume pour écrire un dispositif et progresser. À charge ensuite au Conseil constitutionnel, si vous le saisissez, de dire ce qu’il souhaitera.

Nous avons aussi la responsabilité, monsieur le secrétaire d’État, de ne pas céder à la pression des fournisseurs d’accès à internet, dont j’ai auditionné certains des représentants. Chacun doit prendre ses responsabilités : notre métier à nous, législateur, n’est pas de faire commerce de l’accès à internet – fonction au demeurant tout à fait utile. Il existe néanmoins des motifs d’intérêt général qui doivent justifier notre intervention. On ne saurait s’arrêter devant un obstacle d’ordre financier ou budgétaire, monsieur le secrétaire d’État. Il appartient au Gouvernement d’exercer une très forte pression sur ces opérateurs afin que chacun d’entre eux assume la responsabilité qui est la sienne. Personne n’accepterait qu’en matière de sécurité sanitaire, l’industrie agroalimentaire nous dise qu’elle met sur le marché des produits avariés ! De la même manière, les fournisseurs d’accès à internet, dont le métier consiste à vendre une prestation donnant accès au réseau, ne peuvent pas nous dire qu’une autorégulation irénique permettrait de résoudre le problème, car ce n’est pas le cas. Nous avons auditionné ces opérateurs et leur avons montré que l’on peut accéder en quelques instants à des sites djihadistes via leurs services. Ce n’est pas acceptable.

Il faut donc agir. Il y a là – vous en conviendrez, madame Bechtel – un véritable enjeu de souveraineté de l’État. Il se développe sur internet une sorte de continent où la souveraineté de l’État n’a pas prise et où les autorités européennes sont très velléitaires. Je voudrais à cet égard rappeler quelles ont été les conclusions du Conseil de l’Union européenne qui s’est tenu le 12 mai dernier, soit très récemment : évoquant la liberté d’expression en ligne et hors ligne, le Conseil n’a pas même mentionné le terrorisme comme une cause susceptible de justifier des restrictions. C’est beaucoup trop velléitaire ! Sur ce point, le Gouvernement doit s’exprimer fermement dans les instances européennes pour faire bouger les lignes.

À ce stade, je ne répondrai pas aux autres orateurs du groupe socialiste, ni à M. de Rugy, qui ont rappelé leur attachement à la liberté d’expression. C’est une préoccupation partagée par chacun : oui, internet doit naturellement demeurer un espace de liberté. Toute la question est de savoir où l’on place le curseur entre ce qui relève de la liberté d’expression et ce qui relève de la sauvegarde de l’ordre public. Sur les bancs de l’UMP comme sur ceux de l’UDI, nous avons la conviction qu’il faut urgemment déplacer ce curseur, dans le respect des grands principes, bien entendu, mais en ayant à l’esprit la nécessité de progresser et de réarmer l’État face à des ennemis terroristes qui, aujourd’hui, font usage de nos faiblesses.

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