Intervention de Jean-Yves Durance

Réunion du 7 mai 2014 à 16h30
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Jean-Yves Durance, vice-président de la chambre de commerce et d'industrie de Paris-Île-de-France :

La question du départ à l'étranger des Français, notamment des jeunes Français, s'est imposée depuis un an à dix-huit mois. Le Président de la République a ainsi déclaré le 14 janvier 2014 : « C'est vrai qu'il y a des jeunes qui souhaitent vivre à l'étranger. Je ne vais pas les blâmer. Ils passent deux à quatre ans, voire davantage, dans un pays, mais ils n'ont pas rompu avec leur pays. Ils sont au contraire les ambassadeurs de notre pays partout dans le monde. » Quant au site Atlantico, il titrait : « Exode français : les exilés fiscaux ne sont pas les seuls à quitter le navire. Les bac +5 et les entrepreneurs sont les premiers candidats à l'émigration ». La presse s'est emparée du sujet, avec un regard d'ailleurs souvent parcellaire.

La chambre de commerce et d'industrie de Paris s'est impliquée dans cette réflexion en se posant deux questions : la France dispose-t-elle des talents dont elle a besoin dans un monde qui change très rapidement et dans lequel la course aux ressources humaines est un des éléments fondamentaux de la compétition mondiale ? Pourquoi de jeunes Français si nombreux quittent leur pays alors que la France possède des écoles d'excellence – dois-je rappeler que les trois premières écoles de gestion françaises, HEC, ESCP Europe et l'ESSEC, font partie des toutes premières écoles européennes ?

Nous nous sommes fondés à la fois sur des chiffes, arrêtés en 2011, et sur des enquêtes plus récentes, parfois réalisées par d'autres instances que la chambre, mais que nos services ont validées. Utilisant également des chiffres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l'ONU, nous devons prendre en compte une marge d'incertitude relativement importante, car tous les expatriés ne se sont pas nécessairement déclarés auprès des autorités de leur pays. Toutefois, ces chiffres sont parfaitement utilisables, puisque les comparaisons internationales ou les comparaisons d'une année sur l'autre confirment les tendances qui s'en dégagent. S'il est vrai que le nombre d'expatriés français oscille entre 1,7 et 2 millions de personnes, l'importance de cette marge doit être relativisée, le degré d'incertitude n'ayant pas augmenté avec les années.

Ces chiffres révèlent paradoxalement deux succès politiques pour la France. Il y a vingt ans, les jeunes Français ne connaissaient pas suffisamment l'étranger, ne maîtrisant ni la langue ni la culture des principaux pays : la situation devait évoluer. Monsieur Chatel, vous le savez en tant qu'ancien ministre de l'éducation nationale, les grandes écoles et les universités françaises ont établi des programmes d'association avec des universités étrangères ou des organismes étrangers équivalents à nos grandes écoles : les diplômes multinationaux ont connu un véritable succès. Il serait dommage de remettre en cause une telle dynamique pour quelque raison que ce soit.

Il faut savoir ensuite que 50 % de nos expatriés vivent en Europe, réalisant ainsi, par-delà le programme Erasmus, l'intégration européenne. Des compatriotes, jeunes ou moins jeunes, sont de plus en plus nombreux à s'installer, temporairement ou plus durablement, dans des pays membres de l'Union européenne. Cette intégration humaine est un facteur favorable à la réalisation d'une Europe solide.

Nous constatons en revanche une transformation de la nature de l'expatriation, une évolution de l'origine des expatriés et une inflexion de leur intention, qu'il s'agisse de la durée de leur séjour ou de leur désir de revenir en France. Des enquêtes nous ont permis de chiffrer cette rupture qui nous inquiète.

La couverture médiatique de notre étude, qui a dépassé nos espérances, s'est focalisée sur cet aspect négatif. Alors que nous pensions, à l'origine, intituler cette étude : De l'expatriation à l'émigration, nous avons dû, au vu de ses résultats, nuancer son titre, afin que celui-ci reflète le plus exactement possible la situation, qui est elle-même nuancée.

Si l'étude ne traite pas de l'aspect fiscal, alors même que celui-ci est le plus médiatisé, c'est notamment parce que nous ne disposons d'aucun chiffre pour les années 2012 et 2013 et pour le début de 2014. Quant aux chiffres des années antérieures, ils indiquaient que le nombre d'expatriés fiscaux pleins, pour lesquels les montants des transferts de capitaux sont significatifs, était très faible par rapport à celui de nos compatriotes qui partent s'installer à l'étranger. Certes, la chambre considère l'expatriation fiscale comme très grave, dans la mesure où les expatriés fiscaux sont le plus souvent des dirigeants d'entreprises : l'expatriation de capitaux importants ainsi que des centres de décision – c'est le cas lorsqu'un entrepreneur vend son entreprise et s'installe à l'étranger où il réutilise son capital – représente une perte de substance importante pour la France. Toutefois, tel n'est pas le problème traité par l'étude.

Enfin, l'important est d'avoir à la fois la capacité de développer des talents au service de la France et d'en attirer de l'étranger. Il convient à cette fin de conduire une politique d'attractivité de talents étrangers et d'impatriation de non-Français. Ne nous contentons pas de mesurer le flux d'exportation de talents : il convient de faire la balance entre les sortants et les entrants.

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