Alors que le Conseil constitutionnel a validé le 28 mai dernier la loi interdisant de façon pérenne la culture du maïs OGM Monsanto 810 sur le territoire français, le dossier de la modification du cadre juridique européen des autorisations de mise en culture des OGM qui se négocie depuis 2010, semble être arrivé à un point de compromis entre les États. Rappelons qu'en décembre 2008, la présidence française de l'Union européenne avait fait adopter par le Conseil environnement, des conclusions qui demandaient à la Commission européenne de réviser les lignes directrices d'évaluation environnementale et sanitaire régissant la procédure d'autorisation de mise en culture des OGM.
Face aux difficultés dues aux divergences entre États membres sur les OGM qui se sont traduites par l'absence de majorité qualifiée lors de votes sur les autorisations et la multiplication des clauses de sauvegarde nationales non sécurisées juridiquement, la Commission européenne avait élaboré en 2010 une proposition législative qui devaient permettre aux États membres de restreindre ou d'interdire la culture des OGM sur tout ou partie de leur territoire. Depuis, cette proposition, présentée sous différentes versions par les présidences successives de l'Union, s'est toujours heurtée à une minorité de blocage dont la France, l'Allemagne quant à elle ne participant pas aux négociations car elle n'a pas pu définir une position gouvernementale commune sur le sujet très controversé dans ce pays. La France estimait notamment qu'elle n'apportait pas suffisamment de garanties juridiques sur les motifs d'interdiction pouvant être invoqués.
Alors que la Commission européenne se prépare à autoriser à la culture un nouvel OGM très controversé – le maïs TC 1507 – malgré l'opposition de 19 États membres et du Parlement européen, elle a mis sur la table un nouveau projet de règlement de compromis adopté le 28 mai en COREPER. L'accord politique doit être formalisé le 12 juin par les ministres de l'environnement. Il ira ensuite en seconde lecture devant le Parlement européen. Le texte n'est donc pas figé et des évolutions sont possibles et souhaitables…
La nouvelle procédure comprendrait deux phases. Les États membres demanderont – par l'intermédiaire de la Commission européenne – aux semenciers candidats à la mise en culture dans l'Union européenne d'être exemptés du champ d'application de leurs demandes. Dans une seconde phase, si l'entreprise refuse ces restrictions, un État membre pourra s'exclure pour des raisons autres que la santé et l'environnement, de la culture d' OGM sans avoir à recourir à des clauses de sauvegarde. Le projet contient une liste non exhaustive de ces raisons : objectifs de politique environnementale, raisons d'aménagement urbain ou rural, impacts socio- économiques, nécessité d'éviter la présence d' OGM dans d'autres produits, objectifs de politique agricole ou raisons d'ordre public.
S'il est indispensable de donner aux États membres la possibilité juridique de protéger leur territoire et leur agriculture, ce texte apparait comme un cadeau empoisonné et ne respecte ni les conclusions unanimes du Conseil environnement de décembre 2008, ni la position du Parlement européen dans ses résolutions 5 juillet 2011 et du 16 janvier 2014.
Certes, le projet a intégré un certain nombre de demandes de la France qui lui fait accepter ce texte comme un point d'équilibre entre les États pro OGM et les États opposés à la culture des OGM. Des nouveaux motifs d'interdiction ont été élargis et explicitement mentionnés. Le rôle de la Commission est renforcé : alors que dans les premières versions de la proposition, il était prévu que les entreprises de biotechnologie négocient directement avec les États membres – ce qui leur aurait conféré des pouvoirs exorbitants – la Commission européenne fera l'intermédiaire entre l'État membre et l'entreprise « pétitionnaire ». Par ailleurs, une procédure de silence est mise en place, ce qui renforce les pouvoirs des États membres à l'égard des entreprises pétitionnaires .les États membres auront la possibilité d'agir en fin de procédure d'autorisation si les circonstances nationales ont évolué, c'est-à-dire qu'ils pourront interdire a posteriori un OGM sur le territoire même si, au moment de l'autorisation, l'État concerné n'avait pas demandé d'être retiré du périmètre de la demande . La procédure assure la possibilité pour un État membre d'interdire un OGM dès le jour de son autorisation . Enfin, une clause de révision de la directive est incluse en fonction du retour d'expériences, ce qui permettra d'en corriger les dispositions si elles se révélaient inefficaces.
Pour autant, ce projet ne nous apparait pas acceptable en l'état. Concrètement , la procédure d'autorisation sera facilitée et de ce fait, ouvrira les terres de l' Union européenne à la culture des OGM alors que l'agriculture et les grands semenciers américains dont il faut rappeler qu'ils ont le quasi-monopole des semences OGM avec 40 % de la production des OGM mondiaux, frappent à la porte de l'Europe avec le projet d'accord transatlantique. Derrière cette modification de procédure, se profile le risque indirect induit par les négociations sur le TAFTA : que vaudront alors les lignes rouges que nous avons tracées sur le mandat de négociation si l'Europe elle-même facilite la culture des OGM ?
De plus, alors que les conclusions du Conseil européen de décembre 2008 et les résolutions du Parlement européen de juillet 2011 et janvier 2014 en faisait la pierre angulaire du système, l'indispensable amélioration de l'évaluation des risques des OGM n'est mentionné que dans un considérant de la proposition indiquant que la Commission devra faire un rapport sur les progrès afin de donner un statut normatif au renforcement des lignes directrices de l'EFSA . On est loin de ce que préconisaient le Conseil environnement de 2008 et le Parlement européen, à savoir la nécessité d'une évaluation plus rigoureuse des effets à long terme des OGM ainsi que d'une recherche indépendante sur les risques potentiels qu'impliquent la dissémination volontaire ou la mise sur le marché d'OMG, y compris de la nécessité de permettre à des chercheurs indépendants d'accéder à toutes les informations nécessaires. Dans sa résolution de juillet 2011, le Parlement européen indiquait notamment que les lignes directrices ne devaient pas reposer uniquement sur le principe dit d'équivalence substantielle. Cette recommandation résonne particulièrement alors qu'une étude récente d'une université norvégienne pourrait remettre en cause le principe d'équivalence en substance entre les OGM et les autres aliments. Au nom de ce principe et dans la mesure où ils sont considérés comme essentiellement semblables à d'autres aliments, les OGM ne nécessitent pas de normes de sécurité supplémentaires. Cette étude affirme qu'une semence OGM ne serait pas sensiblement identique à une semence non OGM, contrairement à ce qu'affirme Monsanto ou Syngenta. Par ailleurs, les questions majeures de contamination génétique transfrontalière et de responsabilité en cas de pollution génétique ne sont pas évoquées dans la proposition. Les États ne pourront pas interdire le transit sur leur territoire des OGM. Le Parlement européen avait demandé à ce que soit institué un système de responsabilité et de garanties afin que le pollueur assume les effets ou les dommages accidentels qui pourraient subvenir à l'occasion de la dissémination volontaire ou de la mise sur le marché d' OGM. Plus fondamentalement, cette proposition signifie la fin du cadre communautaire des procédures d'autorisation. Bien au-delà des risques de distorsions de concurrence au sein du marché unique, à l'heure de la montée de l'euroscepticisme et des discours anti européens, cette renationalisation qui ne dit pas son nom ne va-t-elle pas privilégier les égoïsmes nationaux alors que l'Europe, dans un souci de solidarité , devrait protéger ses citoyens et tenir compte de leur refus massif des OGM ?
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose les conclusions suivantes.