Oui : ils reviennent transformés. Les premières années – où je n'enseignais pas encore dans l'institution –, ils se sont plaint des exposés magistraux de leurs professeurs, alors que l'enseignement international se caractérise par une plus grande décontraction, un meilleur taux d'encadrement et un suivi de meilleure qualité. L'enseignement de Sciences Po s'est adapté aux pratiques étrangères.
La France ayant toujours été un pays de faible émigration, elle s'est peu interrogée sur le phénomène, ce qui explique que le débat n'en soit qu'à ses balbutiements. Il faudra se pencher sur le sujet dans les prochaines années, car l'expatriation des diplômés augmente, non seulement parce qu'il y a plus de diplômés – en taux, les évolutions sont moins marquées –, mais aussi parce qu'il est plus facile de vivre à l'étranger aujourd'hui qu'il y a quinze ou vingt ans, grâce au progrès des communications via internet ainsi qu'à l'abondance et au faible coût des transports. Le phénomène des migrations and return migrations a été étudié dans les pays en développement, mais la France a, comme ces pays, des réticences à étudier ce phénomène.
Nous avons souligné les limites de la base de données que nous avons utilisée. Le peigne est trop large, puisqu'il ne mesure pas précisément les niveaux de diplôme, et la base n'est pas exhaustive, puisqu'elle ne considère que dix-neuf pays sur plus d'une centaine.
Paradoxalement, l'émigration des Français est surtout intra-européenne. Le programme Erasmus facilite l'expatriation. Des jeunes qui ont passé un an en Espagne, en Italie ou au Danemark ont acquis une expérience internationale. Ils peuvent facilement s'exprimer dans une autre langue et travailler à l'étranger. C'est une chance que les jeunes Français se situent d'entrée dans un marché européen ou mondial. Il n'y a pas lieu de les retenir ni de limiter des départs inéluctables. En revanche, il faut réfléchir au moyen de les faire revenir dans de bonnes conditions ou d'inciter les étrangers à s'installer chez nous.
Les nombreux diplômés qui arrivent en France viennent des pays situés à l'extérieur de l'OCDE, particulièrement en Asie et en Afrique, mais le Canada ou les États-Unis en accueillent davantage. Cette situation s'explique par l'insuffisante flexibilité qui caractérise, en France, le monde économique ou celui de la recherche. Jusqu'à une date récente, il était difficile aux jeunes diplômés d'obtenir un important budget de recherche dans notre pays. L'Agence nationale de la recherche a fait beaucoup pour mettre à leur disposition des budgets blancs, qui permettent de démarrer rapidement des travaux, mais leur volume est sans commune mesure avec celui qu'on rencontre aux États-Unis, où l'on n'hésite pas à faire confiance, notamment dans les sciences dures, à de très jeunes chercheurs.
Il existe peu d'études sur le cycle de vie, mais le coût de la santé ou de l'éducation compte beaucoup dans la décision de se réinstaller en France. On parle souvent de la concurrence fiscale à laquelle se livrent les États pour attirer les entreprises. Le même phénomène s'observe vis-à-vis des ménages.
Pour l'heure, on constate un déséquilibre fiscal : la France paie des études à des gens brillants, qui, quand ils dépensent peu en termes de santé et d'éducation, travaillent à l'étranger, et reviennent quand ils doivent financer ces dépenses. Qu'en conclure ? Qu'il faut cesser de prendre en charge l'éducation ou la santé, ou que le pays doit être attractif à tout moment de la vie ? C'est là un débat de fond.