Intervention de étienne Wasmer

Réunion du 13 mai 2014 à 17h45
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

étienne Wasmer, codirecteur du LIEPP :

Nous possédons sur l'expatriation des données moins précises que sur les autres secteurs de la vie économique et sociale, car il est difficile d'appréhender un phénomène extérieur au territoire national. Toutefois, des chiffres permettent de formuler un diagnostic, moyennant quelques réserves et quelques hypothèses.

Des données enregistrent, depuis les années 1980, le taux d'émigration, soit le nombre de personnes nées dans un pays et résidant à l'étranger, rapporté au volume de la population, immigrés inclus, vivant dans le pays de départ. Elles révèlent en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis une tendance à l'émigration. Le taux d'émigration de la France et des États-Unis est cependant inférieur à celui des autres pays. Entre 1980 et 2010, le nôtre passe d'un peu plus de 1 % à plus de 2 %.

C'est sans doute parce que la France n'a jamais été une terre d'émigration que les évolutions récentes nous surprennent. Par ailleurs, si son taux d'émigration augmente, celui-ci reste inférieur à celui du Royaume-Uni, des Pays-Bas ou de l'Allemagne, ce qui peut paraître rassurant. Cette impression se confirme si l'on observe le solde net, soit la comparaison des départs et des arrivées des diplômés du supérieur, baccalauréat inclus. La France est attractive : elle accueille un nombre croissant de personnes qualifiées, et celui-ci est supérieur à celui des personnes nées en France et résidant dans d'autres pays. On ne peut néanmoins établir ce résultat qu'à partir d'hypothèses qui portent sur une vingtaine de pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE.

Ces pays nous envoient moins de diplômés que nous n'en envoyons vers eux. Si la France accuse un déficit vis-à-vis du Canada et des États-Unis, grands attracteurs nets de diplômés, elle reste bénéficiaire par rapport aux autres pays du monde. Je le répète : la France n'est pas un pays d'émigration. La sortie des diplômés, en augmentation, est compensée par les entrées, ce qui se traduit par un solde migratoire très positif pour les plus qualifiés.

Quatre points doivent retenir notre attention.

Si la France semble bénéficiaire nette au niveau mondial pour les diplômés du supérieur, elle ne l'est pas si l'on se limite aux entrées et sorties entre pays de l'OCDE.

L'échelle de définition des qualifications dont nous disposons étant grossière, nous réfléchissons sur l'éducation tertiaire, c'est-à-dire sur les titulaires d'un baccalauréat ou plus, sans savoir ce qu'il en est des « très hauts potentiels » – titulaires d'un doctorat, ingénieurs, innovateurs ou créateurs d'entreprise.

La note mettant l'accent sur les flux nets, plutôt que sur les départs, elle ignore la réflexion sur les moyens de faire revenir ceux qui pourraient le souhaiter.

Enfin, il faut réfléchir au moyen d'attirer les hauts potentiels qui résident à l'étranger.

La question des données disponibles appelle quelques éclaircissements. Le registre mondial des Français établis hors de France apporte des indications précieuses, mais l'inscription à ce registre est le résultat d'une démarche volontaire. Au 31 janvier 2012, il comptait 1,6 million d'inscrits, après avoir augmenté en moyenne de 4 % en dix ans. Les données brutes ne sont pas disponibles en ligne.

Certains biais de sélection ne sont pas faciles à contrôler. Le registre inclut plus spontanément les résidents français qui vivent dans des contrées éloignées, auxquels l'inscription au consulat peut procurer un avantage, par exemple en cas d'accident. Les Français habitant dans des pays très proches sont vraisemblablement sous-déclarés, tout comme ceux qui envisagent une expatriation définitive. Le niveau d'études influe aussi sur le comportement de déclaration, de même que certains événements conjoncturels : on enregistre plus d'inscriptions au consulat avant une élection. Dernière réserve : ces données ne se prêtent pas à une comparaison internationale.

Une mesure alternative, qui demanderait un travail considérable, consisterait à regarder, dans les recensements effectués dans chaque pays vers lequel nous pensons qu'il existe de l'émigration, le nombre de personnes nées en France. Puis on le comparerait à celui des nationaux de ces pays résidant en France. C'est la seule méthode qui procurerait des résultats fiables.

Nous avons utilisé des données financées par l'Union européenne et développées par un centre de recherche allemand, l'IAB (Institut für Arbeitsmarkt- und Berufsforschung). Elles portent sur vingt pays de l'OCDE qui, à l'exception de l'Italie et de la Belgique, représentent les destinations principales : l'Australie, l'Autriche, le Canada, le Chili, le Danemark, la Finlande, la France, l'Allemagne, la Grèce, l'Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Portugal, l'Espagne, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis.

La base porte sur la population de plus de 25 ans, distingue trois niveaux d'études – primaire (niveau collège), secondaire (niveau lycée) et tertiaire (toutes les formations de l'enseignement supérieur) – et remonte jusqu'aux années 1980. Elle permet d'évaluer le nombre de Français vivant dans les pays concernés, comme le nombre de personnes nées dans ces pays et résidant en France. Toutefois, elle ne comptabilise pas le nombre de Français dans les anciennes colonies. Elle n'indique pas non plus l'âge de départ des émigrants ; dès lors, on ignore où ils ont fait leurs études et quel pays les a financées.

Une autre base de données concernant cent pays a été établie par l'OCDE, mais elle ne porte que sur l'année 2000. Le rapprochement des deux bases révèle que, pour la France et le niveau d'éducation tertiaire, les personnes vivant dans les dix-neuf pays étudiés par l'enquête de l'IAB représentent 79 % du nombre total de personnes nées en France et vivant à l'étranger. En d'autres termes, pour les plus diplômés, le biais de sous-estimation de l'IAB est de 20 %, dont 12 % concernent la Belgique, l'Italie et Israël. La marge d'erreur de 20 % n'inverse pas les conclusions que j'ai présentées sur le nombre de diplômés accueillis par la France et venant de tous les pays du monde.

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