Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour analyser le budget 2013 de notre défense et de nos forces armées, 2013, cinquième année de la loi de programmation 2009-2014 mais dernière année de cette LPM puisque, du nouveau Livre blanc en préparation, émergera une LPM 2014-2019, loi à mon sens de tous les dangers, mais nous y reviendrons plus tard.
Le Livre blanc avait fixé notre nouveau concept stratégique en 2008 et notre nouvelle doctrine d'emploi de nos forces. Son corollaire, nommé RGPP, avait conduit à glisser le tout dans une enveloppe financière à l'origine de 377 milliards jusqu'à 2020.
La LPM 2009-2014 s'y voyait consacrer 186 milliards, avec une progression annuelle des crédits au rythme de l'inflation réévaluée d'un point à partir de 2012. Cela devait permettre d'assurer la stricte suffisance de notre dispositif.
Ce sont 128,8 milliards qui étaient prévus dans la LPM pour les quatre années 2009-2012. Du fait d'une crise financière et économique sans précédent, seuls 125,5 milliards, soit 3,3 de moins, ont été budgétés.
Nous entendions déjà les craintes des états-majors, et l'amiral Guillaud n'hésitait pas à déclarer en octobre 2010 : « Nous avons pour l'instant des armées cohérentes mais nous sommes au seuil. Si l'on devait connaître une coupe supplémentaire, il faudrait se poser la question du modèle et peut-être changer ce modèle car il pourrait devenir déséquilibré. Les militaires vivraient mal l'incohérence entre l'ambition et l'effort. »
Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous nous présentez un budget 2013 de 31,4 milliards d'euros, soit 1,8 milliard de moins que ce que ce prévoyait la LPM, 33,2, pour 2013. Nous constatons de plus que vous y incluez pour 1,27 milliard de recettes aléatoires, ce qui nous conduirait, si elles n'étaient pas perçues, ce qui est toujours possible, à un déficit de 3 milliards d'euros.
Devant la commission, vous déclariez le 2 octobre que la période post-Livre blanc serait celle des choix décisifs et que, pour l'instant, la défense consentait un gros effort dans un contexte de fortes contraintes mais en nous préservant de mesures irréversibles. Cela signifie-t-il que la LPM à venir sera celle des mesures irréversibles ? Je crains fort d'y retrouver des régressions financières à même de nous amener inexorablement au déclassement stratégique et à la rupture capacitaire.
Les chefs de nos armées nous ont indiqué que le moral des femmes et des hommes qu'ils commandent était en berne, faisant un constat douloureux entre fierté du travail accompli et vives inquiétudes pour l'avenir.
Le budget triennal programme 30,148 milliards pour 2015, soit 29 milliards en valeur 2012, quasiment 10 % de moins qu'aujourd'hui. Cela a amené l'amiral Guillaud à déclarer le 10 octobre devant la commission : « Au résultat, la divergence cumulée atteindra 10 milliards pour 2013-2015, soit presque une année de masse salariale du ministère hors pensions ou la totalité du programme des six sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda. »
Si l'on prolonge la tendance actuelle, on atteindra en 2020 un écart de 40 milliards d'euros en valeur 2012, soit 130 % du budget total d'une année.
Aux normes OTAN, l'effort de défense de la France était de 2 % du PIB en 1997. Nous l'avions retrouvé en 2002 à 1,6 après le passage aux affaires de la gauche, qui n'avait pas su profiter de cette pleine période de croissance pour consolider nos forces et, surtout, entamer la professionnalisation de notre armée. Nous l'avons stabilisé entre 1,6 et 1,7 ces dix dernières années. Il est de 1,55 en 2012. À l'horizon 2015, il dépassera à peine 1,3 %.
Aujourd'hui, la planète se divise en deux parties très inégales : celle qui désarme, l'Occident ; celle qui réarme, le reste du monde, et en particulier les pays que l'on appelait naguère émergents. Durant les cinq prochaines années, les dépenses militaires des pays du BRIC devraient augmenter de 150 % alors que les dépenses mondiales resteront stables. Dans cinq ans, les dépenses militaires de l'Europe ne représenteront plus que 16 %, c'est-à-dire quasiment le niveau qu'aura atteint la Chine, 15 %, contre 5 % aujourd'hui. La Russie sera passée de 2,75 à 4,5 %, l'Inde et le Pakistan de 2 à 4 %, l'Amérique du Sud de 2 à 5 %. Les États-Unis ne représenteront plus que 42 % des dépenses militaires mondiales contre 50 % aujourd'hui.
Devant la commission de la défense, l'amiral Guillaud déclarait d'ailleurs : « L'Europe désarme alors que le monde réarme. L'Europe baisse la garde dans un contexte de crise économique et financière où les risques cumulés sont sources de tensions régionales et internationales. »
Aujourd'hui, de plus, l'espace Asie Pacifique est déjà la première priorité stratégique américaine, ce qui doit nous conduire à admettre que nous devons remettre en cause l'engagement des États-Unis pour la défense de l'Europe.
Aussi, en cette période de crise économique et financière, nous devons nous efforcer de raisonner différemment. Si nous voulons vraiment que l'Europe reste un acteur global capable d'actions stratégiques indépendantes, nous devons abandonner les voies qui nous conduisent à la marginalisation.
Tout d'abord, constatons qu'il est illusoire de penser que nous pouvons construire l'Europe de la défense à partir de l'Union européenne. En ce sens, la volonté de rapprochement entre la France et le Royaume-Uni représente une réelle occasion à saisir. La France et la Grande-Bretagne, qui représentent à elles deux 50 % du budget de la défense de l'Europe, doivent représenter le noyau dur autour duquel pourraient venir s'agglomérer ceux qui consentent encore à faire un effort de défense, et je pense en premier lieu à nos amis allemands et polonais.
La mise en commun des moyens et des efforts doit se faire non pas sur la base de l'Europe institutionnelle, mais autour d'un leadership crédible, multinational pour des raisons de légitimité, et resserré pour des raisons de crédibilité.
La construction reposera alors sur nos capacités à mutualiser nos moyens et, éventuellement, à partager nos capacités, ce que les Anglo-Saxons appellent le pooling and sharing. Chacun des participants à ce groupe pionnier devra avant tout s'être posé la question de savoir par rapport à qui l'on souhaite demeurer indépendant ou, plutôt, quel degré de dépendance on accepte d'avoir et vis-à-vis de qui, car partage capacitaire implique de facto un abandon de souveraineté sur un outil par essence régalien. La mutualisation, elle, n'attente pas à la souveraineté, mais elle en limite l'exercice.
Tout cela doit bien sûr être accompagné d'une industrie de défense solide. Nous devons sans tarder restructurer notre outil industriel de défense afin de donner naissance à une solide base industrielle et technologique de défense européenne.
L'échec du rapprochement EADS-BAE est là pour nous démontrer qu'en l'absence d'une véritable union politique, rien n'est possible, et que cette nécessaire union politique en termes de défense commune ne trouve pas sa place dans le cadre de l'Union européenne telle qu'elle fonctionne actuellement.
Tel est, monsieur le ministre, le défi que nous avons devant nous.
Le Président de la République, François Hollande, déclarait il y a quelques mois : « La France doit à son armée une part éminente de sa grandeur, de son indépendance, de son rayonnement dans le monde aussi. Elle lui doit d'être restée la France, et de pouvoir défendre l'idée qu'elle se fait de la dignité de l'homme. Elle lui doit de pouvoir veiller sur son idéal. »
Nous partageons cette vision. Puisse le futur Livre blanc et, surtout, la LPM 2014-2019 exaucer le voeu du président de disposer d'une armée à même de pérenniser la grandeur de notre nation et de protéger ses habitants et ses intérêts.
Or réduire notre budget de défense, c'est perdre immédiatement notre indépendance et notre crédibilité, fragiliser notre économie et réduire nos capacités d'innovation, réduire nos possibilités d'exporter notre savoir-faire ; c'est aussi affaiblir l'une des rares institutions encore capable d'intégrer dans la communauté nationale des Français en voie de marginalisation.
Quant au budget dit de transition que vous nous présentez aujourd'hui, il ne constitue pas à nos yeux la garantie que la protection de la souveraineté et les intérêts de la France soient en toute situation assurés, et que nos armées soient en capacité d'exercer la totalité de leurs contrats opérationnels.
C'est le constat que nous pouvons faire après avoir entendu en commission les états-majors de nos armées.
Aussi le groupe UMP ne votera-t-il pas ce budget 2013, en espérant que la LPM 2014-2019 nous donnera l'occasion sinon de nous enthousiasmer, du moins de calmer nos inquiétudes et celles de nos armées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)