Intervention de Joe Kaeser

Réunion du 17 juin 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Joe Kaeser, président-directeur général de Siemens AG :

Je vais commencer par répondre à vos questions, monsieur le président. Vous vous êtes demandé si notre offre était de nature conjointe ou commune. En fait, il s'agit d'une offre de partenariat, que l'on peut sceller d'une poignée de mains et dont chacun connaît les détails à l'avance. Pour ce qui est de la présence de représentants de l'État français dans le cadre des futurs pactes d'actionnaires, mon collègue japonais a déjà dit que Mitsubishi se félicitait du soutien apporté par l'État français à la solution industrielle proposée dans un domaine technologique essentiel pour la France ; nous sommes nous aussi très heureux de l'intervention de l'État, et plus encore de la participation des syndicats représentant les salariés. En Allemagne, nous sommes habitués au Mitbestimmung, à la cogestion : moi qui suis chez Siemens depuis trente ans, j'ai vu passer quantité de présidents et entendu nombre de promesses, parfois non tenues. Mais jamais je n'ai vu des représentants des salariés et des actionnaires échouer à trouver une solution au problème posé, ce qui aurait obligé le président du conseil d'administration à faire usage de la double voix dont il dispose. C'est ainsi que nous concevons la coopération : il s'agit avant tout d'agir ensemble.

Notre offre n'est pas faite pour nuire à une autre entreprise, mais vise à être utile à tous : à Alstom, à Mitsubishi, à Siemens et, in fine aux salariés d'Alstom, qui sont aussi fiers de leur entreprise que M. Miyanaga et moi-même le sommes des nôtres. Il ne s'agit pas de démanteler, mais bien au contraire de renforcer le groupe – et si nous avions simplement voulu bloquer l'offre de General Electric, nous aurions pu le faire.

Nous avons réfléchi à une solution à long terme pour assurer l'avenir d'Alstom, mais nous aurions aussi bien pu attendre que les autorités de la concurrence, mises en présence de l'offre d'un concurrent dominant – qui, possédant déjà plus de 50 % des parts de marché pour les turbines à gaz dans le monde, cherche à s'assurer le contrôle de 10 % supplémentaires – s'opposent cette offre.

Il me paraît important de rappeler l'historique des événements. En avril 2014, je suis allé me présenter au PDG d'Alstom, M. Kron, comme étant le premier serviteur de Siemens, et nous avons décidé de faire table rase des différends et des malentendus qui avaient pu opposer nos sociétés respectives par le passé, pour nous concentrer sur la meilleure façon de renforcer celles-ci. Il n'a toutefois pas donné suite à cette première prise de contact et, quelques jours plus tard, il a été annoncé qu'Alstom allait céder entièrement sa branche énergie à General Electric contre de l'argent. Nous avons alors fait savoir à Alstom que nous estimions avoir des solutions plus intéressantes à lui proposer, et son conseil d'administration a accepté de reporter sa décision – mais nous ne disposions que de quarante-huit heures pour faire une offre quand notre concurrent avait eu deux mois. C'est à ce moment-là que le Gouvernement nous a soutenus en demandant que tous les acteurs en présence puissent disposer des mêmes chances : quatre semaines nous ont alors été accordées pour mettre au point notre offre, dans un dossier loin d'être simple.

L'idée de départ était de permettre la naissance d'un champion grâce à un partenariat, sur le modèle de la société Airbus, mais aussi en se référant à d'autres réussites comparables, en Europe et ailleurs. La clé de la réussite consiste à savoir écouter les gens, qu'il s'agisse des représentants des salariés, de l'opinion publique française, du conseil d'administration, mais aussi des salariés d'Alstom. L'opération envisagée suscitant de nombreuses interrogations, notamment au sujet de notre activité de transport, questions et réponses ont été échangées de part et d'autre, ce qui a permis de rassurer les uns et les autres.

Nous sommes partis d'un projet qui nous semble tenir la route et, l'ayant examiné en termes de concurrence, avons formulé une offre qui nous paraît aujourd'hui être la meilleure pour Alstom, en ce qu'elle permet de maintenir les technologies énergétiques au sein de cette société, qui est fière d'en disposer. C'est sur ce point que nous avons fait porter notre réflexion : sur la recherche de la meilleure solution possible dans le secteur de l'énergie. Pour cela, nous avons pris contact avec Mitsubishi, une entreprise qui partage nos valeurs et qui a l'habitude de la négociation. Nous avons travaillé très dur pour arriver finalement à un projet qui permettait de préserver la société Alstom, mais aussi de la renforcer en augmentant sa trésorerie et en la dotant d'un partenariat technologique. Certes, madame Valter, notre offre a évolué par rapport à ce qu'elle était initialement, mais il faut savoir raisonner en termes d'opportunité à saisir.

Avec l'offre faite par General Electric, on a parlé d'allouer 9 milliards d'euros aux actionnaires ; pour en ce qui nous concerne, nous estimons que les salariés doivent, eux aussi, se voir offrir des perspectives. Ainsi, Alstom réalise actuellement 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires, qui se réduiraient à 6 milliards d'euros si l'offre concurrente était acceptée, tandis que le nombre de ses salariés passerait de 43 000 à 30 000, et que ses activités se verraient réduites au seul transport. Si notre offre a évolué dans le temps, c'est pour parvenir à ce qui permettra une croissance durable du groupe, et je pense que le conseil d'administration d'Alstom a bien compris que l'argent mis sur la table n'est pas le seul facteur à prendre en considération : il faut aussi et surtout apprécier ce qui est offert en termes de partenariat à long terme, de motivation et d'innovation. Je ne pense pas que l'on puisse dire que la décision est déjà prise, même si l'un des actionnaires possède à lui seul 29 % des parts du groupe.

Je me félicite que l'État français ait aidé Alstom en permettant l'émergence d'une autre offre, que nous avons pu mettre au point et formuler grâce aux quelques semaines qui nous a été accordé. Pour cela, je remercie Arnaud Montebourg, qui a défendu à la fois les intérêts de la France et ceux d'Alstom. Sans lui, Alstom aurait conclu depuis longtemps l'offre à 9 milliards d'euros – ou 12 milliards d'euros, si l'on prend en compte l'augmentation de cette offre à la suite de notre intervention – qui lui avait été faite initialement par notre concurrent.

Pour ce qui est de la façon dont le partenariat va fonctionner en termes de réseaux et de gouvernance, Mitsubishi va jouer un rôle éminent dans la co-entreprise. Sur cette question, je vais donc passer la parole à mon collègue japonais.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion