Intervention de Alain Bocquet

Réunion du 10 juin 2014 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Bocquet, rapporteur :

Nous examinons le projet de loi de ratification du protocole se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, projet de loi qui a pour objet d'améliorer la protection de droits dits à tort « de deuxième génération », c'est-à-dire les droits économiques, sociaux et culturels.

Il s'agit de droits fondamentaux mis à mal par la crise des subprimes et du système boursier, qui s'est étendue à l'ensemble de l'économie et fait payer le prix fort aux peuples et aux salariés.

Depuis des années ces droits sont fragilisés en France, en Europe et dans le monde avec, au-delà même des ravages sociaux que chacun constate, des conséquences très préoccupantes sur le repli de la citoyenneté, et des pertes de repères qu'illustrent les résultats électoraux de ces derniers mois. Voilà pourquoi il serait urgent de passer d'une situation d'effondrement des droits à une perspective d'élargissement de leur nombre et de leurs contenus.

Notre système national est, comparé à d'autres, plutôt protecteur pour ces droits. Mais cette protection n'est pas infaillible, et pour cette raison, il est important que nos concitoyens bénéficient de voies de recours supra-étatiques.

Or, jusqu'à récemment, les droits économiques, sociaux et culturels ne bénéficiaient pas d'une véritable reconnaissance à l'échelle internationale. Ils avaient été proclamés par le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels – le PIDESC – adopté par les Nations Unies en 1966. Mais ce Pacte n'était pas considéré sur un pied d'égalité avec le Pacte relatif aux droits civils et politiques. Ces derniers étaient, dans l'esprit de beaucoup, les « véritables » droits fondamentaux, tandis que les droits dits « de deuxième génération » restaient confinés au rôle de lointains idéaux. D'ailleurs, selon les termes mêmes du Pacte, les Etats n'étaient pas vraiment tenus de les respecter, mais simplement d'en « assurer progressivement le plein exercice », en fonction de leurs « ressources disponibles ».

Cela fragilisait donc l'idée même d'une « justiciabilité » de ces droits. Comment, en effet, fonder un recours sur des notions demeurées délibérément vagues dans la définition qu'en retenaient les Etats et les Institutions internationales ?

Il est bien artificiel de diviser les droits de l'homme en deux catégories. Le préambule du PIDESC le dit expressément : « l'idéal de l'être humain libre, libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels, aussi bien que de ses droits civils et politiques, sont créées. » Or ces conditions sont loin d'être évidentes, tant dans les pays en voie de développement que dans les Etats occidentaux.

Voilà pourquoi même si cette démarche de ratification ne saurait suffire loin s'en faut, à répondre à l'objectif d'émancipation des peuples et des hommes, il est impératif d'améliorer la protection de ces droits.

Si le texte qui nous est proposé ne constitue pas une « révolution » des droits, il en marque une avancée.

Ce protocole a été adopté par les Nations Unies en 2008 et signé par la France en 2012. Il met en place un mécanisme de communications, à l'image de celui existant pour les droits civils et politiques, qui permet de donner une voix aux victimes de violations.

Les particuliers ou groupes de particuliers – ONG, syndicats ou autres – pourront désormais déposer une communication devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels lorsqu'ils estiment que leur Etat a violé un de leurs droits. Le Comité examinera la communication et en tirera des recommandations auxquelles l'Etat devra répondre dans un délai de six mois.

A côté de ce mécanisme de communications individuelles, le protocole ouvre deux autres possibilités auxquelles les Etats pourront se rallier en faisant une déclaration en ce sens. La première consiste à donner compétence au Comité pour examiner des requêtes inter-étatiques. Un Etat qui estimerait qu'un autre Etat viole des droits garantis par le Pacte pourra saisir le Comité, après une phase de règlement amiable.

Par ailleurs, les Etats peuvent reconnaître la compétence du Comité pour effectuer des enquêtes sur leur territoire, en cas de suspicion d'atteintes graves à un droit garanti par le Pacte. A l'issue de ces enquêtes qui se font avec l'accord de l'Etat concerné, le Comité communique ses recommandations. L'Etat soupçonné de violation doit y répondre sous six mois.

Le Gouvernement n'a, pour le moment, pas l'intention de reconnaître la compétence du Comité sur ces deux points. Votre rapporteur souhaite évidemment que les choses n'en restent pas là et que cette position évolue, car notre pays se doit d'être moteur en matière de protection des droits de l'homme.

De plus, et c'est le moins que l'on puisse dire, tous ces mécanismes sont très encadrés. Pour rallier l'ensemble des Etats au projet, il a fallu faire des compromis. Ce texte en porte la marque. Les conditions de recevabilité des communications sont très strictes. Il faut avoir épuisé les voies de recours internes. Les dossiers sont instruits à huis clos. La coopération avec les Etats est recherchée à chaque étape. Enfin les avis du Comité ne sont en aucun cas contraignants : les Etats sont juste tenus d'informer le Comité des suites données.

Ces mécanismes restent donc largement soumis au bon vouloir des Etats. Et il y aurait beaucoup à faire pour améliorer en faveur des peuples et des personnes, les conditions d'usage du recours ouvert.

Faut-il pour autant rejeter le dispositif au prétexte qu'il manque d'ambition ? Certes non ! Le protocole reste, malgré ses limites, un petit pas en avant dans la protection de ces droits. Et, à défaut de portée juridique, les décisions du Comité pourront avoir une portée symbolique non négligeable. Un constat de violation conduira à stigmatiser un Etat sur la scène internationale, ce qui pourra s'avérer dissuasif. Dans cette perspective, l'opinion publique a clairement vocation à se saisir de ces dispositifs pour se situer davantage qu'aujourd'hui, en « juge » des politiques des Etats sur ces enjeux.

Encore faut-il que la diffusion des travaux du Comité soit effectivement assurée. Le protocole en donne la responsabilité aux Etats mais jusqu'à ce jour, les travaux du Comité ont eu une audience restreinte.

Tous les cinq ans, les Etats transmettent au Comité un rapport sur la mise en application sur leur territoire, des droits que garantit le Pacte. Le Comité répond par des recommandations. Je pense qu'il serait bon que le Gouvernement transmette systématiquement ces documents au Parlement, afin que nous soyons associés à ce dialogue.

Dans le cadre du protocole, si les procédures se déroulent à huis clos, les recommandations du Comité seront publiées sur Internet. On ne peut qu'en appeler à la responsabilité des gouvernements dont celui de la France, pour en assurer une large diffusion parallèlement aux initiatives des acteurs de la société civile.

Faut-il autoriser la ratification de ce protocole ? Votre rapporteur pense que oui, car il marque un progrès, même modeste. Faut-il s'en satisfaire et refermer d'emblée le débat sur la protection de ces droits ? Votre rapporteur pense bien évidemment que non.

Les mécanismes instaurés par le protocole sont insuffisants pour assurer à eux seuls une protection efficace de ces droits de nos concitoyens victimes de logiques économiques porteuses d'austérité, de récession, de déflation. Une situation que traduisent l'explosion du chômage, les coups portés aux services publics, l'insuffisance de pouvoir d'achat, les reculs des politiques de protection sociale, de santé, de retraites… Tout cela alors que les moyens existent de répondre aux attentes des Français en réévaluant le partage de la richesse produite, ou en s'attaquant à l'évasion fiscale qui prive notre pays de 60 à 80 milliards d'euros par an.

Et puis, il y a le problème des délais. Il faut, pour déposer une communication, avoir épuisé tous les recours internes. Il faut ensuite que le Comité examine la communication et transmette ses recommandations à l'Etat. Ce dernier dispose de six mois pour répondre. Il faut, dans ces conditions, des années pour qu'une victime de violation puisse faire entendre sa voix !

En guise de conclusion, il faut d'abord retenir que ce protocole a le « mérite » de mettre à l'ordre du jour la protection de ces droits, et que cette démarche s'inscrit dans un mouvement général du monde où s'affirme la volonté des peuples et des citoyens d'être entendus et respectés.

Il faut donc saisir l'opportunité qu'ouvre cette ratification d'avancer dans ces objectifs. Et de même, il faut soutenir la nécessité d'étendre les compétences du Comité en accordant toute la publicité nécessaire à ses travaux.

Je pense enfin, que nous ne pouvons qu'être unanimes à souhaiter que la France soit à l'offensive sur ces enjeux au sein de l'Union européenne et des Institutions internationales.

Je vous engage à adopter ce projet de loi de ratification qui résonne avec l'engagement international de la France en faveur des droits de l'homme.

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