À l'échelon mondial, le marché de la musique enregistrée, qui représente 17 milliards de dollars, est un micromarché comparé à celui des télécommunications, qui est cent fois plus gros. Toutefois, il représentait 34 milliards d'euros au début des années 2000 et sa valeur a été divisée par deux en l'espace de dix ans.
On a, en outre, assisté entre 2007 et 2013 à un important transfert de valeurs au profit des acteurs de l'internet. La capitalisation boursière des géants de ce secteur est passée, durant cette période, de l'indice 100 à l'indice 195, alors que, dans le même temps, celle des opérateurs de télécommunications diminuait de 25 % et que celle des fournisseurs de contenus se maintenait tant bien que mal au même niveau. Contrairement à une opinion largement répandue, ce ne sont donc pas les opérateurs de télécommunications qui ont profité des contenus.
Mettant à profit les possibilités que leur procure leur taille mondiale, les géants de l'internet ont bâti des écosystèmes complets. Ils sont, aujourd'hui, les seuls à pouvoir investir plusieurs centaines de millions de dollars pour attaquer le marché mondial de la musique.
En revanche, les modèles d'affaires se cherchent encore. Les fournisseurs de musique, comme Spotify ou Deezer, hésitent entre le financement par la publicité de contenus gratuits, suivant l'exemple de la monétisation des contenus d'actualité, et un système d'abonnement inspiré des offres premium ou des services éducatifs ; ils font actuellement l'hypothèse d'un passage, à terme, de l'un à l'autre. Entre ces deux extrêmes subsiste le modèle initial de vente de fichiers numériques lancé par iTunes.
Dans ce contexte général, la production francophone résiste bien. Si le nombre d'albums produits par les majors est passé de 407 albums en 2005 à 264 en 2012, le secteur indépendant se montre très dynamique, avec l'essor de labels tels que Wagram Music, PIAS, Play On, Naïve, Tôt ou Tard ou Atmosphériques. Ce secteur, qui regroupe 1 140 producteurs de musique, réalise 85 % du nombre total de titres francophones produits chaque année en France. Entre les titres de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et ceux de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), la production francophone représente 38 % de la production mondiale de musique ; en revanche, seulement un quart de cette production est diffusé par la radio.
En parallèle, les habitudes de consommation évoluent rapidement. On note de grandes différences de comportement d'une tranche d'âge à l'autre. D'après une enquête de Médiamétrie, en 2012, un tiers des 13-19 ans écoutaient la radio sur des supports multimédias – smartphones, tablettes ou micro-ordinateurs – contre 3,2 % des 60 ans et plus ; c'est aujourd'hui probablement plus de la moitié des jeunes qui utilisent ce type de support.
Au cours des dix dernières années, le nombre de contacts musicaux sur le panel des trente et une radios de l'Observatoire de la musique a diminué de 20 %, passant de 280 à 230 milliards, alors que le nombre de titres augmentait dans le même temps de plus de 38 %. La part des nouveautés dans les diffusions est restée stable, entre 57 % et 60 % ; en revanche, celle des titres francophones a baissé de 5 points. La diversité externe, c'est-à-dire la capacité du paysage radiophonique à proposer une offre variée, pâtit du manque de fréquences. Le développement de la radio numérique est certainement l'un des défis des prochaines années ; une station comme TSF Jazz, qui ne dispose que d'une dizaine de fréquences, ne peut toucher que 30 % de la population française.
Sur certaines radios musicales à destination d'un public jeune, la concentration des diffusions sur le Top 10 est excessive. Les labels indépendants ont augmenté leur part de contacts de 8 % à 26 % en l'espace de dix ans. Globalement, la radio publique joue bien le jeu, même si Le Mouv' a connu quelques difficultés.
Dans le secteur de la télévision, il existe trois chaînes dites « musicales », M6, W9 et D17, mais elles ne programment presque pas de musique en prime time. W9 a l'obligation de consacrer la moitié de son temps d'antenne à des émissions musicales et D17, 75 % ; ces deux chaînes souhaiteraient que leurs conventions avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) soient révisées de manière à réduire ces taux de programmation, mais les négociations n'ont pas encore abouti car le CSA demande, en compensation, la diffusion d'un plus grand nombre d'émissions musicales en première partie de soirée.
La programmation de France Télévisions paraît satisfaisante : les émissions musicales diffusées en prime time représentent une part importante de la grille des programmes ; leur nombre ne régresse que sur France 3, passant de vingt-huit en 2012 à douze en 2013. Il serait toutefois judicieux de faire en sorte que France Télévisions programme, chaque semaine, une émission musicale en première partie de soirée sur l'une de ses trois chaînes.
Arte se montre particulièrement dynamique, notamment via sa plateforme Arte Live Web et la diffusion de concerts. Quant à la vingtaine de chaînes musicales du câble et du satellite, leur avenir semble difficile, puisqu'elles se partagent 1 % d'audience.
Contrôlant 90 % du marché des vidéos musicales à la demande, YouTube occupe une position dominante dans le secteur des services en ligne. Son statut change : il joue, désormais, de plus en plus un rôle de distributeur plutôt que d'hébergeur. Son association avec Vevo, la filiale d'Universal Music et de Sony Music qui distribue une grande partie des vidéomusiques, lui apporte la moitié de sa clientèle.
On note un basculement progressif du modèle économique d'iTunes vers celui de Spotify, mais transformer des utilisateurs gratuits en abonnés payants reste pour l'instant limité.
Il existe des tensions entre l'industrie du disque et les plateformes de distribution au sujet de l'octroi d'avances ou de minima garantis. M. Christian Phéline a remis un rapport sur le sujet et M. Emmanuel Hoog s'y est également intéressé. Il est vrai que les maisons de disques ont tendance à négocier l'accès à leurs catalogues contre une participation au capital de la start-up, en misant sur une valorisation rapide de ce dernier, plutôt qu'à procéder à un véritable échange marchand.
Voilà pour l'état des lieux ; j'en viens maintenant à mes dix-huit propositions.
La première est de maintenir l'utilisation de la langue française comme critère pour les quotas de diffusion dans les médias et de conserver ceux-ci à leur niveau actuel – soit 35 % à 40 %, suivant les régimes. Le fait que le système soit actuellement sous tension ne doit pas conduire à le supprimer. Quant à l'idée de prendre en considération les artistes français, mais chantant en anglais, elle ne peut être retenue, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdisant, dans son article 18, toute discrimination en raison de la nationalité.
La proposition n° 2 vise à promouvoir la radio numérique. Plusieurs rapports, dont ceux de M. Marc Tessier, sur les perspectives de financement du projet de radio numérique terrestre, et de M. David Kessler, sur l'avenir numérique de la radio, avaient souligné les difficultés auxquelles se heurtait son déploiement à grande échelle sur les perspectives de financement du projet de radio numérique terrestre, notamment les coûts à la charge des éditeurs en phase de double diffusion analogiquedigitale, les délais de renouvellement du parc de récepteurs radio, ainsi qu'un bénéfice douteux pour les utilisateurs. Entre-temps, la situation a changé ; aujourd'hui, trois ans après le dernier rapport sur le sujet, les smartphones se sont multipliés, ils sont devenus des objets personnels et l'on peut désormais utiliser les infrastructures de réseaux de télécommunications « 4G » pour diffuser des programmes de radio grâce à la technologie MBMS, Multimedia Broadcast Multicast Service.
Le système des quotas de diffusion de chansons francophones n'a de sens que si la programmation des titres concernés montre une certaine diversité ; si une radio ne programme en tout et pour tout que dix chansons, il n'y a pas d'intérêt à lui attribuer une fréquence ! Il faut stopper le matraquage effectué par certaines radios qui ne diffusent que des titres du Top 10, et lutter contre cette forme d'appauvrissement culturel. Durant le mois d'octobre 2013 par exemple, 74 % de la programmation francophone de NRJ et 64 % de celle de Fun Radio étaient concentrées sur le Top 10. Une dizaine de radios réalise plus de la moitié de leur programmation francophone avec des titres du Top 10. La proposition n° 3 vise à remédier à cette situation, en prévoyant qu'un malus sera appliqué dès lors que la part des titres du Top 10 dans les diffusions francophones du mois en cours dépassera le seuil de 50 % ; un taux de diffusion de 60 % de titres du Top 10 entraînerait ainsi un malus de 10 points, qui serait à retrancher par le CSA dans le calcul du taux de diffusion de titres francophones.
La proposition n° 4 souhaite répondre aux critiques des radios, qui se plaignent que la production francophone n'est pas de bonne qualité, en mettant en place un dispositif de soutien aux auteurs et paroliers en langue française similaire à celui qui existe déjà à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Cette aide serait financée par une contribution des radios musicales perçue par les éditeurs.
La proposition n° 5 tend à provoquer une réunion de la Commission de la rémunération équitable en 2014 pour réexaminer les barèmes. En France, le taux réel de rémunération est de 3 % du chiffre d'affaires, contre 9 % au Royaume-Uni, et, depuis vingt-cinq ans, les barèmes de calcul n'ont été revus qu'une seule fois, en 2007 ! Il serait bon de procéder à une révision tous les cinq ans. Si l'on additionne les sommes perçues par la Société pour la perception de la rémunération équitable (SPRE) au titre des artistes producteurs et celles perçues par la SACEM au titre des auteurs compositeurs, on peut évaluer le coût des grilles musicales à environ 7 % du chiffre d'affaires des radios, ce qui représente une marge sur coûts variables de 93 % : les radios musicales commerciales sont plutôt rentables !
Il existe aujourd'hui sur le territoire français 3 300 salles de spectacle, qui accueillent 21 millions de visiteurs par an. Ces salles demandent régulièrement aux radios locales de promouvoir les concerts qu'elles organisent. Or les radios locales ont l'obligation d'émettre un programme d'intérêt local (PIL), qui pèse sur leur compte de résultat. La proposition n° 6 vise à alléger cette contrainte, en raisonnant à partir de grands ensembles régionaux et en tenant compte des productions, non pas seulement en local, mais aussi à destination du public local, en contrepartie de quoi les radios concernées s'engageraient à promouvoir davantage les spectacles musicaux locaux – le dispositif faisant l'objet d'un contrôle par le CSA.
Concernant maintenant la télévision, les propositions n° 7 et n° 8 abordent la question de la qualification des programmes musicaux. De nombreux acteurs de la filière ont demandé que les émissions dites « de variété » ou « de divertissement » soient comptabilisées par le CSA comme des oeuvres, sinon patrimoniales, du moins audiovisuelles – comme c'est le cas dans d'autres États membres de l'Union européenne. Cependant, d'une part, il ne me paraît pas opportun de modifier un équilibre déjà fragile – la notion d'oeuvre patrimoniale est définie par la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur –, d'autre part, les programmes de ce type ne répondent pas, à mon avis, aux critères en vigueur, car ils comprennent un grand nombre d'intermèdes, de discours, d'anecdotes, ce qui fait que la diffusion de musique représente souvent moins de 30 % de leur temps d'antenne. À cela s'ajoute le problème du financement : si elles étaient reconnues comme des oeuvres patrimoniales, ces émissions ne pourraient faire l'objet que de deux coupures publicitaires, ce qui ne présente guère d'intérêt pour les grandes chaînes de télévision. Dans le contexte actuel, une telle option ne me semble donc pas souhaitable.
Les propositions n° 9 et n° 10 concernent France Télévisions. La première prévoit la diffusion en prime time d'au moins une émission musicale par semaine sur France 2, France 3 ou France 5. La seconde vise à intégrer les heures de concert dans le système de points prévu par le cahier des charges et à globaliser le calcul des points pour l'ensemble des retransmissions de spectacles musicaux, lyriques, chorégraphiques et dramatiques.
J'en viens maintenant aux nouveaux médias. Jusqu'à présent, les vidéomusiques étaient financées par les seuls diffuseurs. Mais, comme un nombre croissant d'entre elles est désormais présenté en exclusivité sur les services culturels numériques, les diffuseurs commencent à rechigner à devoir en assurer seuls le financement – qui devient insuffisant. La contribution du groupe M6, qui a versé à lui seul 10 millions d'euros, représente ainsi la moitié du budget français du secteur. La proposition n° 11 prévoit par conséquent que les services médias audiovisuels à la demande (SMAD) qui diffusent des vidéomusiques, comme YouTube, contribuent eux aussi au financement du secteur, dès lors que leur chiffre d'affaires atteint un niveau minimum.
La proposition n° 12 porte sur le régime d'obligations d'exposition applicable aux SMAD. Actuellement, ces obligations sont de deux types : l'une concerne la page d'accueil, l'autre le catalogue. Cette dernière me laisse sceptique, car la richesse d'un catalogue n'a pas nécessairement d'incidence sur l'audience. En revanche, je suis favorable à un renforcement de la première, qui s'ajoute à l'obligation de déclaration prévue par la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public.
La proposition n° 13 vise à clarifier les qualités d'hébergeur et de distributeur. Quand YouTube conclut un accord avec Canal Plus ou France Télévisions pour diffuser des contenus, il agit bien comme un distributeur : il serait anormal qu'il se réfugie derrière sa qualité d'hébergeur pour décliner toute responsabilité dans ce domaine.
La création d'un registre d'immatriculation des oeuvres, qui reprend une proposition du rapport Lescure sur la politique culturelle à l'ère des contenus numériques, permettrait de mieux encadrer les exploitations et de disposer de métadonnées descriptives, de règles de gestion et d'empreintes digitales audio et vidéo des programmes, ce qui permettrait de savoir automatiquement quel contenu est diffusé, à quelle heure et sur quel réseau.
S'agissant de la diffusion de contenus, on est passé d'un système de diffusion obéissant à une logique top-down, du haut vers le bas, à un système à la demande, bottom-up ; il conviendrait donc de mettre l'accent sur le lieu de destination plutôt que sur le lieu d'émission. Sur le plan technique, il ne devrait pas être difficile de détecter les adresses IP des appareils qui se connectent sur les sites de contenus musicaux. En revanche, il est indispensable d'engager une concertation européenne afin d'arrêter des règles communes dans ce domaine. Tel est l'objet de la proposition n° 14.
La proposition n° 15 reprend l'idée, qui avait été avancée par le rapport Lescure, d'un conventionnement volontaire des services de diffusion en échange d'avantages, notamment en matière de distribution. Le problème, c'est que, jusqu'à présent, les opérateurs les plus importants, membres de l'Association des services internet communautaires (ASIC), l'ont rejetée, car ils ne sont pas intéressés par les contreparties proposées.
Les propositions n° 16 et n° 17 concernent la régulation des services en ligne. Le cas des opérateurs installés à l'étranger vient d'être traité par le projet de loi de finances rectificative pour 2013 ; il faut maintenant se pencher sur celui des services gratuits financés par la publicité. Il n'y a pas, monsieur le président, de volonté délibérée de ma part d'exclure internet du champ de la régulation, mais je préconise d'adopter des règles légères et simples à mettre en oeuvre, de façon à ne pas enfermer les services en ligne dans un système trop compliqué à gérer.
Ma dernière proposition concerne la piraterie. Une pratique de plus en plus courante consiste à aller sur un site spécialisé pour extraire la bande audio MP3 d'une vidéomusique, afin de pouvoir stocker celle-ci dans son smartphone. Officiellement, il ne s'agit pas de piraterie, et pourtant tous les revenus potentiels liés au contenu s'évaporent. Il importe de faire oeuvre de pédagogie sur le sujet.