Intervention de Jean Launay

Séance en hémicycle du 7 novembre 2012 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2013 — Défense

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Launay :

Monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, après une rapide présentation des crédits de la défense dans leur ensemble, je concentrerai mon propos sur les programmes « Préparation et emploi des forces » et « Soutien de la politique de la défense » de la mission, et sur les différents enjeux qu'ils recouvrent, des opérations extérieures à l'entretien des matériels, en passant par les nombreuses réformes que le ministère de la défense met en oeuvre depuis plusieurs années.

Les moyens prévus pour la défense pour 2013 sont stables par rapport à 2012, du moins en crédits de paiement. Ils atteignent en effet 38,16 milliards d'euros alors que les autorisations d'engagement connaissent une légère baisse, de 3,3 %, pour s'établir à 38,64 milliards d'euros. S'y ajoute 1,27 milliard d'euros de ressources dites exceptionnelles, issues pour l'essentiel des cessions de bandes de fréquences libérées par le ministère.

La reconduction des moyens inscrits en 2012 ne signifie pas pour autant que la défense ne prend pas part aux efforts d'économies réalisés cette année afin de redresser nos finances publiques. La dotation pour 2013 est en effet inférieure à celle qui était prévue en loi de programmation militaire de près de 2 milliards d'euros, ce qui se traduit notamment par le décalage de commandes d'équipements. Sans esprit polémique, je relève que déjà en 2012 le budget était nettement en deçà de l'annuité prévue par la loi de programmation, et qu'au total, entre 2009 et 2012, 3 milliards d'euros manquent par rapport aux prévisions.

Il est donc clair que la trajectoire de la loi de programmation, qui prévoyait une augmentation des moyens de 1 % à partir de 2012, est bien trop optimiste. Elle n'est pas soutenable financièrement, compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur notre pays.

C'est pour tenir compte de cette nouvelle donne budgétaire, mais aussi des importantes évolutions du contexte stratégique international, que le Président de la République a demandé la rédaction d'un nouveau Livre blanc. L'année prochaine, une loi de programmation militaire viendra traduire les orientations de ce Livre blanc. À ce titre, comme l'a dit mon prédécesseur à cette tribune, le budget pour 2013 est bien un budget d'attente, qui vise à n'anticiper aucune décision, mais à préserver tous les choix possibles. Je tiens à souligner le caractère vertueux de cette démarche, qui permet de mener une réflexion approfondie en amont, sans prendre de décisions précipitées qui seraient dictées par le court terme.

J'en viens à l'évolution des crédits.

Au sein d'un budget 2013 dans l'ensemble stable, les évolutions sont relativement contrastées selon les programmes. Parallèlement à la hausse des moyens dévolus à la prospective, le programme 212 « Soutien de la politique de la défense » enregistre une baisse de ses moyens de 6,4 % en crédits de paiement. En revanche, le principal programme de la mission, le programme 178 « Préparation et emploi des forces », voit ses crédits stabilisés à 22,4 milliards d'euros en crédits de paiement et 23,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement.

Le budget pour 2013 se caractérise par de nombreuses modifications de nomenclature. Pour le programme 178, le nombre de sous-actions a été divisé par deux, passant de quarante-sept à vingt-quatre. De même, la structure du programme 212 est modifiée, par la fusion de quatre actions en une seule, et la réduction du nombre de sous-actions. Tous ces changements de nomenclature constituent une clarification utile, surtout pour le programme 178, que le foisonnement et la diversité des sous-actions rendaient peu lisible. Toutefois, cette évolution, conjuguée à une modification du périmètre des « opérations stratégiques » de chaque action, ne facilite pas la reconstitution des évolutions de crédits au cours des derniers exercices.

Dans le cadre de la diminution des dépenses de fonctionnement demandée par le Gouvernement aux différents ministères, la défense a clairement choisi de préserver les crédits d'activité opérationnelle.

Les dépenses d'entraînement, de carburant et d'entretien des matériels sont privilégiées. Les crédits de maintenance augmentent notamment de 7 %, pour s'établir à 3,31 milliards d'euros en crédits de paiement. En contrepartie, des économies parfois drastiques sont réalisées sur le fonctionnement courant, les dépenses de transport et de communication. Je souhaite souligner les efforts qui seront consentis en la matière, avec par exemple des crédits de soutien individuel et collectif en baisse de 23 à 37 % selon les armées. J'observe à ce propos que les campagnes de recrutement des armées relèvent de leurs dépenses de communication et que, de ce fait, elles sont souvent ciblées par les réductions de crédits en période de difficultés budgétaires. Or les campagnes de recrutement sont essentielles pour répondre aux importants besoins en personnels des armées, et il est dommageable de les soumettre à des restrictions systématiques. Je pense qu'il serait souhaitable de dissocier le financement de ces campagnes de l'agrégat des dépenses de communication.

Venons-en aux opérations extérieures.

Les arbitrages effectués en faveur de l'activité opérationnelle sont d'autant plus pertinents que les opérations extérieures connaissent une nette décrue. Les effectifs déployés en opérations à la fin de l'année 2012 passeront sous la barre des 5 000 hommes, soit près de trois fois moins de personnels qu'au plus fort de l'année 2011, lors de l'opération Harmattan conduite en Libye. La forte diminution des forces projetées, après une longue période d'engagements soutenus, constitue un véritable défi pour les armées, qui doivent s'adapter, que ce soit en termes d'entraînement ou de gestion des personnels.

La diminution du nombre d'hommes déployés en opérations extérieures est pour partie due au retrait d'Afghanistan. Les forces combattantes reviendront d'ici à la fin de l'année ; cependant, des effectifs resteront sur place pour assurer le réacheminement des matériels en France, mais aussi pour achever un certain nombre de missions au sein de l'hôpital et de l'aéroport de Kaboul, ainsi qu'en matière de formation des forces armées afghanes, et cela jusqu'en 2014. Des forces françaises sont par ailleurs toujours déployées au Liban ou encore dans le cadre de l'opération Atalante, qui consiste pour la marine à assurer, en coopération européenne, des missions indispensables de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes.

En 2012, les surcoûts issus des opérations extérieures devraient atteindre un peu plus de 870 millions d'euros, en forte baisse par rapport à 2011 qui était une année exceptionnelle avec l'opération Harmattan. Dans le budget pour 2013, 630 millions d'euros sont à nouveau inscrits au titre des opérations extérieures. Cette dotation sera sans doute plus proche des surcoûts effectifs pour 2013, mais il faut prendre en compte le coût, difficile à évaluer pour l'heure, des opérations logistiques accompagnant le retrait d'Afghanistan. De plus, compte tenu des différents points de tension actuels dans le monde, il serait pour le moins hasardeux d'anticiper une baisse durable du volume et des surcoûts des opérations extérieures.

En ce qui concerne l'activité des forces armées, j'en reviens à l'entraînement des forces, qui fait l'objet d'un certain nombre d'objectifs définis par la loi de programmation militaire. Les différentes armées rencontrent des difficultés à les remplir pleinement. En 2011, la plupart des objectifs ont été atteints, et même dépassés, en raison de la très forte sollicitation des armées en opérations, mais l'année 2012 a été moins favorable et, de ce point de vue, l'année 2013 ne sera pas meilleure. Parmi les difficultés récurrentes figure la disponibilité insuffisante des équipements, qui ne permet pas aux pilotes d'hélicoptères, d'avions de combat et de transport de remplir totalement leurs objectifs. Or il faut bien garder à l'esprit que la technicité des missions et des appareils impose un entraînement soutenu des personnels, ne serait-ce qu'en termes de sécurité.

L'entretien des matériels constitue donc à mon sens un réel enjeu pour les armées, tant opérationnel que financier. Un récent et épais rapport du contrôle général des armées et de l'inspection générale des finances chiffre les moyens consacrés à la maintenance des matériels militaires à environ 5,5 milliards d'euros en 2010. Il prévoit une hausse de ces coûts de près de 9 % entre 2010 et 2014. Je partage l'essentiel des conclusions de ce rapport.

De fait les armées se trouvent aujourd'hui confrontées à une double contrainte : il y a d'une part, l'entretien d'équipements vieillissants qui requièrent un gros effort de maintenance – l'âge moyen des hélicoptères Puma est par exemple de trente-huit ans, et certains des avions ravitailleurs approchent la cinquantaine –, et d'autre part, l'arrivée de matériels nouveaux, de haute technologie, très coûteux à entretenir à leurs débuts.

Je voudrais maintenant insister sur l'ampleur des réformes que le ministère de la défense conduit depuis 2008 à travers la refonte de sa carte militaire, la baisse sans précédent de ses effectifs ou la réforme de son soutien. Tout cela s'est fait tout en assumant d'intenses engagements opérationnels. Les forces armées ont pris plus que leur part dans la réforme de l'État, et les nouvelles structures doivent désormais être stabilisées pour trouver toute leur place.

En premier lieu, le ministère de la défense s'est engagé dans un plan de réduction de ses effectifs de plus de 54 000 personnels entre 2008 et 2015. En 2013, le plafond d'emplois diminue ainsi de 7 876 équivalents temps plein pour la mission, dont 7 475 pour le seul programme 178, lequel comporte près de 90 % des effectifs. Une bonne part du chemin a déjà été parcourue, et le ministère est en avance par rapport à la trajectoire prévue. Toutefois, les différents chefs d'état-major insistent sur le fait que le plus difficile reste à faire, à savoir identifier les quelque 4 000 derniers postes qui doivent être supprimés. Monsieur le ministre, il conviendra d'être attentif sur ce point.

La diminution substantielle des effectifs ne s'accompagne toutefois pas d'une évolution comparable des dépenses de masse salariale, puisque les crédits de titre 2 restent stables, à 19,39 milliards d'euros pour la mission. Cette discordance trouve plusieurs explications, notamment le poids croissant des dépenses de pensions et d'allocations chômage versées par le ministère, les mesures dites « bas salaires », mais aussi l'évolution de la structure des effectifs, avec la hausse du taux d'encadrement.

Au sujet des dépenses de titre 2, je voudrais dire un mot des difficultés rencontrées avec le calculateur Louvois. Mon prédécesseur dans le rôle de rapporteur spécial, M. Louis Giscard d'Estaing, évoquait « des processus techniques démoniaques » dans un rapport datant de mai 2009 consacré à la performance dans les budgets. Louvois en est un exemple.

Des irrégularités nombreuses sont constatées dans le versement des soldes depuis l'automne 2011 et j'estime que de tels dysfonctionnements ne sont pas acceptables car ils affectent notamment des personnels revenant d'opérations extérieures. Monsieur le ministre, je salue les mesures vigoureuses que vous venez d'annoncer pour mettre un terme à ces difficultés, avec notamment l'instauration d'une enveloppe de 30 millions d'euros. Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur ce point ?

En deuxième lieu, je rappelle que la réforme de la carte militaire s'accompagne de travaux d'infrastructures importants, notamment pour faire face à la densification des implantations. Un dispositif d'accompagnement a été mis en place en 2009 pour les territoires les plus touchés par les fermetures ou les réductions d'implantations, avec le fonds de restructuration de la défense. Toutefois, les crédits prévus à ce titre n'ont pas été consommés à la hauteur des prévisions, ce qui laisse craindre des difficultés pour engager réellement les projets de reconversion.

La refonte du plan de stationnement entraîne également des cessions d'emprises, du fait des fermetures de sites et d'établissements. La loi de programmation prévoyait d'importantes ressources provenant des cessions immobilières. Force est de constater que l'évaluation, de plus de 2 milliards d'euros, était trop optimiste, notamment parce qu'un certain nombre de cessions se sont faites à l'euro symbolique, ce qui est légitime, pour faciliter au niveau local les projets d'aménagement des emprises en question. De plus, la perception de ces ressources a pris du retard, alors qu'une part importante des recettes attendues doit provenir des emprises parisiennes les plus valorisées. Or ces cessions sont tributaires du regroupement des administrations centrales à Balard.

Les travaux à Balard ont débuté en mars dernier, avec un peu de retard sur le calendrier, et le transfert des personnels doit désormais intervenir à l'automne 2014 pour s'achever en février 2015. Je ne rappellerai pas les conditions de ce contrat de partenariat, qui sont bien connues. J'évoquerai seulement les contraintes juridiques qui pèsent sur le déroulement du projet. À la suite du recours de la mairie de Paris contre le permis de construire, les travaux conduits sur la corne ouest ont été interrompus. L'enjeu est le fameux garage à bus de la RATP, aujourd'hui situé sur le site de la Croix Nivert, que la mairie de Paris voudrait déplacer pour construire des logements. Plusieurs solutions sont envisageables et les négociations sont en cours entre le ministère de la défense, la mairie de Paris et la RATP. Monsieur le ministre, il est important qu'elles aboutissent rapidement car, compte tenu du projet de location des bureaux qui doivent être construits sur la corne ouest, une partie du financement du projet en dépend.

En troisième lieu, je voudrais aborder la question spécifique de la mise en place des bases de défense.

Depuis janvier 2011, le soutien des forces s'articule autour de soixante bases de défense de taille très variable. Cette réforme, qui constitue un véritable bouleversement de l'organisation des armées, notamment pour l'armée de terre, s'est accompagnée d'une baisse des effectifs de soutien.

Il est encore un peu tôt pour en dresser le bilan, mais les témoignages que j'ai reçus m'incitent à dire qu'ensemble nous devons toujours considérer avec attention le niveau de nos équipements. Si nous ne le faisions pas, nous prendrions le risque d'un décrochage, y compris dans l'utilisation de nos capacités. Il faut veiller en outre à ce que cette réforme des bases de défense ne se traduise pas par une moindre cohésion des personnels, en instaurant une dichotomie entre les personnes chargées du soutien et celles relevant des forces dites opérationnelles.

Je terminerai mon intervention en évoquant la nécessaire relance de l'Europe de la défense, qui, de l'avis général, est aujourd'hui en panne. Il importe de progresser de façon concrète avec nos partenaires. Je pense à des réalisations très pragmatiques comme le modèle du centre de commandement européen du transport aérien, qui vise à mutualiser l'aviation de transport de plusieurs pays et fonctionne bien depuis son lancement en 2010.

Au regard des contraintes budgétaires, le budget de la défense est relativement préservé tout en participant aux efforts d'économies.

Dans l'attente de la future loi de programmation militaire, je souhaite insister sur la nécessité de fixer une ligne réaliste en définissant un cap clair et crédible pour nos forces armées, tant du point de vue de la trajectoire budgétaire que des contrats opérationnels qui leur sont assignés.

Des projections budgétaires trop optimistes et des contrats opérationnels trop ambitieux, comme dans la précédente loi de programmation, ne peuvent conduire qu'à de nouvelles révisions. Or j'ai compris, en les rencontrant, que les militaires souhaitent une plus grande lisibilité quant à leur place, aux actions qu'ils doivent mener et au cadre budgétaire de leur mission.

Enfin, le travail de la commission du Livre blanc est, je le répète, primordial. Monsieur le ministre, vous aurez à faire, avec le Président de la République et le Premier ministre, des choix importants pour l'avenir de notre pays et la place qu'il entend donner à sa défense dans un contexte international et stratégique mouvant. La situation dans plusieurs points du globe, notamment en Afrique et plus particulièrement en Afrique subsaharienne – je pense à la région du Sahel – ou au large de la Somalie, doit nous inciter à la plus grande vigilance, y compris du point de vue de notre capacité à mobiliser des moyens adéquats si nos interventions devenaient nécessaires, qu'elles se déroulent dans un cadre européen, sous mandat de l'ONU ou sous commandement de l'OTAN.

En conclusion, je formule un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense », que je vous invite à adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion