Intervention de Bruno Léchevin

Réunion du 11 juin 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Bruno Léchevin, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, ADEME :

Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l'opportunité d'échanger avec les parlementaires sur la transition énergétique, sujet qui se trouve actuellement au coeur de l'actualité.

Avant de vous exposer la façon dont l'Agence envisage cette transition, j'évoquerai les conclusions des scénarios énergétiques et climatiques établis par l'Agence et vous présenterai les leviers d'action de la transition et ses conséquences en termes d'économies et d'emplois.

L'ADEME, que je préside depuis plus d'un an, est une agence d'objectifs en charge des politiques publiques globales et transversales menées en matière d'environnement et de maîtrise de l'énergie. Notre agence regroupe 970 collaborateurs, répartis pour moitié au niveau national et pour l'autre moitié dans les régions.

Les moyens d'intervention de l'ADEME s'élèvent cette année à 590 millions d'euros. Son budget a été maintenu en 2014 en autorisations d'engagement et les discussions sont en cours pour fixer le montant du budget triennal 2015-2017, mais nous sommes conscients que, comme tous les autres opérateurs publics, nous devrons contribuer à l'effort collectif de redressement des comptes publics.

À ce budget d'intervention il faut ajouter les quatre programmes d'investissements d'avenir (PIA) confiés à l'ADEME. Le premier programme, doté de 2,1 milliards d'euros, a été abondé par le Premier ministre l'année dernière à hauteur de 1,1 milliard d'euros et se développera à partir de 2015. Il sera rapidement relayé par le PIA 2.

L'ADEME est spécialisée dans les enjeux interdépendants que sont le développement durable et le changement climatique au service de tous types de décideurs : l'État, les collectivités, les entreprises et les particuliers. Son expertise est reconnue et s'intègre dans un continuum qui va de la recherche appliquée jusqu'à la mise en oeuvre de solutions sur le terrain.

Au sein de l'Agence interagissent le niveau national et le niveau régional, et cette interaction explique sa forte implication dans les territoires. Les retours de terrain permettent aux directions régionales d'enrichir l'expertise nationale et de construire une offre adaptée aux spécificités de chaque territoire, tout en mutualisant les expériences. Réciproquement, elles peuvent faire bénéficier leurs partenaires locaux des expertises disponibles au siège. Cette interaction doit être préservée.

L'ADEME intervient dans le cadre de partenariats avec les régions, notamment dans le cadre des contrat de plan État-régions qui, du fait de la décentralisation, joueront un rôle de plus en plus important, et de partenariats avec les entreprises, via les investissements d'avenir, sous la forme de subventions, d'aides remboursables ou de prises de participation.

Elle joue à la fois un rôle de précurseur – recherche, opérations pilotes – et de chef d'orchestre – développement, massification – deux rôles qui se concrétisent notamment à travers le fonds déchets et le fonds chaleur.

Ce modèle unique, ainsi que ses champs d'expertise, font de l'ADEME l'un des fers de lance de la transition énergétique et écologique et l'oblige à répondre aux attentes de notre pays.

Tout au long de l'année 2013, nous avons travaillé à la préparation des scénarios 2030-2050 qui ont nourri les débats sur la transition énergétique. Nous avons choisi des scénarios volontaristes mais réalistes afin de mettre notre pays en conformité avec le « facteur 4 » qui a pour principal objectif de diviser par deux notre consommation d'énergie en amenant la part des énergies renouvelables (EnR) à 35 % en 2030 et à plus de 55 % en 2050 et en faisant de l'efficacité énergétique notre priorité absolue. Ce travail nous a permis de démontrer la possibilité pour notre pays de parvenir au facteur 4 sans remettre en cause les souhaits légitimes de confort de nos concitoyens. Ce travail nous amène en outre à soutenir que l'augmentation de la consommation d'énergie telle que nous l'avons connue au cours des précédentes décennies ne se poursuivra pas de la même manière dans le cadre d'une croissance économique durable.

Lors de la Conférence environnementale du 21 septembre, le Président de la République a fait sien cet objectif de diviser par deux la consommation à l'horizon 2050, tout en reconnaissant qu'il s'agit d'un cap auquel nous devrons nous adapter. Cet objectif pourrait figurer dans les objectifs emblématiques de la loi de programmation sur la transition énergétique. Pour l'atteindre, il faut réduire la consommation d'énergie et diminuer le coût de la mobilité et accélérer la rénovation des bâtiments. Dans notre scénario pour 2030, le bâtiment représente la moitié des gisements d'économies d'énergie identifiées. Quant à l'objectif 2050, il ne sera atteint qu'en agissant également sur la mobilité. Nous n'attendrons pas cette date pour agir car il faudra du temps pour faire évoluer les comportements et entreprendre des rénovations à grande échelle.

Nos scénarios tablent en outre sur une augmentation de la production globale de l'industrie française qui, en améliorant son efficacité énergétique, renforcera sa compétitivité. L'ADEME estime à 20 % les gains réalisables dans l'industrie à l'horizon 2030. Cet objectif peut facilement être atteint puisque les trois quarts des solutions techniques existent déjà. Il suffirait de les généraliser.

Si nous pouvons nous projeter dans une société consommant moins d'énergie, c'est aussi grâce aux nouvelles technologies et aux opportunités que nous offrent l'efficacité énergétique, les réseaux intelligents et, demain, les compteurs communicants. Ces derniers, compte tenu de la complexité du système et du développement de sources d'énergie décentralisées, doivent être conçus pour l'ensemble de nos concitoyens, qui doivent devenir des acteurs de la production d'énergie, gérer en temps réel leur consommation et faire face à de nouveaux modes de consommation comme l'autoconsommation et l'effacement.

La réduction des émissions de gaz à effets de serre repose également sur un déploiement massif d'EnR performantes, créatrices de richesses et d'emplois.

Ces actions constituent une part importante des programmes d'investissements d'avenir confiés à l'ADEME.

La France n'est pas isolée dans sa démarche puisque l'Allemagne et le Royaume-Uni envisagent également de réduire de moitié leur consommation d'énergie.

Je tiens ici à rappeler que, contrairement à ce que certains voudraient laisser entendre, l'ADEME n'est pas un chantre de la décroissance. Elle promeut une croissance différente : plus sobre, plus solidaire, plus protectrice des ressources. Certes, nos scénarios envisagent des pertes d'emploi dans certains secteurs, mais elles sont largement compensées par la création d'emplois dans les domaines du bâtiment et de la rénovation.

À court terme, l'engagement du Président de la République de rénover 500 000 logements par an d'ici 2017 va créer près de 75 000 directs et indirects. Par ailleurs, le premier milliard des aides du programme d'investissements d'avenir, accordées à 130 projets, devrait générer 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour les entreprises concernées à l'horizon 2020 et créer plus de 10 000 emplois.

L'évaluation de l'impact macroéconomique à moyen et long terme de ces scénarios énergétiques, effectuée grâce au modèle développé conjointement avec l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), montre que les options retenues sont bénéfiques pour l'économie et pour l'emploi. En 2030, le PIB présente une croissance supérieure de 1,1 point par rapport à un scénario de référence, ce qui correspond à une année de croissance, et d'environ 3 points en 2050.

Les évaluations de l'impact macroéconomique de nos scénarios montrent également que 330 000 emplois supplémentaires pourraient être créés en 2030 par rapport au scénario de référence, et 680 000 à 875 000 emplois supplémentaires en 2050.

L'ADEME a évalué les besoins d'investissements liés à la « Vision 2030-2050 » à environ 30 milliards d'euros, soit près de 10 % d'accroissement de l'investissement national. Ces évaluations sont cohérentes avec celles du débat national sur la transition énergétique (DNTE) qui estime les investissements annuels supplémentaires requis par les quatre trajectoires entre 11 et 40 milliards d'euros. Nos chiffres se situent dans la fourchette moyenne haute.

Pour autant, ces montants doivent être observés au regard des bénéfices directs ou indirects des dommages évités de la transition énergétique. Les scénarios du DNTE font état de gains nets cumulés importants, voire très importants, par rapport à la facture énergétique tendancielle en 2050. L'OCDE estime les coûts des dommages engendrés par l'inaction en France à environ 100 milliards d'euros en 2050, voire à 150 milliards si les investissements étaient différés à 2020.

La France est l'un des pays européens dans lesquels les taxes énergétiques représentent le plus faible pourcentage du PIB. En 2010, elles ne représentaient que 1,42 % du PIB et 3,4 % du budget de l'État, et ces parts, compte tenu de l'évolution du PIB, ont diminué de 25 % entre 1995 et 2010.

En conclusion, l'efficacité énergétique et le déploiement des EnR sont des leviers incontournables de la transition énergétique. C'est pourquoi elles constituent les priorités de l'ADEME via le Programme de rénovation énergétique de l'habitat (PREH), les investissements d'avenir, le fonds chaleur et le fonds déchets.

Le Plan de rénovation énergétique de l'habitat (PREH) a donné lieu à la création d'un réseau de 450 espaces PRIS (Rénovation info service) pilotés en grande partie par les Espaces info énergie (EIE) animés par l'ADEME. Depuis le lancement du plan par le Premier ministre en septembre dernier et après plusieurs campagnes de communication, les EIE enregistrent une augmentation de plus de 50 % du nombre des personnes conseillées – dont près de 90 % se sont déclarées satisfaites du service rendu.

Le site Rénovation info service, mis en place au cours de l'automne dernier, a franchi fin avril le seuil d'un million de visites cumulées depuis sa création, et le numéro Azur a enregistré plus de 115 000 appels. Cette dynamique doit être amplifiée.

Tout cela n'est pas suffisant sans l'engagement des entreprises. Actuellement 15 400 entreprises bénéficient de la mention « Reconnu garant de l'environnement » (RGE) et chaque mois le nombre d'entreprises labellisées augmente de 10 à 15 %, ce qui nous permet de penser que l'objectif des 30 000 entreprises pourrait être atteint d'ici la fin de l'année. Certes, ce chiffre est encore faible au regard des 380 000 entreprises françaises.

La dynamique est donc engagée et nous pouvons espérer que le vote du texte qui prévoit l'éco-conditionnalité des aides va encore l'accélérer.

L'ADEME, avec les collectivités territoriales et les régions, met en place 50 plateformes de la rénovation énergétique – et 50 autres suivront en 2015 – pour accompagner les ménages de A à Z, du diagnostic à la recherche de financements, du choix des devis à la vérification finale de la performance. Ces plateformes pourraient préfigurer une forme de service public de la performance énergétique, sujet cher à votre président Brottes qui en avait intégré les contours dans sa proposition de loi.

Les investissements d'avenir constituent un autre outil essentiel. Le programme d'investissements d'avenir est déjà largement engagé – nous pilotons 39 appels à manifestation d'intérêt (AMI) et 9 sont en cours, nous avons reçu 600 projets et en avons retenu 146. L'État est intervenu à hauteur de 1,1 milliard d'euros pour des projets représentant un coût global de 3,6 milliards d'euros.

Le PIA permet d'agir dans les domaines de la mobilité et du transport : déploiement de véhicules électriques – sujet auquel vous êtes sensibles ici puisque vous avez récemment voté une proposition de loi visant le déploiement d'infrastructures de recharge des véhicules électriques – recours aux transports collectifs, développement de services de mobilité partagée utilisant un véhicule électrique, réduction de la consommation et des émissions des véhicules thermiques. Sans une politique volontariste, nous n'atteindrons pas nos objectifs. Prenons le transport des marchandises : en dépit de quelques initiatives prometteuses comme la Charte d'engagements volontaires de réduction des émissions de CO2 initiée par le ministère de l'écologie et l'ADEME, c'est un dossier en souffrance.

Le fonds chaleur est un atout fondamental pour réussir la transition énergétique et le rééquilibrage de notre mix énergétique. Comme l'a souligné la Cour des comptes, produire et distribuer de la chaleur issue de la biomasse donne de très bons résultats, tant qualitatifs que quantitatifs. Le fonds chaleur, doté de 1,2 milliard d'euros sur la période 2009-2013, doit contribuer à augmenter la production de chaleur de 5,47 millions de tonnes équivalent pétrole (tep), ce qui représente un peu plus du quart des objectifs français de production d'énergies renouvelables d'ici 2020.

Entre 2009 et 2013, le fonds chaleur a permis la création de 2 882 installations pour une production globale d'environ 1,5 million de tep par an, le montant de l'aide de l'ADEME consacrée à la tep d'énergies renouvelables étant de 40 euros. Les aides aux installations de biomasse, qui ont atteint 630 millions d'euros entre 2009 et 2012, en intégrant les chaufferies et le réseau, permettront d'éviter l'émission de 2,6 millions de tonnes de CO2 par an et de créer près de 500 000 emplois pérennes.

La transition énergétique ne se fera pas sans la mobilisation des territoires. Le projet de loi doit donc généraliser l'implication des régions. Il ne m'appartient pas de commenter un texte qui sera rendu public la semaine prochaine, néanmoins je souhaite vous suggérer quelques dispositions qui pourraient y figurer.

Si nous voulons atteindre nos objectifs ambitieux, nous avons besoin de dispositifs de pilotage permettant de suivre l'avancement de la transition énergétique, voire de la réorienter. Nous devons améliorer la gouvernance de l'énergie en donnant une plus grande place aux territoires, passant ainsi d'une logique de château d'eau à celle de réseau, sans pour autant remettre en cause des invariants comme la sécurité d'approvisionnement, l'équilibre des réseaux et l'uniformisation tarifaire. L'objectif de 50 % de réduction des émissions d'ici 2050 doit être intégré par tous les maillons de la chaîne, des opérations de régulation et de distribution de l'énergie au renforcement des Plans climat-énergie territoriaux (PCET).

Les principaux leviers de financement de la transition énergétique n'appartiennent pas tous au domaine de la loi. Certaines dispositions seront prises au cours de la Conférence bancaire et dans la loi de finances.

La première thématique que nous aimerions voir figurer dans le projet de loi est l'expérimentation…

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