Intervention de Béatrice Khaiat

Réunion du 3 juin 2014 à 16h30
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Béatrice Khaiat, directrice générale adjointe de Campus France :

Je ne pense pas que vous vous interrogiez sur l'opportunité que représente pour un jeune la possibilité d'aller étudier à l'étranger, qui est évidente, mais sur « l'exil des forces vives » qui peut s'en suivre si le jeune reste ensuite à l'étranger.

La France était en retard dans l'expatriation. Il a, hélas, fallu attendre la crise pour que nous rattrapions ce retard. Des diplômés sans travail, des salaires pour les débutants, y compris au niveau des cadres, qui ont drastiquement diminué, des maîtres de conférence titulaires d'un doctorat payés seulement 1 700 euros par mois : voilà ce qui interroge.

Comment dans une économie mondialisée, où on vante la libre circulation des capitaux, pourrait-on entraver la libre circulation des personnes ? Pour ma part, je pense que même si nos jeunes partis étudier à l'étranger ne reviennent pas, ce n'est pas dramatique. L'Inde s'est bien construite avec la Silicon Valley ! Ce n'est pas parce qu'on ne réside pas dans son pays qu'on ne l'aime pas ou qu'on n'a plus de liens avec lui.

Pour le reste, le mot « exil » est, en effet, horrible. J'espère qu'il n'y aura pas d'exil, mais je pense à d'autres raisons.

J'en viens aux autres questions qui m'ont été posées. Non, Campus France ne travaille pas avec l'agence 2E2F. C'est une conception antique que d'avoir deux organismes, l'un qui gère la mobilité « sortante » et l'autre la mobilité « entrante ». Cela n'a aucun sens et d'ailleurs aucun autre pays n'a ainsi deux agences – la Grande Bretagne n'a que le British Council, l'Allemagne le DAAD… Il serait donc logique que Campus France et 2E2F soient regroupés. Toute université qui aujourd'hui noue des partenariats cherche à la fois à faire partir ses étudiants à l'étranger et à faire venir des étudiants étrangers chez elle, et de même pour ses enseignants et ses chercheurs.

La circulaire Guéant a été abrogée fin 2012. Les derniers chiffres dont nous disposons datent de juin 2013, si bien qu'on n'a pas assez de recul pour apprécier les conséquences de cette abrogation. Notre pays a quand même maintenu sa place, mais pour d'autres raisons je pense.

Que pourrions-nous proposer en matière de délivrance des visas ? Les étudiants américains qui voudraient venir étudier le français en France ont besoin d'un visa s'ils souhaitent séjourner plus de trois mois dans le pays. Dès lors, que font-ils ? Ils vont apprendre le français au Québec ! Pourquoi exiger un visa pour une personne souhaitant seulement apprendre le français ? On ne peut pas venir apprendre le français en France si cela ne s'inscrit pas dans un projet d'études. On crée les mêmes ennuis aux Japonais, aux Coréens…, autant de jeunes pourtant à fort pouvoir d'achat qui pourraient venir en France dépenser de l'argent en même temps qu'ils étudieraient ! Quel sens cela a-t-il d'exiger des visas pour les étudiants brésiliens, argentins… ? Pour beaucoup de pays, il faudrait soit carrément supprimer les visas, soit au moins allonger la durée de séjour possible sans visa – jusqu'à neuf mois par exemple. Il faudrait qu'il soit possible de venir apprendre le français en France sans visa.

Campus France a-t-il été saisi officiellement par le Gouvernement de la question des frais de scolarité pour les étudiants étrangers ? Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, dirigé par Jean Pisani-Ferry, conduit une réflexion sur de multiples points, dont la question de savoir s'il faut faire payer davantage les étudiants étrangers. Pour ma part, je ne comprends pas pourquoi on réfléchit à cela dans notre pays qui précisément attire dans le monde par l'idéal de 1789 et sa devise « Liberté, égalité, fraternité ». La France des boutiquiers, elle, n'attire personne, surtout quand il est de surcroît difficile d'y trouver du travail. Si l'on entre dans une logique anglo-saxonne, il faut y entrer totalement. Le risque pour la France est de se retrouver au milieu du gué, à savoir d'appliquer des frais de scolarité analogues à ceux des établissements anglo-saxons, sans proposer en contrepartie les mêmes services.

Comment les étudiants étrangers choisissent-ils leur université ? Campus France possède 200 bureaux dans le monde, soit dans quasiment tous les pays. Non seulement les étudiants peuvent rencontrer un interlocuteur, mais nous avons aussi un site internet en 33 langues. Il suffit de cliquer dans le site sur la discipline et le niveau d'études souhaités, et tous les choix possibles apparaissent. Cela s'est beaucoup amélioré depuis quinze ans : nous y avons travaillé avec le ministère des Affaires étrangères.

S'agissant du classement de Shanghai, très peu d'étudiants s'y intéressent, sauf en Asie où d'une part ils sont habitués aux classements, d'autre part ils ont une forte culture de la compétition, surtout s'ils veulent faire une école de commerce – et la France est bien classée pour les écoles de commerce. Pour le reste, ce classement obnubile les gouvernements, éventuellement rassure les parents, mais ne préoccupe guère les étudiants.

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