Mesdames et messieurs les députés, merci de me recevoir à la commission des Finances et à huis clos car cela me permet de m'exprimer librement sur les sujets de défense qui sont très sensibles. Lorsque j'ai répondu favorablement à cette demande, la semaine dernière, j'étais dans une posture délicate. Depuis vendredi dernier et singulièrement depuis tout à l'heure, je suis plus apaisé car le Premier ministre vient de réaffirmer avec beaucoup de force que la LPM serait respectée et que la Défense – je reprends ses termes – « n'aurait pas à payer deux fois ». Je souhaiterais d'ailleurs vous remercier pour votre attachement à la LPM et aux crédits de défense qui sont essentiels à la sauvegarde de notre souveraineté. Nous devons rester vigilants.
Ma conviction personnelle sur la loi de programmation, que j'ai eu l'occasion de réaffirmer à plusieurs reprises devant les militaires et devant les commissaires concernés du Sénat et de l'Assemblée nationale, est qu'elle se caractérise par sa cohérence et son équilibre. C'est le fruit d'un travail minutieux de dix-huit mois qui fait suite à la publication d'un Livre blanc. L'ensemble des éléments de la LPM a été pesé et réfléchi pour parvenir à une cohérence qui consiste dans la définition d'un nouveau modèle d'armée et dans la définition de nouveaux contrats opérationnels, adaptés à de nouvelles formes de crise. Cette cohérence permet encore d'assumer simultanément les trois missions fondamentales qui sont : la protection du territoire, la dissuasion nucléaire et l'intervention sur les territoires extérieurs. Nous disposons ainsi de contrats opérationnels adaptés en fonction des objectifs.
Le deuxième point concerne l'équilibre. La trajectoire financière qui a été associée à ce nouveau modèle est de 190,6 milliards d'euros courants entre 2014 et 2019. Il s'agit d'un effort significatif mais calculé au plus juste et c'est la raison pour laquelle je parle de cohérence et d'équilibre : si on enlève une brique du dispositif, alors l'ensemble est en difficulté.
Troisièmement, j'ai pris le soin de faire en sorte que les dépenses de la LPM soient résolument tournées vers l'avenir. Cela a conduit à infléchir un certain nombre de choix, par exemple pour permettre à la préparation opérationnelle de remonter en puissance, ou afin de combler l'absence de capacités, en particulier dans le domaine du renseignement, de la cyberdéfense, et d'affirmer la priorité de la recherche et du développement – R&D. J'ai ainsi souhaité sanctuariser dans la loi de programmation, l'effort sur les études amont de 0,73 milliard d'euros en moyenne annuelle sur toute la période. Cet effort nous permet d'être dans l'innovation et l'anticipation pour les échéances des dix prochaines années et permettra à nos successeurs de disposer de technologies de pointe.
Enfin, pour maintenir la cohérence et l'équilibre, j'ajouterai que la loi de programmation entraîne des efforts structurels extrêmement importants, gages d'un résultat extrêmement rigoureux, sur lesquels j'aurai l'occasion de revenir.
Il importe que la trajectoire financière soit respectée et puisque le Premier ministre a réaffirmé cette volonté il y a un instant, j'aimerais revenir sur quelques points y afférant.
Il y a en particulier deux données que je souhaiterais aborder. D'abord la loi de finances rectificative pour 2014. Lors de la fin de gestion 2013 qui avait permis au ministère de la Défense de bénéficier de la couverture intégrale du surcoût de ses OPEX, mais qui avait vu son budget amputé dans le même temps de 488 millions d'euros au titre de sa contribution à l'effort interministériel de réduction des déficits, j'avais obtenu que 500 millions d'euros exceptionnels soient ajoutés dans la LPM (article 3), mobilisables soit en 2014, soit en 2015. Dans la loi de finances rectificative pour 2014, on m'a proposé de faire une encoche de 350 millions d'euros sur le budget de la Défense, au titre de la mutualisation des efforts pour participer à l'économie de 4 milliards d'euros sur le budget de l'État. J'ai fait savoir qu'à partir du moment où cette encoche était faite, l'article 3 de la LPM devait automatiquement s'appliquer afin que le ministère de la Défense puisse bénéficier sans tarder de ces 500 millions de crédits supplémentaires au titre des recettes exceptionnelles.
Je peux vous dire que j'ai obtenu satisfaction. Je le dis car c'était une interrogation majeure, y compris pour les industriels, dans la mesure où il fallait absolument garantir ces financements pour pouvoir engager un ensemble de programmes structurants au cours de l'année 2014. Ces programmes, que je vais engager durant l'été, sont les suivants : le programme d'avions ravitailleurs MRTT – Airbus A330 Multi Role Tanker Transport –, le programme Scorpion, l'acquisition de systèmes supplémentaires de drones Moyenne Altitude Longue Endurance – MALE –, la commande du quatrième sous-marin d'attaque Barracuda et, en ce qui concerne la dissuasion, le lancement des travaux de développement de la prochaine version du missile M51, le missile M51.3.
Comme l'a indiqué le Premier ministre, le budget triennal 2015-2017 correspond à la LPM pour sa partie 2015-2017. Je considère donc que pour la période 2015-2017, d'un point de vue strictement financier, en application de la LPM, le budget de la Défense bénéficiera de 94,3 milliards d'euros. Il existe néanmoins un sujet sensible que je souhaite aborder avec vous : dans ces 94,3 milliards d'euros sont comprises les ressources exceptionnelles pour un montant de 3,9 milliards d'euros. Le budget 2014 a perçu l'intégralité des ressources exceptionnelles pour un montant s'élevant à 1,8 milliard d'euros : pour l'essentiel, ressources immobilières, 1,5 milliard d'euros au titre du programme d'investissements d'avenir – PIA, et quelques redevances. À ce 1,8 milliard d'euros, s'ajouteront les 500 millions d'euros que j'évoquais précédemment.
Le financement des ressources exceptionnelles est précisé pour la première fois dans la LPM, qui énonce la liste des actifs mobilisables pour assurer ces ressources. Cette liste comprend les ressources immobilières, le PIA, les cessions d'actifs de type participation dans les entreprises et les recettes produites par la mise aux enchères de la bande des fréquences dite des « 700 MHz », qui est réputée être totalement affectée à la LPM. Ce sujet-là n'a fait l'objet d'aucune contestation et est garanti par la loi. Toutefois, dans l'état actuel des discussions et de la mise aux enchères de la bande des fréquences, le calendrier me paraît être plus long que prévu. Il est peu probable que cette mise aux enchères puisse se produire de telle sorte que les recettes soient assurées pour le budget 2015 et, aujourd'hui, on peut s'interroger pour 2016. La garantie de l'affectation de la recette est intacte mais nous rencontrons un problème de calendrier. Nous avons donc obtenu l'autorisation de travailler sur d'autres dispositifs dits « dispositifs innovants » qui utiliseraient tout ou partie de cessions d'actifs ayant déjà eu lieu ou pouvant avoir lieu pour permettre de combler soit définitivement, soit provisoirement l'absence de recettes provenant de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz. Ce travail, qui a tardé à se mettre en oeuvre, est désormais en cours et j'espère pouvoir avoir des résultats rapidement. Cela peut passer par différents systèmes et cela ne concerne que l'investissement. Il nous reste à valider les options complètement et c'est un point sur lequel le Président de la République et le Premier ministre nous ont donné mandat d'agir dans les plus brefs délais.
En dernier point de mon intervention, je souhaiterais rappeler les efforts réalisés par la Défense pour participer au rétablissement des comptes publics. Je sais que certains disent que la Défense doit contribuer comme tout un chacun à cet effort. Je peux vous assurer qu'elle le fait, notamment par une réduction significative de ses postes. La LPM prévoit une nouvelle réduction de 24 000 postes auxquels il faut ajouter les 10 000 postes qui restent à « traiter » de la LPM antérieure. Les efforts résultant de cette réduction d'effectifs se traduiront par une économie de 4,4 milliards d'euros sur la durée de la LPM dont 2 milliards sur la période 2015-2017, concourant ainsi à l'effort de redressement des comptes publics, avec – et c'est le point le plus difficile pour moi à gérer mais je l'assume – un effort sans précédent de « dépyramidage » qui suppose une vraie réforme structurelle.
Dans le même temps, nous avons renégocié la quasi-totalité des grands contrats d'armement qui avaient été lancés dans la LPM antérieure. Les bases sur lesquelles avaient été précédemment menées les négociations avec les industriels étant tombées, j'ai relancé les négociations avec les acteurs industriels sur l'ensemble des programmes. Les nouveaux contrats ont été calibrés au plus juste, à la fois pour assurer les capacités de notre défense, mais également pour préserver la base industrielle des technologies de défense – BITD – et l'emploi.
J'ai également engagé une réorganisation profonde du ministère, qui se traduit par plus de trente chantiers de réformes, portant sur l'ensemble des domaines : des archives à l'action sociale, des opérateurs aux postes permanents à l'étranger, de la formation à l'habillement, en passant par l'organisation au soutien. Il s'agit de chantiers extrêmement sensibles mais telle est la condition pour aboutir à la cohérence et l'équilibre.
Enfin, je voudrais faire le point, en conclusion, des surcoûts pour le financement des OPEX pour éviter toute ambiguïté. Nous sommes passés d'un montant de 630 millions d'euros ouvert en loi de finances initiale pour 2013 à 450 millions d'euros annuels sur la durée de la LPM. Pourquoi cette diminution ? Le calcul des 450 millions d'euros, effectué à l'automne, intégrait le fait que notre présence en Afghanistan allait se terminer, que celle au Mali diminuait, que l'on renonçait à notre présence au Kosovo et que nous arrêtions aussi quelques interventions nécessitées par l'actualité, notamment en Jordanie, la crise en Syrie ou sur la Corne de l'Afrique. Par ailleurs, en raison de la réorganisation de notre dispositif en Afrique, les effectifs des forces prépositionnées vont diminuer. Mais l'opération Licorne en Côte d'Ivoire s'achève et, en gros, ses effectifs vont basculer dans les forces prépositionnées dont le financement relève du budget de la Défense, hors OPEX.
Toutefois, à court terme, ce chiffre-socle de 450 millions d'euros ne pourra pas être respecté car, entre-temps, deux événements importants se sont produits. En premier lieu, notre présence au Mali a dû être maintenue plus longtemps que prévu pour s'adapter à la situation – le Président de la République a souhaité, à la demande des autorités maliennes, qu'on maintienne un effectif plus significatif jusqu'à la fin des législatives maliennes. Ainsi, alors que l'on devait rejoindre un effectif de 1 000 à la fin de l'année 2013 nous n'atteindrons ce seuil qu'à la fin de l'été 2014. En second lieu, le Président de la République a décidé le 5 décembre 2013 d'intervenir en République centrafricaine : il s'agit là d'une nouvelle opération, se situant hors du cadre des 450 millions d'euros. Ces deux évolutions nous amèneront à dépasser l'enveloppe des 450 millions d'euros inscrits dans la LPM 2014. Mais un tel dépassement OPEX est prévu dans la clause de sauvegarde de la LPM et sera traité par financement interministériel en fin d'exercice 2014. Ce surcoût fait partie de la mutualisation ; cela a été le cas en 2013, ce sera le cas également en 2014. Il s'agit d'une bonne chose pour la Défense car il peut toujours y avoir des opérations nouvelles et imprévues.
J'ajouterai un dernier point pour revenir à mon introduction. Avec les chefs d'état-major des différentes armées, j'ai mené depuis le mois de janvier un travail d'explication et d'information dans les unités à l'occasion de visites dans différents régiments et bases. À chaque fois, nous avons fait valoir la difficulté mais aussi la cohérence du dispositif que représente la LPM. Si l'on procédait autrement pour des raisons financières – et d'autres pays l'ont fait – il s'agirait alors d'une autre LPM car il existe une cohérence dans le dispositif choisi qui nous permet de répondre aux opérations indiquées. Si la France ne peut pas accorder un budget aussi important à sa défense, c'est un autre sujet et il faudrait alors faire une nouvelle loi de programmation.
Voilà la raison pour laquelle je me bats pour défendre cette LPM que j'estime adaptée au temps présent, c'est-à-dire aux contraintes financières de la France, mais aussi à la nécessité de nous défendre et d'obtenir une place crédible sur la scène internationale.