Intervention de Maryvonne le Brignonen

Réunion du 10 juin 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Maryvonne le Brignonen, rapporteure générale du CPO pour le rapport Fiscalité locale et entreprises :

La fiscalité locale a été largement étudiée en tant que ressource des collectivités locales ; elle l'a été beaucoup moins du point de vue des entreprises.

Le CPO a d'abord dressé un inventaire des impositions locales qui frappent les entreprises, en essayant d'en chiffrer l'ampleur financière. Il a ensuite cherché à répondre aux questions posées par la lettre de saisine, qui portaient sur le bilan de la réforme de la taxe professionnelle mise en oeuvre en 2010, et sur la cohérence entre fiscalité nationale et fiscalité locale au regard de la compétitivité des entreprises. Il s'est enfin interrogé sur le rôle de la fiscalité locale dans l'attractivité des territoires.

Nous avons d'abord constaté que la fiscalité locale des entreprises est disparate, et ne peut être qu'estimée. Le CPO a recensé près de soixante-dix impositions différentes, parfois ponctuelles. On peut distinguer, d'une part, les impositions réellement locales, dont l'assiette peut être territorialisée, et qui s'élèvent à environ 43 milliards d'euros en 2012 – contribution économique territoriale (CET) ou taxe foncière notamment –, et, d'autre part, les impositions locales qui sont en réalité des impositions nationales allouées aux collectivités locales. Ces dernières ont représenté environ 16 milliards d'euros en 2012. Par ailleurs, pour certaines impositions, dont le montant s'élève à 17 milliards d'euros, l'administration fiscale ne sait pas distinguer la part payée par les ménages de celle payée par les entreprises – celle-ci s'élèverait approximativement à 3 milliards d'euros. Au total, on peut estimer que la fiscalité locale des entreprises représenterait à peu près 60 milliards d'euros par an.

Traditionnellement, la fiscalité locale des entreprises reposait en France sur des assiettes que l'on pouvait facilement rattacher à un territoire. Cette singularité s'est partiellement perdue aujourd'hui : la fiscalité transférée aux collectivités locales dans le cadre de la décentralisation est d'une nature différente. Si les assiettes demeurent majoritairement foncières, il en existe aussi de nature sectorielle dynamiques ou spécifiques à un territoire –dans les villes thermales ou celles disposant d'un casino, par exemple.

L'une des principales conclusions du rapport est que la création de la CET a effectivement favorisé la compétitivité des entreprises et amélioré la cohérence des assiettes fiscales locales et nationales. Les critiques adressées à la taxe professionnelle sont connues : elle renchérissait les coûts de production et pénalisait les secteurs exposés à la concurrence internationale. La réforme, qui a notamment créé une assiette fondée sur la valeur ajoutée, a donc globalement atteint son objectif. Elle a d'abord entraîné un allégement global de la fiscalité économique locale, ce qui a agi comme une mesure de soutien aux entreprises. Les effets ont été durables : dans les conditions fiscales de 2010, toutes entreprises confondues, on pouvait constater une baisse de l'impôt économique local des entreprises de 7,5 milliards d'euros ; en rythme de croisière, ce gain a été de l'ordre de 4 milliards d'euros. Au total, 60 % des entreprises ont été gagnantes, 15 % n'ont pas vu leur situation évoluer et 25 % ont été perdantes.

La réforme a modifié la répartition sectorielle de la charge fiscale. Le secteur de l'industrie est le premier bénéficiaire de la réforme, puisque sa charge fiscale a connu une diminution de l'ordre de 2 milliards d'euros. Les PME sont également gagnantes : les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 3 millions d'euros concentrent environ la moitié du gain fiscal initial de la réforme. Cependant, le CPO a relevé des effets non prévus, notamment pour les entreprises qui se sont trouvées assujetties à la cotisation minimale de cotisation foncière des entreprises (CFE). La réforme a entraîné, pour les professions libérales ainsi que pour les artisans et commerçants, un rétrécissement de la base d'imposition qui les a fait entrer dans le dispositif. Le nombre d'entreprises redevables de la CFE a augmenté d'environ 14 % en 2011 et 12 % en 2012. Depuis 2010, toutefois, les lois de finances successives ont affiné ces dispositifs et lissé les effets de seuil.

Le CPO a relevé que, depuis 2010, la fiscalité économique locale a connu une évolution modérée – ce qui était l'un des objectifs de la réforme –, avec un taux national de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) fixé à 1,5 %. Les évolutions de la base de CVAE sont difficiles à analyser : nous manquons de recul, puisqu'il y a un décalage de deux ans entre les montants payés par les entreprises et ceux reversés aux collectivités.

La réforme de la fiscalité locale des entreprises va se poursuivre avec la révision des valeurs locatives cadastrales, qui doit prendre en compte l'évolution des marchés locatifs. Ce travail de longue haleine devrait montrer ses premiers effets en 2016, sur les taxes foncières, sur la CVAE et la CFE, mais aussi sur la répartition de la CVAE entre les collectivités. Il y aura des transferts de charges, c'est sûr, mais il est impossible de les évaluer aujourd'hui. Le rapport demande qu'une communication adaptée et détaillée soit mise en place par l'État à destination des entreprises.

La fiscalité des entreprises s'oriente davantage aujourd'hui vers une taxation de la richesse produite que vers une taxation des facteurs de production ; c'est un point que le CPO estime positif. En effet, la création de la CVAE, les récentes réflexions – certes aujourd'hui abandonnées – sur l'excédent brut d'exploitation (EBE) ou les échanges lors des assises de la fiscalité ont montré la nécessité de s'orienter dans cette voie. Au niveau local, le CPO a conclu que la coexistence de la CVAE, dont l'assiette est la valeur ajoutée, et de la CFE, dont l'assiette foncière matérialise le lien entre l'entreprise et son territoire, constituait aujourd'hui un bon compromis.

S'agissant du rôle de la fiscalité locale dans l'attractivité des territoires, le CPO a constaté que la réforme de 2010 a réduit la concurrence fiscale entre collectivités locales, en particulier grâce à la fixation d'un taux national de CVAE. Nos nombreux entretiens nous ont convaincus que la fiscalité locale ne constitue qu'un élément parmi bien d'autres dans l'attractivité des territoires : ce qui compte, ce sont avant tout les aides et prestations de services non monétaires – développement d'une infrastructure, offre de transports. L'un des leviers majeurs est la disponibilité du foncier, et la fiscalité peut effectivement jouer un rôle important dans ce cadre. Des exonérations fiscales, bien que leur durée comme leur montant soient souvent limités, sont toutefois considérées par les entreprises comme un signal positif : il ne faut donc ni exagérer leur importance ni la négliger. Le CPO conclut que les leviers fiscaux sont aujourd'hui plutôt utilisés par les collectivités pour augmenter leurs ressources, soit par l'utilisation d'impositions facultatives, comme la taxe locale sur les enseignes et publicités extérieures (TLPE), ou par le recours au taux plafond lorsqu'il existe une possibilité de modulation, pour la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), par exemple.

Le CPO considère que des évolutions importantes relèvent d'un débat global sur le rôle assigné à la fiscalité locale. Il propose néanmoins certaines pistes d'amélioration.

Il paraît, d'abord, nécessaire de stabiliser le paysage fiscal, sur la base des acquis de 2010. Le CPO s'est interrogé sur la meilleure façon de consolider les acquis de la réforme en matière de compétitivité, grâce à certaines simplifications. Il s'est interrogé sur la pertinence d'une CVAE spécifique pour certains secteurs économiques, notamment celui des assurances : c'est un sujet qui a fait débat à la fin de l'année dernière, lorsque la CVAE versée par les entreprises d'assurances, notamment à la Ville de Paris, a brusquement diminué. Après des travaux assez techniques que je ne développerai pas ici, le CPO a conclu qu'une telle mesure aurait toutefois au moins autant d'inconvénients que d'avantages. Il a jugé utile de simplifier certains dispositifs très complexes, certaines taxes ne faisant même pas l'objet d'un imprimé CERFA.

Il apparaît, ensuite, pertinent au CPO de consolider la gouvernance de la fiscalité locale des entreprises, pour prévenir son émiettement et renforcer son efficacité. Il n'existe, à ce jour, aucun suivi coordonné et centralisé au niveau de l'État, alors que plusieurs administrations interviennent. De plus, les collectivités locales manquent de visibilité sur leurs ressources fiscales au moment où elles votent leur budget. Le CPO a donc proposé de réunifier la maîtrise d'oeuvre de la fiscalité locale des entreprises au sein d'une seule direction, rattachée au ministère de l'économie et des finances. Cela permettrait un meilleur suivi, notamment du poids pour les entreprises de cette fiscalité – car son estimation s'est révélée un exercice extrêmement difficile. La communication d'informations par l'État aux collectivités locales, notamment sur la question de la CVAE, devrait également, autant que faire se peut, arriver plus tôt dans l'année.

Le CPO propose encore la suppression de certaines petites taxes et le resserrement des ressources fiscales des collectivités locales autour de grandes impositions. Ce serait plus lisible pour les entreprises, et permettrait sans doute de limiter le coût de cette fiscalité. Toutefois, des évolutions significatives relèvent de débats plus larges, portant sur l'ensemble de la fiscalité des entreprises, ainsi que sur l'objectif assigné à la fiscalité locale des entreprises – soit assurer un financement stable des collectivités territoriales, soit donner une efficacité économique à la fiscalité. Les collectivités locales ont besoin de ressources stables, et l'assiette foncière permet de sécuriser leurs ressources fiscales puisque les bases taxables sont captives ; mais, d'un point de vue économique, l'imposition de facteurs de production est plus défavorable à l'activité économique que la taxation des richesses produites. A contrario, cette dernière varie suivant le cycle économique. L'objectif premier de la fiscalité locale est-il donc d'assurer un financement à la fois stable et dynamique des collectivités locales ou bien de disposer d'une fiscalité en phase avec le cycle économique ? La « crise des bases minimum de CFE » en 2013 a montré cette tension, difficile à résoudre. Cette question excède largement le mandat confié au CPO et implique des arbitrages politiques entre le choix d'un financement des collectivités par le biais de la fiscalité ou sur la base de dotations. Le CPO estime cependant que c'est ce cadre global qui est pertinent pour l'analyse de la fiscalité locale des entreprises.

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