Les motivations des Français partant à la retraite à Agadir et celles de ceux qui vont ouvrir une boulangerie à Shanghai sont évidemment différentes. Il convient de distinguer les motivations relevant du long terme de celles qui relèvent du court terme. L'Europe n'est pas seulement un grand marché intérieur de capitaux et de biens : elle est également devenue un grand marché intérieur de main-d'oeuvre. Nous assistons d'ailleurs à un accroissement de la mobilité internationale de la main-d'oeuvre, non seulement du sud vers le nord, mais également du nord vers le nord.
Il faut savoir que tous les systèmes de formation intègrent aujourd'hui un parcours à l'étranger. C'était hier déjà le cas de nos grandes écoles : c'est aujourd'hui celui d'écoles de rang intermédiaire.
De plus, les entreprises recrutent des candidats qui ont un vernis international : les jeunes savent qu'une entreprise préférera recruter, à diplôme égal ou à expérience égale, le candidat qui a fait un parcours à l'international.
Enfin, cette mobilité est une traduction concrète du projet européen. Alors que nos compatriotes sont peut-être sur le point d'exprimer à la faveur des urnes leurs doutes ou leurs interrogations sur l'avenir de celui-ci, d'autres Français votent avec leurs pieds. Pour eux, la question ne se pose plus : l'Europe est devenue leur patrie. N'est-on pas, dans ces conditions, en droit de se demander si la notion d'expatriation ne doit pas être revue ?
À côté de ces mouvements de long terme, qui sont irréversibles, il existe des mouvements de court terme, qui dépendent de la situation conjoncturelle française : l'état du marché du travail est, malheureusement, un profond accélérateur du mouvement de mobilité internationale. Vivre dans un pays où 22 % des moins de 25 ans sont au chômage et où les perspectives à l'horizon d'une année demeurent relativement sombres incite à aller voir ailleurs.
Si le structurel est appelé à se prolonger, le conjoncturel dépendra de l'évolution de la situation économique française.
Il faut tenir compte, à l'intersection de ces deux mouvements, de nombreuses autres considérations. M. Durance a évoqué la fiscalité et la réglementation. Il existe également des considérations d'ordre familial ou culturel. Beaucoup de jeunes Français rencontrent leur conjoint à l'étranger. Auparavant, l'expatriation se faisait en couple : aujourd'hui, on part seul et on fait une rencontre sur place. De plus, un grand nombre de jeunes partis à l'étranger sont frappés de voir combien il est souvent plus simple d'y conduire un projet professionnel qu'en France. Nous avons rencontré de jeunes Français vivant à Londres et à Berlin : tous ont souligné que la dictature du diplôme est moins prégnante au Royaume-Uni et en Allemagne qu'en France, ce qui, à la fois, facilite l'entrée sur le marché du travail et permet des carrières beaucoup plus rapides, alors qu'en France il faut non seulement avoir le bon diplôme, mais également attendre pour accéder à des responsabilités.
Je vous ferai part d'une réflexion personnelle : à la primauté du diplôme, qui est ancienne en France, s'ajoute l'interdiction, pour l'entrepreneur français, du droit à l'erreur lors d'un recrutement : à ses yeux, le diplôme représente une garantie. Au Royaume-Uni, au contraire, le marché du travail est plus fluide : il y est plus facile de se débarrasser d'un collaborateur qui aura déçu dans l'exercice de ses responsabilités.
S'agissant des perspectives de retour, il faudra nous revoir dans dix ou vingt ans pour savoir ce que sont devenus les jeunes Français qui s'expatrient aujourd'hui. Nous pouvons toutefois d'ores et déjà affirmer que leur décision dépendra en grande partie de la situation économique française. Si la période de stagnation, qui dure maintenant depuis six ans, persiste, l'incitation à partir et l'incitation à ne pas revenir seront encore plus aiguës. Quant au nombre croissant de Français partant fonder une entreprise à l'étranger, la perspective de leur retour dépendra de leur réussite ou de leur échec. L'artisan français qui, installé à Shanghai, monte une chaîne de boulangerie a peu de raisons de revenir. Il en sera différemment de celui qui tente sa chance dans la Silicon Valley, où 80 % des jeunes échouent à trouver un emploi, ce qui les incite à revenir. Leurs perspectives sont donc différentes de celles de leurs aînés, expatriés par des entreprises françaises. Par ailleurs, beaucoup de jeunes Français, partis pour l'étranger dans le cadre de leur formation, se mettent en couple avec des locaux, ce qui les place devant la nécessité de choisir leur pays de résidence.
Quant à la position comparée de la France, il y aurait quelque 2 millions de Français expatriés contre 4 millions de Britanniques.