Nous avons toutes les raisons d'être fiers de la coopération européenne dans l'espace. Cette coopération fête cette année ses cinquante ans, ce qui est l'occasion d'un bilan : s'il nous reste beaucoup à accomplir, nous avons à notre actif des réalisations remarquables, qui ont des répercussions concrètes dans la vie des citoyens européens – il n'est pas inutile de le rappeler à une époque où la critique de l'Europe est un sport en vogue.
L'ESA a ainsi été créée à partir de deux organisations distinctes mises en place en 1964 : d'une part, une organisation scientifique, l'ESRO – European Space Research Organisation –, et, d'autre part, une organisation destinée à développer des lanceurs, l'ELDO – European Launcher Development Organisation –, ces deux organismes constituant les deux racines de la coopération européenne dans l'espace : d'un côté, la science et la connaissance ; de l'autre, les lanceurs et l'accès à l'espace.
En 1975, après onze ans, soit un cycle solaire, l'ESRO et l'ELDO ont été réunies en une seule Agence spatiale européenne, dont les compétences ont alors été étendues à la recherche sur les applications spatiales au service des citoyens.
L'ESA dispose d'un budget cinq fois inférieur à celui de la NASA et dix fois inférieur à celui de la NASA et du Département de la Défense américain réunis. Cela ne l'empêche pas de faire la course en tête en matière de recherche scientifique, qu'il s'agisse des sciences de la terre, du système solaire ou de l'univers. Nous avons été les premiers à dévoiler la première lumière après le Big Bang et les premiers à nous être posés sur Titan, une lune de Saturne assez similaire à la Terre dans son état originel. En novembre prochain, nous serons les premiers à nous poser sur une comète, l'un de ces corps à l'origine du système solaire.
Nous faisons également la course en tête en matière de compétitivité industrielle : malgré le déséquilibre des budgets publics entre l'Europe et les États-Unis, nous détenons près de 40 % du marché mondial des télécommunications et plus de 50 % du marché des lancements. Aujourd'hui, l'industrie européenne est donc compétitive.
Dans le domaine des services, la météorologie spatiale européenne est la meilleure du monde. Il y a plus de douze ans, nous avons initié avec le CNES ( l'agence française de l'espace ), la charte sur les catastrophes naturelles, aux termes de laquelle nous mettons à disposition de tous les organismes ayant à gérer des catastrophes naturelles les données de nos satellites. En matière de géolocalisation, les premiers résultats des satellites Galileo mis en orbite montrent qu'ils ont une précision au moins dix fois supérieure à celle de la version actuelle du GPS américain.
Enfin, nous sommes considérés comme les partenaires les plus fiables et les plus recherchés au monde. Toutes les puissances spatiales cherchent à coopérer avec l'ESA, que ce soit les Américains, les Russes, les Chinois ou les Japonais, mais aussi les pays qui ont besoin de données spatiales, notamment les pays d'Afrique, auxquels nous fournissons les données nécessaires pour la gestion de l'eau dans les zones subsahariennes.
J'arrêterai là ce panégyrique, mais il montre que nous pouvons être fiers de ce que nous avons accompli en cinquante ans. Je vois à ces succès quatre raisons majeures. En premier lieu, la recherche spatiale est le domaine dans lequel les activités scientifiques sont les plus intégrées au niveau européen : plus de 50 % des programmes spatiaux en Europe sont des programmes européens. La seconde raison de ce succès, c'est la flexibilité de la coopération européenne : la plupart des programmes de l'ESA sont facultatifs, les États membres ne sont pas obligés d'y participer. Nous pouvons, en troisième lieu, nous appuyer sur une politique industrielle qui a fait ses preuves et qui a permis à l'industrie européenne d'être compétitive, comme nous pouvons nous appuyer, et c'est notre quatrième force, sur l'expertise technique et programmatique de l'ESA.
L'ESA se compose aujourd'hui de vingt États membres : les quinze pays qui formaient l'Union européenne avant l'élargissement de 2004, la République tchèque, la Roumanie et la Pologne, auxquels s'ajoutent deux pays non membres de l'Union, la Suisse et la Norvège. Des négociations sont en cours avec la Hongrie, qui devrait nous rejoindre avant la fin de l'année, et avec l'Estonie. Il faut également citer le Canada, avec lequel nous avons un accord particulier puisque, sans être membre de l'ESA, il assiste à toutes les réunions du Conseil et peut participer à nos programmes. J'évoquerai enfin la relation privilégiée que l'ESA a entretenu dans ses premières années avec l'Australie, d'où ont eu lieu nos premiers tirs de lanceurs.
L'importance prise progressivement par la recherche spatiale du fait de toutes ses implications dans la vie quotidienne nous a confortés dans l'idée qu'un rapprochement était nécessaire entre l'ESA et l'Union européenne, rapprochement dont l'ESA a pris l'initiative à partir de 1998 avec pour objectif premier de construire une coopération qui intègre l'espace dans les politiques sectorielles européennes.
Dans cette perspective, un document commun définissant la stratégie spatiale européenne a été signé en 2000 par l'Union européenne et l'ESA. En 2003 a été lancé le programme Galileo, cofinancé par les États membres de l'ESA et de l'Union européenne. En 2004 a été signé un accord-cadre toujours en vigueur, qui a permis la création d'un conseil Espace, formation conjointe du conseil de l'ESA et du Conseil de l'Union européenne. En 2005 enfin, le programme GMES – Global Monitoring for Environment and Security – est né d'une coopération entre l'ESA et l'Union européenne, avant la signature, en 2009, du traité de Lisbonne, qui donne à l'espace un nouvel essor politique dans l'Union Européenne.
L'objectif essentiel de cette coopération est moins de parvenir à une gestion efficace que de nous permettre d'adapter au mieux nos programmes spatiaux aux attentes de la société civile. Il ne suffit pas que l'ESA dispose des meilleurs satellites et des meilleurs lanceurs, elle doit également les mettre au service de nos concitoyens. Dans cette optique, avant d'être des programmes spatiaux, Galileo – lancé, rappelons-le, alors que Jacques Barrot, commissaire aux transports, était vice-président de la Commission européenne – et Copernicus sont d'abord des programmes dédiés aux transports pour l'un et à l'environnement et la sécurité pour l'autre.
Ces deux programmes, inscrits dans le cadre financier pour 2014-2020 sont au coeur de la coopération entre l'ESA et l'Union européenne. Je soumettrai la semaine prochaine au Conseil de l'ESA les accords de délégation entre la Commission et l'ESA sur la gestion du programme Galileo jusqu'en 2020, et espère pouvoir obtenir en octobre l'approbation du Conseil sur l'accord de gestion de Copernicus jusqu'en 2020. Pour le futur, je souhaite approfondir encore les liens entre les infrastructures spatiales développées dans le cadre de l'ESA et les politiques sectorielles soutenues par l'Union européenne.
La question des lanceurs recouvre deux aspects. Des enjeux stratégiques : il s'agit de garantir à la puissance publique un accès sans contrainte à l'espace ; toutes les puissances spatiales ont ainsi commencé par fabriquer leurs propres lanceurs pour éviter de dépendre d'autrui dans le développement de leurs activités. Viennent ensuite les enjeux économiques ou, en d'autres termes, la commercialisation de ces lanceurs.
Tout l'objectif de notre politique en matière de lanceurs consiste à concilier ces deux enjeux, ce qui n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui avec les lanceurs dont nous disposons. Pour des raisons qui tiennent à l'histoire, Ariane 5 est un lanceur voué pour l'essentiel aux missions commerciales, tandis que la plupart de nos missions gouvernementales (nationales, celles de l'ESA ou celles de l'Union Européenne), dépendent de Soyouz qui, même s'il est lancé à partir de la Guyane française, n'en reste pas moins fabriqué en Russie.
C'est la raison pour laquelle nous voulons faire d'Ariane 6 un lanceur qui, tout en servant nos missions institutionnelles, puisse également être conquérant sur le marché commercial international. Cela requiert d'avoir un lanceur très compétitif, ce qui passe nécessairement par une nouvelle forme de gouvernance. Nous y travaillons. Des décisions devraient être prises d'ici la fin de l'année, car nous avons besoin d'un lanceur compétitif le plus rapidement, si possible avant 2020.
Pour qu'Ariane 6 soit un succès, il faut non seulement qu'elle soit compétitive mais que lui soit garanti l'accès à des marchés gouvernementaux. Les quatre lanceurs américains – Atlas, Delta, Falcon et Antares –, comme le Proton russe ou les lanceurs chinois et japonais, peuvent miser sur un « marché gouvernemental garanti », ce n'est aujourd'hui pas le cas d'Ariane 5, ce qui s'explique à la fois par des raisons de performance mais également par l'absence totale de stratégie européenne en la matière. Les deux seuls fidèles à Ariane, ce sont l'ESA et la France. Quant à l'Union européenne, elle n'a pas de politique de préférence européenne, là où les Américains affichent clairement la leur pour les lanceurs américains.
En ce qui concerne la Russie, elle est un partenaire important de l'ESA, au moins sur trois grands programmes. Elle est d'abord l'un des cinq partenaires de la Station spatiale internationale, avec les Etats-Unis, le Japon, le Canada et l'ESA. Nous avons besoin d'elle pour y envoyer nos astronautes : aucun astronaute au monde ne peut aujourd'hui rejoindre la station sans les Russes. Nous avons également besoin des Russes pour lancer nos satellites sur Soyouz en Guyane Française. Nous coopérons enfin avec eux dans le cadre du grand programme d'exploration de Mars, notamment au sein du programme ExoMars. Je rappelle néanmoins que la Russie n'est pas le seul partenaire de l'ESA, puisque nous coopérons avec toutes les puissances spatiales, à commencer par les Etats-Unis, qui restent notre partenaire historique, le plus important.
Je ne dispose aujourd'hui d'aucun élément pour affirmer que cette coopération avec la Russie comporte des risques. Aucun de nos États membres n'a jugé bon de nous appeler à la réserve et la Russie elle-même ne manifeste aucun signe d'atermoiement. Pas plus tard qu'il y a dix jours, j'assistais à Baïkonour au lancement d'un vaisseau emmenant vers la Station spatiale un Américain, un Russe et un Allemand membre de l'ESA, preuve s'il en était besoin que les problèmes politiques de la planète ne s'exportent pas dans l'espace. Le 25 juillet sera lancé sur Ariane 5 le dernier véhicule automatique de transport européen, ou ATV, en direction de la Station spatiale internationale, à laquelle il s'arrimera sur le côté russe. Enfin, le 21 août prochain, nous allons lancer depuis la Guyane française les deux prochains satellites Galileo, sur un Soyouz.
Le seul élément concret que je puisse rapporter à la situation politique actuelle concerne le ralentissement que marque l'attribution des autorisations d'exportation de technologie américaine. Tous les satellites du monde comportent des composants américains et nécessitent donc une autorisation d'exportation pour pouvoir être lancés. Nous avons obtenu à l'heure actuelle ces autorisations pour le lancement de nos quatorze prochains satellites Galileo et sommes en train de négocier avec les Etats-Unis l'autorisation de lancer, sur des lanceurs russes et à partir du sol russe, les prochains satellites Sentinel qui font partie de la constellation Copernicus. Rien ne laisse penser que ces autorisations pourraient nous être refusées, la lenteur des procédures n'étant manifestement due qu'au fait que les services américains sont quelque peu débordés.