Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Séance en hémicycle du 7 novembre 2012 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2013 — Défense

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Déaut :

Monsieur le président, monsieur le ministre, en tant que premier vice-président de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, j'ai abordé mon rapport sur le programme 144 avec un oeil neuf sur les questions de défense et l'expérience des études que j'ai conduites sur des questions scientifiques civiles. Ce rapport analyse les pistes technologiques susceptibles d'améliorer les systèmes d'armes ou de renseignement dans les décennies prochaines. Je me place donc à la frontière des deux mondes, ceux de la défense et de la recherche, qui ont le plus évident intérêt à collaborer étroitement

En préambule, je ferai deux remarques générales.

Tout d'abord, il est clair que le coeur de la démarche d'adaptation de notre défense doit s'appuyer sur une réflexion géopolitique experte, afin d'identifier précisément ce qui est, d'un côté, stratégiquement prévisible et essentiel et, de l'autre, technologiquement nécessaire et possible. Cet objectif impose un travail de veille pour détecter et développer ces technologies de rupture, afin d'éviter tout retard technologique. Ensuite, je constate que les moyens des études amont sont renforcés et ceux de la recherche duale préservés : 736 millions d'euros d'autorisations d'engagement. Merci, monsieur le ministre. Nous gardons ainsi le cap sur l'avenir, car la recherche au service des applications militaires non seulement constitue l'une des voies les plus sûres pour ajuster au plus près l'effort de notre pays à ses besoins de défense, mais renforce notre capacité d'exportation et irrigue un tissu de PME innovantes porteuses d'emplois pour nos jeunes diplômés.

J'en viens au contenu de ces études amont. Quel intérêt peut-on avoir à maîtriser directement les technologies de défense lorsque celles-ci sont déjà disponibles sur les étagères de nos plus proches alliés ? En réponse à cette question, je livre à votre réflexion un exemple particulièrement éloquent. Lorsque la France a pu disposer, en 2005, grâce au système radar GRAVES mis au point par l'ONERA, d'un moyen en propre pour repérer les satellites en orbite basse, il est apparu non seulement que les données fournies jusque-là par les Américains et les Russes étaient incomplètes et délibérément fausses, mais que la NASA a cessé ipso facto de communiquer la position de nos satellites d'observation HELIOS, communication qui permettait à qui le voulait de masquer ses opérations au sol en les effectuant en dehors des horaires de survol. Ainsi, grâce à un investissement limité – 30 millions d'euros –, nous avons pu à la fois nous prémunir contre l'observation des autres et assurer la pleine efficacité de la capacité d'observation que l'expertise du CNES nous a permis d'acquérir. Cet exemple me semble illustrer parfaitement la nécessité, dans un contexte de ressources limitées, de compter sur la recherche pour nous faire respecter dans le monde. La recherche, c'est un peu la potion magique d'Astérix : le moyen de préserver encore et toujours notre indépendance par une force faite d'abord d'intelligence, qui permet d'améliorer portée, rapidité, précision et furtivité.

L'essentiel est de préserver notre indépendance stratégique par la maîtrise scientifique et technologique du coeur des systèmes. Je rappelle qu'une infrastructure aussi importante que notre parc nucléaire a été développée à partir d'une technologie américaine que les ingénieurs français ont su s'approprier, puis améliorer. L'affaire des drones illustre les vicissitudes de notre politique en la matière au cours des quinze dernières années ; j'en parle abondamment dans le rapport. Aujourd'hui, nous serons sans nul doute capables du même rattrapage rapide dans le domaine des drones MALE – moyenne altitude, longue endurance – si nous avons effectivement un droit d'accès au dispositif de pilotage. Tel est l'enjeu essentiel d'une coopération. Les Européens doivent donc conditionner, si vous le décidiez, l'achat sur étagère du Reaper américain par l'accès aux codes sources, qui permet de rester maître de la charge utile et des évolutions de l'électronique embarquée. Hélas ! les Anglais ne l'ont, à ce jour, pas obtenu des Américains.

Les réflexions stratégiques du Livre blanc, en 2008 comme en 2012, soulignent le besoin de faire face à des menaces multiples, qui, de surcroît, changent rapidement. Il nous faut donc des réponses technologiques flexibles, adaptables selon un cycle court de la conception à la fabrication. Notre force de dissuasion montre l'exemple de cette modularité, puisqu'elle évolue depuis 1996 par simulation, sans qu'il soit besoin d'explosions nucléaires.

Il reste essentiel de maintenir une part de recherche ouverte, non directement applicative, en matière civile comme en matière de défense. J'ai constaté avec satisfaction que cette préoccupation était portée par le CEA et l'ONERA, qui, conformément à l'esprit du réseau des instituts Carnot, y consacre une partie de leurs ressources, à côté des recherches sur contrat. C'est ce que j'ai vu au cours de ma visite, en tant que rapporteur, du laboratoire de Thales, à Saclay, au sein duquel travaille Albert Fert, prix Nobel de physique en 2007.

En conclusion, recherche ouverte et collaboration étroite avec l'industrie, soutien aux technologies de rupture, notamment la cyberdéfense : tels sont les piliers de la recherche duale qui maximise l'innovation, telle est la combinaison, portée par le CNES, le CEA et le tissu de leurs contractants, qui est gagnante pour notre technologie et notre défense.

J'ajouterai deux mots : n'oubliez pas, monsieur le ministre, le smart business act et pensons aux investissements d'avenir pour aider notre politique de défense : cela n'a pas été le cas jusqu'à présent, profitons du rapport Gallois pour le faire.

Le programme 144 va dans ce sens, en dépit du contexte budgétaire très difficile. Je vous demande, mes chers collègues, de l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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