Ariane lance dix satellites par an, soit 50 % du marché. C'est une bonne chose, mais Ariane 5 est subventionnée. Nous comptons sur Ariane 6 pour que cela ne soit plus le cas.
S'agissant du mode de propulsion d'Ariane 6, l'équilibre optimal reste à trouver entre la compétitivité et le maintien des sites industriels. La production d'Ariane 5 est aujourd'hui répartie sur vingt et un sites industriels dans douze États membres. Disons-le clairement : être compétitif dans ces conditions, ce n'est pas possible. Si l'on veut être compétitif, il faut restructurer l'industrie, autrement dit faire des choix. Si l'on me demande de préserver tous les sites industriels, je pourrai faire un lanceur : la preuve est que nous y arrivons, et ils sont très fiables, et nous pouvons en être fiers. Mais ne me demandez pas en plus d'être compétitif. Le secret de la réussite de SpaceX tient à son site industriel unique en Californie. Cela n'est pas transposable en Europe – tout le monde est d'accord pour qu'il n'y ait qu'un site, mais à condition que ce soit chez lui ! Nous sommes obligés d'en avoir plusieurs, je ne peux pas faire autrement ; mais on ne peut pas les garder tous. Il reviendra aux États membres de faire des choix, sur la base des propositions que je leur soumettrai pour faire d'Ariane 6 un lanceur compétitif. Nous n'avons pas d'autre solution.
Afin d'être compétitif, un lanceur doit également pouvoir compter sur un marché gouvernemental garanti. On ne peut pas s'en sortir autrement. Je négocie actuellement avec les industriels pour leur garantir quatre à six lancements par an de missions gouvernementales. L'ESA peut en faire deux ou trois, quatre avec la France. Cela ne suffit pas. Je mène donc des discussions avec l'Union européenne, qui est un client non négligeable du fait du renouvellement des constellations Galileo et Copernicus. Si l'Union européenne acceptait de se lier au lanceur européen, nous aurions fait un grand pas vers un marché institutionnel. C'est l'objectif que je me suis fixé.
Faire d'Ariane un lanceur habité ne fait partie de nos projets.
Je suis favorable à la coopération globale. L'ESA peut être un modèle en la matière grâce à son fonctionnement très flexible. Il faut mettre en place des coopérations à géométrie variable à l'échelle mondiale. Tous les domaines ne sont néanmoins pas propices à une coopération globale. Il faut ainsi tenir compte des problèmes de défense et des aspects commerciaux – les télécommunications spatiales permettent de faire de l'argent, ce qui favorise plutôt la compétition que la coopération. En revanche, l'exploration spatiale pourrait être le premier sujet de coopération : aller sur la Lune ou sur Mars ne peut être l'affaire d'une nation, ni même de deux ou trois ; c'est un objectif global.
La station spatiale internationale offre un exemple de coopération puisqu'elle réunit cinq pays. Ceux qui étaient les plus grands compétiteurs dans les années soixante, les Américains et les Russes, ont abandonné leurs programmes de vol habité et sont devenus partenaires au sein de la station. Quel exploit ! Il faut maintenant élargir ce partenariat à d'autres. Je suis très partisan de l'ouvrir à la Chine – pour ce qui touche à l'exploration, s'entend, pas sur les télécoms et le reste… – à l'Inde ou la Corée du Sud. C'est dans le cadre de cette coopération globale qu'il faut se poser la question du système de transport pour l'exploration. On n'a pas besoin de trois ou quatre véhicules habités : deux suffisent, pour éviter le point de panne unique. Il ne sert donc à rien de disposer de plusieurs lanceurs habités.
S'agissant de la station, nous avons franchi une étape formidable. Pour la première fois, l'Europe va fournir le module de service du système de transport vers la Lune ; Orion. Pour la première fois, les États-Unis acceptent de confier à autre agence le soin de s'engager dans le chemin critique d'un système de transport d'équipage. Fin 2017, une partie du véhicule qui emportera les six astronautes vers la Lune sera européenne. Avec ce module, nous nous acquittons en quelque sorte de notre part des charges de copropriété de la station. Grâce au module de service Orion, l'ESA paiera sa quote-part, non pas en dollars, mais en hardware.
Les contraintes budgétaires – je ne les connais que trop bien – ne justifient pas la baisse des investissements spatiaux. Investir dans l'espace, c'est investir dans la croissance et l'économie. L'économie des activités spatiales réside dans les services qui sont associés aux infrastructures spatiales. Le rapport est de quatre à vingt, selon les services, entre un euro investi dans une infrastructure spatiale et l'économie associée. J'ai réussi à en convaincre les Britanniques qui ne sont pas les plus laxistes en matière budgétaire. À l'occasion du dernier conseil ministériel de l'ESA, George Osborne lui-même a annoncé une hausse de 25 % de la contribution britannique. Un ministre des finances content de dépenser plus, c'est bien la preuve de leur confiance dans les vertus de l'investissement spatial !
En outre, les activités industrielles dans le domaine spatial réclament de la continuité. Il faut dix ans pour développer une compétence industrielle ; il suffit de six mois pour la détruire. Diminuer les investissements spatiaux revient à détruire des compétences. Dans le cas d'Ariane, les choix qui seront faits auront pour conséquence de faire disparaître certaines compétences, qu'il faudra remplacer par de nouvelles. Peut-être ne me trouverez-vous pas toujours objectif, mais je maintiens, nonobstant les contraintes budgétaires que je comprends parfaitement en tant que citoyen, qu'investir dans l'espace, c'est investir dans la croissance.
J'ai fait valoir aux Américains que la prolongation de la station spatiale au-delà de 2020 ne serait pas favorable aux lanceurs européens dans la mesure où elle garantira un marché institutionnel à SpaceX. Il n'est pour moi pas question de demander quoi que ce soit au-delà de 2020 : si prolongation il doit y avoir, je suis prêt à en discuter, mais cela ne se fera pas sans contrepartie pour nos lanceurs.
Quant à Galileo, quatre satellites sont aujourd'hui en orbite. Leurs performances sont remarquables. En matière de localisation et de datation, elles sont quatre fois plus précises que ce qui nous avait été demandé, et nettement meilleures que celles du GPS. Mais avec quatre satellites seulement, la visibilité est pour l'instant limitée à une heure par jour.
Deux autres satellites sont prêts à être lancés ; ils devraient l'être en août. Un troisième est en phase d'essai final aux Pays-Bas tandis qu'un quatrième sera livré au cours de l'été. Nous aurons huit satellites en orbite d'ici à la fin de l'année. Ensuite, nous souhaitons lancer deux satellites tous les trois mois. Trente satellites – dix par plan d'orbite – sont nécessaires pour un fonctionnement optimal.