Intervention de Antoine Boulay

Réunion du 12 juin 2014 à 10h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Antoine Boulay, directeur des relations institutionnelles et médias de Bpifrance :

Nous ne voulons pas voler la vedette à nos amis de la direction générale des finances publiques (DGFiP) ou à ceux qui ont préparé le dispositif du CICE : n'étant qu'un opérateur de préfinancement, Bpifrance ne saurait être l'arbre qui cache la forêt du CICE lui-même aux yeux des observateurs de la vie économique.

Notre estimation des besoins de préfinancement pour 2013 s'élevait à 2 milliards d'euros, répartis entre 800 millions pour Bpifrance, qui ne devait pas traiter les dossiers de moins de 25 000 euros, et 1,2 milliard pour les opérateurs bancaires privés, commerciaux et mutualistes. Ce chiffre de 800 millions était le fruit de l'expérience de mécanismes comparables : nous avons d'ailleurs appelé le mécanisme de préfinancement « Avance + Emploi », sur le modèle du mécanisme « Avance + » de mobilisation de créances. Il s'agit, en l'occurrence, de la mobilisation d'une créance particulière qui est celle d'un crédit d'impôt.

En accord avec la DGFiP, les dossiers inférieurs à 25 000 euros, dont le nombre devait être le plus important, seraient laissés à la place bancaire. Or il s'est avéré que ces banques n'ont pas pu ou pas voulu assurer le préfinancement des dossiers de faible montant. Le métier bancaire reposant largement sur la mobilisation de systèmes d'information, la création ex abrupto d'un nouveau dispositif dans une offre bancaire prend toujours un certain délai. Il est vrai que le système d'information de Bpifrance comprenait déjà ce produit. Ayant constaté dès le mois d'avril que le seuil de 25 000 euros n'était pas adapté puisqu'un nombre important de demandes n'était pas satisfait, nous avons donc décidé, à la demande du Gouvernement et après avoir étudié les conséquences opérationnelles qu'impliquait le traitement des dossiers inférieurs à 25 000 euros – notamment le recrutement d'intérimaires pour les traiter –, de supprimer toute limite de seuil.

Bien que la créance soit certaine, le préfinancement a un coût composé de trois éléments.

Le premier est le coût de l'argent : notre établissement n'a pas encore touché l'argent qu'il décaisse. Certes, nous n'empruntons pas à un taux élevé, puisqu'il se situe entre quinze et vingt points de base au-dessus des obligations assimilables du Trésor (OAT) : toutefois, même si nous avons une excellente signature, de facto, nous payons notre argent.

Le deuxième élément est le coût de gestion des dossiers. Même si nous avons, simultanément à la suppression du seuil de 25 000 euros, mis en place un formulaire en ligne qui permet de téléverser les documents, par ailleurs très légers, qui sont à fournir – extrait K-bis, attestation par un tiers de confiance de la masse salariale correspondante, une carte d'identité et les derniers résultats –, un traitement humain demeure indispensable. Si nous traitons les dossiers en cinq jours, le service des impôts doit cependant attester que la créance n'a pas été mobilisée auprès d'un autre établissement bancaire pour éviter tout doublon. Ceci demande entre une et trois semaines. Il s'écoule donc, en moyenne, entre le moment où l'entreprise dépose son dossier et celui où elle touche son préfinancement, environ trois semaines.

Le troisième élément du coût du préfinancement est celui du risque : cette créance est en germe, puisqu'elle est constituée pro rata temporis de la masse salariale effectivement versée. Une entreprise qui aurait reçu le préfinancement de son CICE en janvier et effectuerait des licenciements en avril verrait son crédit d'impôt amputé d'autant et Bpifrance ne pourrait pas récupérer la différence auprès de l'État : nous devrions alors ouvrir un contentieux ou abandonner la créance.

Ces trois composantes du coût du préfinancement expliquent le prix auquel nous le facturons, lequel varie en fonction de la nature du risque. Le coût des très gros dossiers, ceux de plusieurs millions d'euros – qui sont très rares – est très faible, inférieur à 2 % ; tandis que celui de dossiers plus petits, mais plus risqués, peut atteindre 4 ou 5 %. Ce taux est à comparer à celui du découvert bancaire pour les petites et moyennes entreprises (PME), qui s'élève en moyenne à 9 %. Notre produit de trésorerie reste donc très favorable. Toutefois, comme les frais de dossier incompressibles de 150 euros, ajoutés au taux appliqué, renchérissaient considérablement le taux effectif global (TEG) des tout petits dossiers – de 1500 à 2000 euros : nous avons même monté un dossier de 500 euros ! –, le préfinancement pouvait perdre tout intérêt pour l'entrepreneur qui voyait son TEG atteindre 7 ou 8 %, et ce, alors même que Bpifrance a une forte probabilité d'être remboursée par le service des impôts. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé, après la suppression du seuil, puis la mise en place du formulaire en ligne, de supprimer également les frais de dossier pour les préfinancements de moins de 25 000 euros.

Nous avons traité 12 000 dossiers en 2013 pour 800 millions d'euros effectivement versés, la totalité des montants des dossiers étudiés s'élevant à 1,2 milliard (toutes les entreprises n'ont pas donné suite à leur demande). Il conviendrait de demander à la DGFiP le montant décaissé par les établissements bancaires privés : nous avons constaté qu'ils étaient plus actifs sur les gros dossiers que sur les petits.

Bpifrance, avec ses 1 000 conseillers bancaires dédiés aux très petites entreprises (TPE) et PME sur le terrain et ses quarante-deux implantations, ne saurait être comparée avec le groupe BPCE – 3 500 implantations –, BNP-Paribas – 3 000 implantations – ou la Société Générale – 2 500 implantations. La Banque publique d'investissement, qui a repris le réseau d'Oséo, n'a pas vocation à intervenir directement auprès des TPE, à part les cas particuliers de transmission ou de création. Mais notre mode d'action naturelle auprès des TPE étant de garantir les crédits de trésorerie que leur accordent les banques, nous pouvons avoir un effet démultiplicateur auprès des entreprises. C'est la première fois que Bpifrance intervient directement auprès de PME – ses devanciers ne l'avaient pas fait davantage durant de très nombreuses années. Il faut se rappeler que l'année 2013 a été très difficile pour les chefs d'entreprise en termes de trésorerie : ceux qui se sont adressés à Bpifrance pour de faibles montants avaient auparavant frappé sans succès à toutes les autres portes et étaient souvent découragés. L'aide que nous leur apportons est d'ordre non seulement financier, mais également psychologique : ils ne sont plus seuls. C'est l'occasion pour nous d'instaurer, notamment avec les TPE, un dialogue plus global sur la structuration de leur financement.

À l'autre bout de la chaîne, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont au coeur de la mission de Bpifrance alors que ce public était moins traité par Oséo. Or les ETI recourent de plus en plus fréquemment au CICE pour des montants très importants. C'est l'occasion d'engager avec elles une réflexion sur le renforcement de leurs fonds propres et l'ouverture de leur capital. Cette approche globale est très précieuse.

Le dispositif est monté en puissance sur les cinq premiers mois de l'année 2014 : entre janvier et mai, nous avons ouvert 10 000 nouvelles lignes, c'est-à-dire quasiment autant qu'entre février et décembre 2013. Nous traitons 2 000 dossiers chaque mois et 23 000 ont été à ce jour ouverts depuis le lancement du dispositif, pour un encours total de 1,8 milliard d'euros – 1 milliard sur les cinq premiers mois de 2014. Les TPE représentent 80 % du nombre des dossiers. Le chiffre d'affaires total des entreprises recourant au préfinancement s'élève à 163 milliards d'euros pour 1,1 million d'emplois. Le niveau médian du préfinancement est de 17 000 euros. Pour 2013, le CICE équivaut à 4 % de la masse salariale et représente 1 000 euros par emploi : à partir de 2014, ce taux étant porté à 6 %, il représente quelque 1 500 euros par emploi. Ces chiffres sont le fruit d'une reconstitution ex post qui tient compte du seuil des 2,5 SMIC – tous les emplois de l'entreprise ne sont donc pas concernés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion