Intervention de Thierry Mariani

Réunion du 10 juin 2014 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani, rapporteur :

Madame la Présidente, chers collègues, plusieurs raisons justifient que l'accord de coopération sur la sécurité intérieure avec la Géorgie soit ratifié.

Ces raisons tiennent d'abord aux enjeux que représente le développement de la criminalité d'origine géorgienne en France. Il existe dans plusieurs des anciennes républiques soviétiques, et notamment en Géorgie, une tradition de crime organisé, avec des organisations que l'on peut qualifier de mafieuses et qui sont souvent désignées par l'expression, traduite du russe, de « Voleurs dans la loi ». Depuis une dizaine d'années, ces bandes investissent notre territoire.

Elles se font assez peu remarquer, car elles se spécialisent dans la délinquance non violente, cambriolages, escroqueries à la carte bancaire, trafic de cigarettes, etc., préfèrent les zones rurales ou péri-urbaines aux grandes villes et évitent d'affronter le milieu local.

Mais les chiffres sont là : entre 2009 et 2012, la criminalité géorgienne, mesurée par le nombre de personnes mises en cause, a augmenté de 68 % en zone police, avec plus de 2 500 mises en cause en 2012, et même de 229 % en zone gendarmerie. Le nombre de mis en cause de nationalité géorgienne dépasse désormais celui des Arméniens ou des Russes. En juillet 2013, l'administration pénitentiaire française recensait 275 citoyens géorgiens incarcérés, contre 150 en octobre 2011.

Démanteler ces réseaux transnationaux implique une coopération internationale, avec nos voisins européens, mais aussi avec les pays d'origine, dont la Géorgie. En 2013, deux opérations policières, en France et en Italie, ont permis d'arrêter des dizaines de membres de deux de ces clans mafieux. Ces opérations ont reposé sur une coopération étroite entre les forces de police de différents pays.

C'est pourquoi la France a tissé tout un réseau d'accords de coopération sur la sécurité intérieure, au total près d'une quarantaine, dont celui avec la Géorgie n'est que l'un des maillons.

Nous devons aussi ratifier cet accord au regard des choix politiques faits par la Géorgie.

La politique extérieure de la Géorgie est totalement déterminée par le problème de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, ces deux entités qui ont, avec le soutien de la Russie, fait sécession au début des années 1990 lors de l'indépendance de la Géorgie. Comme vous le savez, cette crise a été réactivée en 2008 avec la guerre russo-géorgienne, achevée par la médiation du président Nicolas Sarkozy. Depuis, la situation est bloquée et l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle majorité en Géorgie il y a un an a tout au plus permis un début de reprise du dialogue politique avec la Russie.

Dans ces conditions, la Géorgie s'inscrit clairement, depuis dix ans, dans une optique d'intégration à l'Union européenne et à l'OTAN. La Géorgie a paraphé en novembre dernier son accord d'association avec l'Union européenne, au sommet de Vilnius, et cet accord devrait être définitivement signé lors du Conseil européen des 26 et 27 juin prochains.

C'est dans ce contexte que la Géorgie cherche à entretenir les meilleures relations bilatérales avec les grands pays occidentaux, dont la France. Il y a de nombreux contacts au plus haut niveau, le dernier en date étant la visite du président François Hollande à Tbilissi il y a un mois. Il y a aussi chez les Géorgiens une volonté manifeste de complaire à la France. Ils ont ainsi pris la décision de principe d'envoyer un contingent en République centrafricaine.

Tout un ensemble de coopérations bilatérales se sont donc déjà développées avec la Géorgie, y compris, avant même la signature de l'accord que nous examinons, dans le domaine de la sécurité intérieure. Nous avons un attaché de sécurité intérieure à Tbilissi depuis 2002 et une coopération opérationnelle depuis 2006. De nombreuses formations et missions d'experts sont organisées. En corollaire, les demandes opérationnelles des services français ont constamment augmenté, de même que les demandes d'assistance des enquêteurs chargés de l'exécution de commissions rogatoires internationales. Les autorités géorgiennes sont coopératives, y compris pour aider à l'éloignement de leurs ressortissants en situation irrégulière. Il y a aussi une importante coopération technique en matière de sécurité civile.

En termes de politique intérieure, la Géorgie est devenue, malgré sa situation internationale difficile, l'un des États à la fois les plus stables et les plus démocratiques de l'ex-URSS. Cela est attesté par le fait qu'elle a connu, en 2012-2013, une alternance politique pacifique, par la voie des urnes. L'exemple de l'Ukraine montre qu'encore aujourd'hui cela ne va pas de soi dans l'ex-URSS. La Géorgie a aussi obtenu des résultats dans la lutte contre la corruption : dans le classement de l'ONG Transparency International, elle est la mieux notée des ex-républiques soviétiques derrière les trois pays Baltes.

En matière économique, enfin, la Géorgie n'a pas de pétrole mais a la chance d'être sur la route vers l'Europe des hydrocarbures de la mer Caspienne. Elle a aussi fait des choix résolument libéraux, lesquels l'ont propulsée au 8ème rang mondial du classement Doing Business de la Banque mondiale, qui porte sur la facilité à faire des affaires. Si vous allez à Tbilissi, ne manquez pas de visiter la maison des entreprises : on y crée une entreprise en trois heures et on en ressort même avec un crédit. Après la crise financière, qui l'a frappée, la Géorgie a connu en 2010-2012 une croissance annuelle remarquable, supérieure à 6 %, même si on a aujourd'hui un ralentissement, avec 3 % de croissance en 2013.

L'accord que nous examinons vise à donner une base juridique solide à la coopération policière avec la Géorgie, qui existe déjà, en délimitant clairement son objet et en prévoyant aussi les clauses restrictives et protectrices des libertés qui figurent habituellement dans un accord de cette nature. C'est en effet un accord de facture classique, dont les stipulations sont très proches de celles de la quarantaine d'accords similaires signés par notre pays.

Comme ces autres accords, l'accord avec la Géorgie délimite son champ en nommant les domaines de coopération concernés. Il prévoit ensuite diverses formes de coopération, telles que l'échange d'informations policières, l'envoi d'experts ou d'officiers de liaison, l'organisation de formations, etc.

Il comprend ensuite des garde-fous habituel. D'abord, le rappel du respect nécessaire des engagements internationaux et de la législation nationale des parties dans la mise en oeuvre de l'accord. Ensuite, la faculté pour les deux pays de refuser des demandes de l'autre qui porteraient atteintes aux droits fondamentaux des personnes, à leur souveraineté, à l'ordre public, à leur organisation judiciaire, plus généralement à leurs intérêts essentiels. Cette formule générale préserve la possibilité de freiner la coopération pour des raisons politiques supérieures. Enfin, l'accord prévoit le respect de la confidentialité des informations échangées.

On peut ajouter que, même si l'accord ne comprend pas de dispositions portant spécialement sur l'échange d'informations nominatives, qui est essentiel en matière policière, il devrait faciliter l'obtention par la partie française de telles informations en provenance de Géorgie. Alors que dans l'autre sens, l'application de notre législation interne limite très fortement, voire interdit sauf exceptions, la transmission de telles informations à des partenaires non membres de l'Union européenne, ce qui restera vrai nonobstant l'accord.

Cet accord est donc respectueux de nos engagements internationaux et de notre législation et notamment de notre conception de la protection des données personnelles. Il est passé avec un pays qui a fait des efforts remarquables vers la démocratie et la bonne gouvernance, un pays ami de la France, un pays qui se veut européen. Enfin, il devrait réellement faciliter la lutte contre la criminalité transnationale, car celle-ci a notamment des sources en Géorgie. Nous avons donc toutes les raisons de l'approuver.

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