Intervention de Béatrice Khaiat

Réunion du 3 juin 2014 à 16h30
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Béatrice Khaiat, directrice générale adjointe de Campus France :

Campus France a succédé à l'agence EduFrance, à la tête de laquelle j'étais déjà. C'est donc depuis 2000 que je puis dire comment a évolué le rapport des étudiants étranges à la France et si notre pays a su répondre à l'accroissement de la mobilité internationale des jeunes.

L'accueil des étudiants étrangers a lieu dans un univers très concurrentiel. On compte 4 millions d'étudiants en mobilité dans le monde : ce nombre a quadruplé depuis 1975. Et l'Unesco dit qu'il y en aura bientôt 7 millions.

Comment faire pour attirer les étudiants étrangers ? La France a une longue tradition d'accueil, mais elle n'est pas le seul pays à en avoir une. Tous les grands pays développés cherchent à attirer des étudiants étrangers et désormais, tous les pays qui auparavant envoyaient leurs étudiants à l'étranger, cherchent aussi à en recevoir. En 2013, en accueillant 290 000 étudiants étrangers, la France a consolidé sa troisième place, derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne qui en accueillent respectivement 750 000 et 430 000, et devant l'Australie qui en accueille 250 000, l'Allemagne 207 000 et la Russie 170 000. Il y a quinze ans, l'Australie ne figurait pas du tout dans ce palmarès. Il faut savoir également que dès 1925, l'Allemagne créait un organisme ad hoc alors qu'il a fallu attendre 1998 pour que soit créé Edufrance. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont l'avantage que leur confère la langue anglaise. La langue française peut toutefois être elle aussi un avantage, nous y reviendrons.

Comment nous maintenons-nous dans cette compétition mondiale ? Tout d'abord, tout le monde aime la France, ce pays où, comme il se dit, « sky is the limit ». Très rares sont les gens qui n'aiment pas la France et on est sûr qu'un étudiant étranger venu étudier en France repartira en l'aimant. En 2012, Paris a été élue meilleure ville étudiante du monde.

En quinze ans, notre système d'enseignement supérieur a su évoluer de façon très positive. Nos campus, qui étaient horribles, se sont beaucoup améliorés – il suffit de voir Jussieu ! – grâce au Plan Campus, mais aussi à l'investissement des régions. Les services de relations internationales se sont étoffés, leurs effectifs ayant même quintuplé, et ont gagné en professionnalisme. Les services de la vie étudiante ont quasiment tous mis en place des guichets uniques : les étudiants étrangers peuvent ainsi à la rentrée effectuer en un même lieu les démarches concernant le CROUS, la caisse d'allocations familiales, la préfecture… ce qui constitue un progrès considérable. Les CROUS ont aussi mis en place un site internet, Lokaviz, proposant à tous les étudiants, français ou étrangers, des logements dans ses propres résidences ou dans des familles, et développé un dispositif de caution, Clé, qui permet aux étudiants étrangers, moyennant une somme modique, d'avoir accès à une caution. Des régions ont mis en place des dispositifs analogues de caution à leur intention. Les systèmes d'inscription aussi se sont considérablement améliorés : il y a quinze ans, on demandait aux étudiants d'adresser des timbres français, des chèques français… dans des services qui étaient de surcroît fermés l'été. Il existe maintenant des sites internet en plusieurs langues qui ont permis que soit généralisée l'inscription en ligne.

Dans la sinistrose ambiante, il importe de dire aussi ce qui va bien : l'enseignement supérieur français s'est beaucoup amélioré.

Certaines de nos universités proposent aussi maintenant des formations en anglais. Moins de 200 au début, ces formations sont aujourd'hui au nombre de 800.

Le dispositif des visas aussi a été simplifié. La première année, le visa vaut titre de séjour et bientôt, les titres de séjour vaudront tout le temps des études. Pour un master, il sera valable deux ans, pour un doctorat, trois ans. Le ministère de l'Intérieur lui-même a mis en place des missions pour améliorer l'accueil des étudiants étrangers dans les préfectures.

Nous sommes conscients de nos faiblesses et nous faisons tout pour y remédier. Aujourd'hui, la France a une image très positive auprès des étudiants étrangers. Campus France possède des bureaux dans 200 pays et 400 de nos personnels travaillent à l'étranger. Dans les ambassades de France, il y a aujourd'hui une antenne Campus France.

Grâce à tout cela, la France a pu maintenir sa troisième place mondiale pour l'accueil d'étudiants étrangers.

Pour autant, sa « part de marché » relative a diminué. En effet, alors que la mobilité étudiante dans le monde a augmenté de 31 % depuis cinq ans, le nombre d'étudiants étrangers en France n'a augmenté que de 14 % sur la même période.

Tous les pays émergents souhaitent désormais eux-aussi devenir des pays d'accueil pour les étudiants et beaucoup le sont devenus : c'est le cas de l'Afrique du Sud, de la Malaisie, de la Corée du Sud, des Émirats arabes unis, de Singapour, de l'Arabie Saoudite, du Maroc, de la Turquie, du Brésil, de l'Argentine…

Avons-nous ressenti un quelconque effet de la crise sur l'accueil des étudiants étrangers ? La crise économique qui sévit en Europe n'a pas eu tellement d'impact car le premier pays européen qui envoie des étudiants en France est l'Allemagne. Or, ce pays se porte bien et continue d'envoyer des étudiants chez nous. La Grèce, pour sa part, n'en envoie plus du tout ou très peu. En revanche, l'Italie, bien qu'ayant subi la crise, continue d'en envoyer autant.

En revanche, la crise des printemps arabes a eu un impact. La Syrie, la Libye, la Tunisie, l'Égypte… nous envoient moins d'étudiants. Mais ces crises sont localisées, tandis que presque partout dans le monde se développent des classes moyennes, ce qui constitue un gisement potentiel important d'étudiants étrangers. Ainsi les Émirats arabes unis, l'Iran ou l'Arabie saoudite envoient de plus en plus d'étudiants étrangers dans le monde.

Dans quelle proportion des jeunes étrangers venant étudier en France restent-ils pour leur premier emploi ? Comment améliorer cette proportion ?

La France n'est ni l'Australie ni le Canada. Ce n'est pas un pays où on va étudier pour rester ensuite parce qu'il y a des possibilités d'immigration économique. Une vaste enquête SOFRES portant sur 20 000 étudiants étrangers montre que la France n'est plus une destination choisie dans la perspective d'un premier emploi. Seul un étudiant sur trois qui a choisi la France a fait entrer ce facteur dans les motivations de son choix. En revanche, une fois qu'ils sont en France, les deux tiers aimeraient bien pouvoir y acquérir une première expérience professionnelle. Parmi ces deux tiers, seul un sur trois y parvient, soit 20 % de l'ensemble des étudiants étrangers en France. Mais il s'agit la plupart du temps de stages ou de contrats à durée déterminée et très peu peuvent acquérir une longue expérience professionnelle. On estime que moins de 10 % atteignent au moins deux ans d'emploi en France.

La question du coût d'un étudiant étranger est récurrente, et pas seulement en France. Faire payer davantage les études des jeunes étrangers en France serait-il une bonne idée ?

Je considère que c'est une mauvaise idée et je juge même dommage d'y penser. Si on part du principe que le coût d'un étudiant étranger est le même que celui d'un étudiant français, un étudiant en sciences humaines coûte donc environ 6 000 euros par an, et un étudiant en sciences dures environ 9 000 euros par an. On ne parle jamais du coût d'un étudiant en classe préparatoire, qui s'élève pourtant à 28 000 euros par an – on compte quelque 60 000 élèves de classes préparatoires. Si on veut vraiment trouver de l'argent pourquoi ne pas aller le chercher de ce côté ? Ceci n'est pas de ma responsabilité cependant.

Un étudiant étranger ne représente qu'un coût marginal, les étudiants étrangers ne représentant que 12 % de la population étudiante totale. On peut aussi considérer qu'ils apportent quelque chose à notre pays. Ils apprennent le français, ils dépensent de l'argent en France, ils font venir leurs amis et leurs familles… Il faudrait évaluer tout cela. Beaucoup de pays, dont l'Allemagne et les Pays-Bas, sont en train d'effectuer ce calcul. Nous allons nous aussi lancer une grande étude avec la SOFRES pour savoir combien d'un côté coûte un étudiant étranger et combien d'un autre côté il rapporte à la France.

Les étudiants étrangers des grandes écoles paient leurs études puisque les grandes écoles sont payantes. Une différenciation des frais n'est pas possible pour les étudiants en provenance des autres pays de l'Union européenne – ils sont 60 000 –, ne peuvent pas payer plus que ne paient les étudiants français. Par ailleurs, il y a les étudiants étrangers auxquels l'État français a accordé une bourse – ils sont environ 10 000 par an – et qui, de ce fait, sont exemptés de frais de scolarité. S'agissant des doctorants, ils sont au contraire rémunérés. Pour ce qui des étudiants en master, il faut savoir qu'en France, un master se fait en deux ans contre un an seulement en Grande-Bretagne, à quoi doit s'ajouter environ une année pour apprendre le français. Si on augmente beaucoup les frais de scolarité il n'est pas certain qu'au total, il ne serait pas moins coûteux d'aller étudier en Grande-Bretagne. Enfin, comme nous accueillons 150 000 étudiants qui viennent d'Afrique et du Maghreb : si on augmentait fortement les droits, il faudrait sans doute en compensation accorder davantage de bourses, si bien qu'au total on dépenserait sans doute davantage.

Il serait par ailleurs inimaginable de faire payer davantage sans améliorer le service rendu. Il faudrait, comme dans les pays anglo-saxons, offrir des campus de toute première qualité, des logements faciles à trouver… Il faudrait aussi une politique de visas plus souple – en Australie, on obtient un visa en 48 heures… Des investissements seront donc nécessaires.

En 2011, la Suède a augmenté très fortement les droits d'inscription pour les étudiants étrangers. Dès l'année suivante, on y dénombrait 79 % d'étudiants étrangers en moins ! Quant à la Grande-Bretagne, il y a deux ans, elle a augmenté les frais d'inscription pour les étudiants britanniques et européens, mais pas pour les étudiants des autres pays. Au final, on le voit, peu de pays ont eu cette « bonne » idée !

Et puisqu'on se plaît en France à toujours se comparer à l'Allemagne, pourquoi ne se compare-t-on pas aussi sur ce plan-là ? En effet, non seulement, l'enseignement y est totalement gratuit mais le pays accorde 50 000 bourses par an – contre 8 000 à 10 000 seulement en France. Si nous voulions soutenir la comparaison avec notre voisin allemand, non seulement il faudrait donc instituer la gratuité mais octroyer davantage de bourses.

S'ils doivent en définitive payer cher, les étudiants étrangers préféreront toujours l'original à la copie et iront étudier dans les pays anglo-saxons. Si nous adoptions le système anglo-saxon, quel serait pour eux l'intérêt de venir en France ?

Il faudrait de plus songer à mettre en place des prêts étudiants comme dans les pays anglo-saxons où il est courant que les étudiants s'endettent pour leurs études. Mais il faut ensuite qu'ils puissent rembourser et donc aient un travail. On voit le cercle vicieux !

Faire payer davantage ne serait vraiment pas une bonne idée. Cela serait difficile à mettre en oeuvre et cela ne rapporterait sûrement pas autant qu'on veut bien le croire.

Selon l'enquête TNS menée par Campus France auprès de 20 000 étudiants, 45 % des étudiants ayant choisi la France déclarent avoir hésité avec un autre pays. L'attractivité de la France diminue-t-elle ou est-ce la concurrence entre les pays développés pour attirer les jeunes qui s'est renforcée ?

Les étudiants consultés déclarent avoir hésité en premier avec le Canada puis dans l'ordre les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Belgique – l'Allemagne progressant fortement. Pour autant, la France reste la troisième destination. Même s'ils hésitent, les étudiants continuent de la choisir.

Les facteurs négatifs qui font hésiter les étudiants étrangers sont le manque de débouchés professionnels, notamment par rapport aux États-Unis, au Canada, à la Grande-Bretagne et à l'Australie, le classement de Shanghai dans lequel notre pays est peu présent, la circulaire Guéant qui, même si elle a été abrogée, a donné un signal négatif, la rigidité de la politique des visas ainsi que la politique d'accueil dans les préfectures, la difficulté et le coût du logement. Enfin, je ne crois pas que le résultat du vote aux dernières des élections européennes améliore l'image de la France dans le monde. L'expression d'un tel sentiment nationaliste peut porter un coup à l'attractivité de notre pays.

Celle-ci a beaucoup diminué dans un domaine où elle était traditionnellement forte, la médecine. Les French doctors sont connus dans le monde entier… Comme on a rendu très compliqué de faire des études de médecine en France, les effectifs d'étudiants étrangers en médecine ont diminué de 12 % en 5 ans.

Dans ces conditions, quelles sont les motivations des étudiants étrangers à venir en France ? La langue française constitue-t-elle un obstacle ?

Les principales motivations d'un étudiant étranger pour venir en France sont, tout d'abord, la qualité et la réputation de l'enseignement, en deuxième lieu, le style de vie – culture, loisirs, gastronomie… –, en troisième lieu, la valeur des diplômes, enfin, l'apprentissage du français ou l'amélioration de sa connaissance. L'apprentissage de la langue vient en effet en dernier. Ainsi des étudiants chinois qui n'ont pas appris le français en Chine ne viendront jamais dans notre pays, sauf si nous développions considérablement les cours dispensés en anglais, et encore n'est-ce pas sûr.

Par ailleurs, la France attire-t-elle surtout des profils « haut diplômés » ou le spectre est-il plus large ?

En réalité, la répartition des étudiants par niveau reste stable : 45 % en licence, 43 % en master et 12 % en doctorat. Une particularité en France est que 40 % des doctorants y sont étrangers : sans les étudiants étrangers, nous n'aurions que très peu de doctorants. 60 % de ces doctorants aimeraient avoir la possibilité de rester en France, mais moins de 20 % arrivent à y acquérir une première expérience professionnelle à l'issue de leur doctorat. Concernant les étudiants de niveau licence et master, nous ne disposons pas vraiment de statistiques.

Le départ des jeunes Français à l'étranger s'accélère-t-il ? Je dirais plutôt qu'il se normalise. Avec 1,6 million de Français expatriés, on est très en-dessous de la Grande-Bretagne qui a 4,8 millions de ses ressortissants à l'étranger, l'Allemagne 4,2 millions et l'Italie 3,5 millions. À plus de 60 %, les Français expatriés sont installés en Europe : Suisse, Belgique, Allemagne, Angleterre…, ce qui correspond aux pays où ils ont fait leurs études. 60 % des étudiants français qui vont faire leurs études à l'étranger le font en Europe, mais l'Europe, qui est un peu notre patrie, n'est plus vraiment l'étranger. Il y a un lien évident entre la destination d'étude et le pays d'expatriation.

La balance entre les jeunes Français qui partent et les jeunes étrangers qui viennent est-elle équilibrée ? Non. En effet, on dénombre 65 000 Français qui partent, tandis que 290 000 étrangers viennent. Toutefois, avec 65 000 jeunes partant étudier à l'étranger, nous nous classons quand même en très bonne position pour l'envoi d'étudiants à l'étranger, puisque seuls la Chine, l'Inde, l'Arabie saoudite en envoient plus que nous. Derrière nous, on trouve les États-Unis, la Malaisie, le Vietnam, l'Iran, la Turquie, l'Italie, la Russie…

Je veux souligner que cette mobilité sortante est un marqueur social considérable. Sur ces 65 000 étudiants, 40 000 en effet viennent des grandes écoles, alors même que le nombre d'étudiants dans ces établissements est infiniment plus faible qu'à l'université.

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