Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du 7 novembre 2012 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2013 — Défense

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Pour le reste, je m'en remets au rapporteur spécial qui se borne au constat sans engager de polémique.

Je tiens par ailleurs à souligner que le budget de la mission « Défense » s'inscrit dans la perspective, souhaitée par le Président de la République et portée par le Premier ministre, visant à revenir à 3 % de déficit à la fin de l'année 2013, et à l'équilibre budgétaire à la fin du quinquennat.

C'est par rapport à cette situation – l'acquis et la volonté de redressement du Gouvernement – que nous avons élaboré l'équilibre de ce budget. La défense consent un effort important, dans un contexte de contraintes fortes, mais cet effort est équitable. Nous tenons nos engagements en nous préservant de mesures irréversibles, tant pour les capacités que pour le tissu industriel.

Concrètement, les ressources totales pour 2013 de la mission « Défense », 31,4 milliards d'euros, sont identiques à celles de 2012. Comme l'a rappelé M. Nicolas Bays, nous n'en sommes pas aux très bas niveaux annoncés par certains. Nous ne sommes pas non plus le reflet de nos voisins européens : M. Hervé Gaymard a cité le cas de pays aussi importants que l'Espagne et le Royaume-Uni, qui ont décidé des coupes sévères dans leur budget de défense – on pourrait y ajouter les États-Unis, contrairement à ce qu'a dit M. Luc Chatel. Ces coupes ne manquent pas d'avoir des effets sur les capacités de ces pays. Ce n'est pas le cas de la France qui maintient en 2013 les crédits de 2012 et garantit les ressources qui sont indispensables à nos priorités essentielles.

En réponse à certains des rapporteurs qui se sont inquiétés du financement, de l'entraînement et de l'activité opérationnelle des forces, je tiens à dire qu'il s'agit bien d'une priorité de ce budget, en particulier dans le contexte du désengagement d'Afghanistan. Il est primordial que le niveau de préparation opérationnelle que les unités ont acquis en opérations extérieures soit préservé. Les crédits d'entretien du matériel, de fonctionnement opérationnel et de carburant progressent ainsi de près de 300 millions d'euros par rapport aux crédits de 2012, afin de garantir, dans ce contexte du retour de nos forces, le nombre indispensable de journées de préparation et d'entraînement.

La modernisation des équipements des armées se poursuivra. D'autant qu'il y a là des enjeux globaux qui touchent aussi à l'économie et à l'emploi, c'est-à-dire à nos territoires. Cette politique bénéficiera de plus de 16 milliards d'euros de crédits de paiement. Je tiens à signaler que ce montant est stable par rapport à 2012. Cette dotation permet ainsi de financer sans modification majeure la plupart des besoins de paiement que nous héritons des programmes déjà lancés.

De la même façon, ce budget préserve pour l'essentiel les dépenses d'avenir. Le ministère continuera de susciter et d'accompagner l'innovation industrielle et technologique en finançant la recherche et développement à hauteur de 3,3 milliards d'euros en 2013. Les crédits dédiés aux études amont progressent même de 10 % entre 2012 et 2013 pour s'établir à 750 millions d'euros. Nous contribuons ainsi pleinement à la politique de compétitivité du Gouvernement. Et je rejoins les observations de M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis, qui soulignait l'enjeu stratégique que constitue l'investissement dual en recherche et technologie. Il évoque régulièrement ce sujet avec raison.

J'ai aussi souhaité maintenir les volumes financiers consacrés au soutien des PME. C'est un sujet qui me tient à coeur. C'est pour cela que j'ai lancé un Smart Business Act, et je vous remercie du soutien que vous avez apporté à cette initiative. Ce dispositif permettra de favoriser les PME dans une articulation avec les grands groupes. Nous soutenons les dispositifs en faveur des PME. Je pense notamment à RAPID, le régime d'appui pour l'innovation duale, qui sera renforcé par la mise en oeuvre du Smart Business Act que je présenterai avant la fin de l'année.

Aux deux priorités que je viens d'évoquer, le maintien en condition opérationnelle et les équipements, je veux en ajouter une troisième.

Lorsque je suis devenu ministre de la défense, les réformes précédemment engagées n'étaient pas toutes achevées. Aujourd'hui, le ministère de la défense doit rester attentif à la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement économique et social des restructurations engagées bien avant notre arrivée au pouvoir mais toujours en cours. Elles nécessitent une attention toute particulière. C'est pourquoi j'ai décidé de maintenir l'effort d'accompagnement des restructurations sur les territoires à hauteur de 320 millions d'euros, financés pour deux tiers par le budget de la défense. La délégation aux restructurations sera redynamisée afin que les retraits puissent être compensés par la solidarité nationale et par la revitalisation des territoires concernés. Certains orateurs ont d'ailleurs évoqué des régions concernées, je pense en particulier à l'Est de la France.

Puisque nous parlons des territoires, je veux évoquer les bases de défense, qui ont été mentionnées par plusieurs d'entre vous. Je constate qu'elles ont été mises en oeuvre dans la précipitation. Je regrette que l'on ne se soit pas penché avec sérieux sur les expérimentations engagées avant de passer à la phase de généralisation. Cela dit, le processus doit se poursuivre et j'ai décidé de faire progresser les moyens les concernant de 11 % dans le budget pour 2013, afin de pallier ou du moins de limiter les difficultés de fonctionnement que j'ai pu constater.

J'assume donc les économies qui ont été réalisées comme les priorités qui ont été définies, dans un contexte extrêmement contraint, pour que le passif budgétaire ne pèse plus sur nos choix d'avenir. Il est de ma responsabilité de garantir au Président de la République la possibilité de refonder, à partir des conclusions du nouveau Livre blanc, une stratégie de défense qui accorde enfin les missions et les moyens. Une stratégie qui fasse en sorte qu'il y ait une véritable cohérence et une véritable cohésion dans le modèle d'armée et dans le type de défense que nous voulons mettre en oeuvre à l'issue des travaux du Livre blanc.

Je constate avec intérêt que ces travaux se poursuivent et que les parlementaires occupent une place significative à la commission du Livre blanc. Je salue ceux d'entre vous qui y siègent et qui consacrent du temps à ce travail. Il est important que la cohérence puisse constituer l'axe central de ce document, qui doit pouvoir être mis en oeuvre sur la durée.

L'effort sera long et rigoureux, mais il permettra à la France de garantir sa sécurité et d'avoir un outil de défense digne de sa souveraineté et à la hauteur de ses ambitions.

Je vais maintenant tenter de répondre aux orateurs qui m'ont interrogé, en m'excusant de ne pouvoir évoquer l'ensemble des questions qui m'ont été posées.

Le rapporteur spécial, M. Cornut-Gentille, a évoqué les avancements. J'ai compris les inquiétudes et la perplexité que cette question a pu engendrer. J'ai donc obtenu que les décrets d'avancement 2012 ne soient pas remis en cause. Pour 2013, le volume des avancements sera, c'est vrai, réduit par rapport à 2012, mais cette réduction a été initiée et négociée par mon prédécesseur, car, encore une fois, les mesures d'économie que le ministère s'impose découlent de problèmes de gestion qui ont commencé dès 2009. Dans la recherche de compromis qui est en cours, la décision n'est pas finalisée. À ce propos, je veux souligner la qualité du dialogue que j'entretiens avec le ministère chargé du budget, pour tenter de résoudre cette difficulté. Les premiers éléments, issus d'une réflexion conjointe de l'inspection générale des finances et du contrôle général des armées, soulignent que le ministère de la défense a de bons arguments à faire valoir. Les efforts seront concentrés sur le haut de la pyramide et, dans tous les cas, inférieurs à 30 % de réduction. Dès que les arbitrages seront rendus, je vous en reparlerai.

Par ailleurs, j'ai engagé un dialogue avec les organisations syndicales dans le cadre du volet « fonction publique » de la concertation qui vient de débuter à l'initiative du Premier ministre. À cette occasion, j'ai décidé d'ouvrir un certain nombre de chantiers, en particulier la formation, l'emploi et la mobilité des personnels civils et, bien sûr, la question des ouvriers d'État. Des interrogations se sont exprimées sur l'évolution de leur statut et, singulièrement, sur la liquidation des pensions complètes, question dont Mme la présidente de la commission a souligné l'importance. C'est un sujet de préoccupation sur lequel nous devrions avoir rapidement des réponses.

S'agissant du système de règlement des soldes Louvois, qui a été évoqué par plusieurs d'entre vous, j'ai hérité d'une situation aussi inouïe qu'inacceptable. L'heure est d'abord à la mise en oeuvre des mesures d'urgence que j'ai décidées. J'en profite pour vous confirmer que l'objectif que j'ai fixé sera respecté : tous les militaires en attente de tout ou partie de leur solde recevront ce qui leur est dû d'ici à Noël : 30 millions d'euros d'avances de trésorerie ont été mobilisés à cet effet et les effectifs ont été renforcés. Pour comprendre l'origine de ces dysfonctionnements majeurs, j'ai lancé deux audits – l'un externe, l'autre interne – du système d'information, afin d'apprécier les initiatives à prendre pour qu'ils ne se renouvellent pas. Il est tout à fait inconcevable que la nation ne puisse verser les soldes de ses soldats, qui mettent en jeu leur vie et ne peuvent accepter, lorsqu'ils sont en opérations extérieures, que leurs familles soient dans l'attente de ce règlement. Il faut mettre de l'ordre là-dedans, et je vais m'y employer très fermement.

La relance de l'Europe de la défense, dont les deux rapporteurs spéciaux ont souligné le caractère stratégique, est une ambition du Président de la République. Tout nous conduit à favoriser cette relance : la nature des menaces, l'évolution de la posture stratégique américaine, les contraintes budgétaires, mais aussi le sens historique du projet européen. Je sais que certains considèrent encore l'Europe de la défense comme une « Arlésienne », voire un « moulin à prières ». Ma conviction profonde est que, loin des grandes déclarations, des incantations parfois, et des élaborations juridiques complexes, l'Europe de la défense ne se construira que par des actions et des projets concrets. En la matière, je suis pour une Europe du pragmatisme, qui s'élabore progressivement grâce à la forte volonté de ceux qui veulent bien y participer.

C'est pourquoi nous allons poursuivre notre collaboration avec les Britanniques sur la base du traité de Lancaster House. Nous avons déjà mis en oeuvre un certain nombre de coopérations, même s'il faut, pour chacun des différents sujets abordés dans le traité, apprécier l'intérêt de l'un et l'intérêt de l'autre avant de décider en commun. L'état d'esprit des relations entre la Grande-Bretagne et la France est très bon et nous progressons avec pragmatisme dans la mise en oeuvre de ce traité. Parallèlement, je compte aussi beaucoup sur le format « Weimar plus », qui réunit l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la Pologne et la France, pour initier l'Europe de la défense, de l'action et du projet concret. Cela doit se faire dans le cadre d'opérations en commun et par la mise en commun de capacités militaires ; dans les deux cas, nous devons faire ensemble, concrètement.

En ce qui concerne les opérations, je pense que nous pouvons nous réjouir de la mobilisation de l'Union européenne pour devenir un acteur, aux côtés des Africains, de la stabilisation de la région malienne. Les préparatifs d'une mission militaire européenne de type EUTM-Mali se poursuivent avec un rythme et une ambition qui ne faiblissent pas : c'est aussi cela, l'Europe de la défense.

S'agissant des capacités, nous travaillons dans des formats à géométrie variable selon les besoins et les calendriers. Pour ne citer qu'un projet que je sais emblématique, le ravitaillement en vol, plusieurs nations européennes, dont la France, vont conclure, d'ici à la fin du mois, une lettre d'intention dans le cadre de l'Agence européenne de défense pour développer et partager ces capacités dans un cadre européen. M. Cornut-Gentille a raison lorsqu'il appelle à une mutualisation de certaines capacités. Il s'agit là d'un exemple précis de ces coopérations concrètes qui permettent, brique après brique, de construire l'Europe de la défense.

Toutefois, j'approuve totalement M. Vitel lorsqu'il fait la distinction entre partage capacitaire et mutualisation européenne ; l'un est porteur, l'autre non, et nous sommes très vigilants en la matière. La future flotte d'avions ravitailleurs A330 MRTT française – qui a été décidée par mes soins, comme certains d'entre vous ont bien voulu le rappeler – est ainsi conçue dans une logique de mutualisation européenne qui doit permettre à l'Europe de sortir de la dépendance capacitaire flagrante qui avait été observée lors du conflit libyen. C'est aussi cela, l'Europe de la défense. Les exemples ne manquent pas, mais, encore une fois, je préfère une progression au cas par cas, sujet après sujet, à des déclarations incantatoires.

Le renseignement sera sans doute une priorité du nouveau Livre blanc, comme le Président de la République en a émis le souhait dans la lettre qu'il a adressée au président de la commission du Livre blanc, au mois de juillet dernier. Le renseignement et l'action spécialisée sont des éléments clefs de notre faculté d'appréciation et de décision. Nous devons donc les renforcer pour être capables de réagir à notre environnement stratégique, marqué – nous y reviendrons – par de nombreuses incertitudes et par la possibilité de nouvelles surprises. Il nous faut être très vigilants à cet égard. Beaucoup d'orateurs ont insisté sur les risques de montée des menaces à caractère diffus, comme le terrorisme et les cyber-attaques ; c'est une préoccupation qui sera centrale.

Je voudrais dire un mot de Balard, évoqué par les rapporteurs Jean Launay et Alain Marty. Vous savez que le précédent gouvernement avait fait acter en 2008 le principe du regroupement de l'administration centrale du ministère de la défense sur le site de Balard. Le contrat de partenariat public-privé a été signé en mai 2011 avec le groupement conduit par Bouygues. Il existe des interrogations sur l'opportunité de l'opération, le coût financier et les contraintes qu'elle peut faire peser sur le ministère de la défense. Afin d'y voir clair, j'ai demandé un audit portant sur l'économie générale de cette opération. Conduit par l'inspection générale des finances et le contrôle général des armées, cet audit devrait permettre d'obtenir des garanties quant à la soutenabilité budgétaire à court, moyen et long terme de ce projet très structurant pour la gouvernance du ministère. Les conclusions en seront connues avant la fin de l'année 2012 et je ne manquerai pas de vous en tenir informés.

Sur le retrait de nos forces combattantes d'Afghanistan, que plusieurs d'entre vous ont évoqué, nous achevons actuellement même la phase 2 de ce redéploiement, qui vise à regrouper sur Kaboul l'ensemble de nos moyens. Dans quelques jours, nous aurons quitté définitivement la Kapisa. Je dois vous dire qu'il s'agit de véritables opérations de guerre, difficiles, mais qu'elles se déroulent bien. À la fin de l'année, il restera 1 500 soldats en Afghanistan, qui seront chargés d'assurer le retour logistique jusqu'au mois de juillet prochain. À l'été 2013, ils ne seront plus que 500, chargés du maintien de l'aéroport de Kaboul et de l'hôpital de Kaia, ainsi que de l'assistance et de la formation de l'armée afghane. Conformément aux engagements pris par le Président de la République, le retrait des unités combattantes s'effectue. Nous restons dans la coalition jusqu'au terme des engagements de la coalition, à la fin de l'année 2014, pour ensuite entrer dans une autre logique. Celle-ci sera dominée par le traité franco-afghan, qui a été approuvé par l'Assemblée nationale et qui fixera les financements de notre participation à l'aide française. Les chiffres sont plus modestes que ceux qu'a évoqués M. Folliot, puisque l'aide française à l'Afghanistan dans le cadre de ce traité s'élèvera à 300 millions d'euros entre 2012 et 2016, dont 89 millions pour la défense.

Puisque j'évoque l'Afghanistan, j'en profite pour rendre hommage – la nation le fera le moment venu comme elle l'a fait dans le passé dans des moments douloureux – à toutes celles et à tous ceux qui auront porté, onze années durant, l'engagement de la France en Afghanistan, où je me suis rendu à plusieurs reprises. Leur professionnalisme est immense ; leur courage et leur dévouement sont plus grands encore. À quelques jours du 11 novembre, j'ai une pensée particulière pour ceux de nos soldats qui sont tombés là-bas. Ils sont morts pour la France. Je pense également à toutes celles et à tous ceux qui sont revenus avec des blessures profondes, visibles ou invisibles. L'institution militaire est à leurs côtés, et j'y veille attentivement.

Par ailleurs, je précise à Philippe Nauche que le sort des personnels afghans est évidemment une préoccupation. C'est pourquoi nous mettons actuellement en place un dispositif d'accompagnement pour leur éviter les désagréments parfois très importants dont il a fait état. Nous sommes très vigilants sur ce point.

J'en viens à la réserve. Je remercie tous ceux d'entre vous qui ont soulevé cette importante question. C'est un sujet que je considère comme crucial, à la fois pour les capacités futures de nos forces et pour l'entretien du lien qui unit nos armées au reste de la nation. Il était donc essentiel que le budget dédié aux réserves soit préservé en 2013 et qu'il ne serve pas, comme ce fut le cas par le passé, de variable d'ajustement dans les lettres de cadrage. En affectant 71 millions euros à cette mission, nous maintenons le niveau d'activité de 2012. Je souhaite vivement que le Livre blanc fasse des propositions novatrices en la matière.

Je sais que le sujet a déjà été évoqué lundi, avec Kader Arif, ministre délégué aux anciens combattants. C'est un sujet important, et je profite de cette tribune pour vous remercier, mesdames et messieurs les députés, d'avoir validé le budget qui vous était présenté pour la mission dédiée aux anciens combattants.

Sur les questions industrielles, vos remarques ont été nombreuses. Je vais tenter d'y répondre, en vous disant en guise de préambule combien je pense qu'on ne saurait avoir d'ambition pour notre défense sans ambition pour nos industries de défense. Je remercie ceux d'entre vous qui ont rappelé – je pense notamment aux interventions de Nathalie Chabanne et Philippe Folliot – que c'est un secteur important qui contribue à la croissance nationale, à l'emploi et aux technologies, y compris civiles.

Les crédits « dissuasion » ont également été évoqués. Il est certain que le domaine de la dissuasion se retrouve aujourd'hui dans une situation particulière, puisque les livraisons majeures sont en cours de finalisation, alors que les prochaines générations démarrent à peine. C'est ce qui explique, comme vous l'avez compris, une baisse continue des crédits de la dissuasion depuis plusieurs années. La remontée initialement planifiée correspond à la montée en puissance des prochaines générations d'équipements, comme les futurs SNLE ou le remplaçant du M51. Tout ceci est en cours d'instruction.

Pour rester un instant sur la dissuasion, le rapporteur Jean-Jacques Bridey a rappelé, à très juste titre, la nécessité de maintenir les deux composantes. Je le rejoins tout à fait sur cet aspect que le Président de la République a lui-même souligné. En ce qui concerne la composante aéroportée, sur laquelle le rapporteur attire l'attention, je voulais rappeler que l'ASMP-A – missile air-sol de moyenne portée amélioré – a pour objectif de moderniser notre composante nucléaire aéroportée. Désormais opérationnel, il équipe nos Mirage 2000 et Rafale, ainsi que le porte-avions Charles de Gaulle. Il va désormais faire l'objet d'une rénovation à mi-vie pour éviter des obsolescences, notamment d'ordre pyrotechnique, ce qui permettra la tenue du format de la composante aéroportée sur la durée.

Pour la rénovation des Mirage 2000 D, qui a été mentionnée par plusieurs d'entre vous, nous sommes en avance sur le rythme d'équipement en avions Rafale prévu par la LPM, du fait que nous en avons exporté moins que prévu. Onze avions Rafale devant encore être livrés en 2013, nous avons estimé qu'il était possible de repousser un peu la rénovation des Mirage 2000 D. Entre-temps, nous déterminerons le périmètre de la rénovation et le nombre de Mirage 2000 D à rénover – ceci pour répondre à M. le rapporteur pour l'armée de l'air.

Le programme Scorpion, évoqué par plusieurs d'entre vous, a pour objectif d'assurer le renouvellement des moyens des groupements tactiques interarmes de l'armée de terre de manière cohérente et d'optimiser leur efficacité. Je peux vous dire que nous travaillons activement à la définition du programme et que les conclusions du Livre blanc permettront de définir la cible du programme et le nombre de véhicules blindés qui doivent remplacer nos VAB et nos AMX10.

J'ai bien entendu les préoccupations des députés Jean Launay et François Cornut-Gentille à propos de l'ANL. C'est bien l'un des éléments importants du traité de Lancaster House et de la consolidation de l'industrie missilière franco-britannique, que j'ai déjà évoqués tout à l'heure. Toutefois, dans la logique de ce que j'ai retenu pour la préparation du budget 2013, il m'a paru prématuré de lancer cette opération alors même que les travaux du Livre blanc, qui en définiront la priorité et la cible, ne sont pas terminés. Je prendrai donc ma décision une fois que le contexte financier aura été clarifié. J'ai eu l'occasion de m'en expliquer très sereinement avec mon homologue britannique il y a quelques jours, et je pense que nous nous sommes compris.

Au sujet des drones, que beaucoup d'entre vous ont évoqués, j'ai dit, lorsque j'ai pris mes fonctions, que je voulais remettre ce dossier à plat, sans a priori et avec pragmatisme. Les opérations militaires récentes ont montré que les drones apportent une capacité indispensable à nos forces armées, que je suis attaché à améliorer encore. Notre capacité intermédiaire, basée sur des drones MALE Harfang, a montré ses limites. Pour autant, le contexte budgétaire actuel incite plus que jamais à optimiser nos investissements. Il faut également tenir compte de notre base industrielle et technologique de défense, ainsi que des possibilités de coopération avec nos partenaires européens. J'attache donc la plus grande importance à ce que le dossier soit instruit en détail avant de prendre une position définitive.

À ce jour, le traitement du dossier a bien avancé. J'ai ainsi signé à l'été, avec mon homologue britannique, deux accords portant sur les drones tactiques Watchkeeper et sur les drones de combat UCAS. Au sujet des drones MALE, nous instruisons en ce moment les différentes options que nous avons rouvertes. J'ai en effet besoin d'obtenir un certain nombre d'assurances avant de trancher définitivement sur la voie à suivre, et je souhaite travailler sur ce sujet avec mes homologues anglais et allemands notamment. Ce que plusieurs d'entre vous ont souhaité, nous le faisons, même si nous ne sommes pas encore, à ce jour, en situation de prendre une décision définitive.

Le programme A400M, évoqué par les rapporteurs Serge Grouard et Jean-Jacques Bridey, il a pour objectif de participer au rétablissement des capacités de transport aérien stratégique et tactique en assurant la relève des flottes anciennes, en particulier le C160. De par sa conception, cet avion est à même de réaliser une grande variété de missions. Cinq prototypes totalisent plus de 3 000 heures de vol. Les incidents sur le moteur rapportés il y a quelque temps semblent aujourd'hui expliqués et ne retarderont que de quelques semaines les premières livraisons à la France. Je me suis moi-même rendu à Orléans le 8 octobre dernier, ce qui me permet de confirmer que les premières livraisons s'effectueront à la mi-2013.

Concernant les MRTT, j'ai visité dernièrement l'usine Airbus Military de Madrid, qui transforme en MRTT les Airbus A330 produits à Toulouse. J'ai annoncé que j'engageais le processus d'acquisition de l'avion de transport et de ravitaillement en vol MRTT. Dans le même temps, je souhaite aller au-delà du programme national en soutenant activement l'initiative européenne, portée par l'Agence européenne de défense, de mutualisation de nos capacités d'avions ravitailleurs.

Je remercie les différents orateurs qui ont soulevé la problématique particulière du maintien en conditions opérationnelles, notamment Marie Récalde et le rapporteur Gilbert Le Bris. C'est un sujet prioritaire que la précédente loi de programmation avait largement sous-estimé, comme ils l'ont dit. Cela conduit à des situations souvent aberrantes, par exemple à des matériels achetés et sous-employés par manque d'entretien. Les pistes suggérées par Gilbert Le Bris sont pleinement prises en compte. Nous sommes, en particulier, très attentifs à l'homogénéité des parcs : les nouvelles générations de matériels – Scorpion, FREMM, Rafale – en remplacent souvent plusieurs du fait de leur caractère polyvalent. Cette homogénéité permet de vraies rationalisations sur l'acquisition, sur le soutien, mais aussi sur la formation des personnels.

M. Le Bris, ainsi que Mme Gosselin et M. Rouillard, ont souligné le caractère stratégique des deux programmes FREMM et Barracuda. Je le confirme, ce sont des équipements remarquables qui contribueront de manière déterminante aux missions de la marine nationale. J'ai moi-même eu l'occasion d'assister, à Lorient, au lancement de la nouvelle FREMM Normandie. Le programme de livraison de ces frégates se poursuivra normalement. Pour ce qui est du Barracuda, il y aura un décalage de quelques mois, ne remettant en cause ni le programme ni l'outil industriel destiné à le mettre en oeuvre.

Au sujet du Rafale, je veux d'abord dire que c'est un avion remarquable – ce qu'il a démontré lors de l'opération Harmattan en Lybie. L'équipement de notre armée de l'air se poursuit au rythme de onze avions par an et permet à notre armée de l'air de développer ses capacités opérationnelles au meilleur niveau mondial. À l'export, il y a eu de nombreux prospects, ce qui a suscité un espoir peut-être un peu trop affiché ; toujours est-il que l'Inde est aujourd'hui entrée en négociations exclusives pour l'achat du Rafale, et je suis avec la plus grande attention ces discussions, qui sont très complexes mais progressent bien et permettront, je l'espère, d'aboutir rapidement à des résultats positifs.

Je voudrais apporter des précisions sur les décalages de certains équipements terrestres dont il a été fait état. En ce qui concerne le Scorpion, je n'ai pas décidé de le décaler d'un an : alors que la programmation actuelle reposait sur un lancement fin 2013, j'ai proposé de décaler ce lancement à juin 2014 au plus tard, ce qui n'entraînera pas de modifications importantes. Je veux également dire à M. Bridey que j'ai décidé de maintenir le missile de moyenne portée MMP au premier semestre 2013, en le plaçant en bonne priorité dans la trajectoire « missiles ».

Eduardo Rihan-Cypel a posé la question des risques liés à la cyberdéfense. Face à cet enjeu crucial, une structure spécifique, le centre d'analyse en lutte informatique défensive, a été mise en place. L'effectif du CALID va passer de 20 à 40 personnes en 2013, ce qui lui permettra d'être opérationnel 24 heures sur 24, sept jours sur sept. En outre, un schéma directeur de la cybersécurité a été préparé, visant à un renforcement important du domaine. Enfin, la DGA a planifié un recrutement de 200 personnes afin d'être en mesure de renforcer cette expertise technique déterminante pour la souveraineté de la France.

Comme le rapporteur Alain Marty, je suis très attaché au service de santé des armées et à ses spécificités institutionnelles et médicales, et je tiens à souligner que ses crédits progressent de 5 %. J'en profite pour saluer l'engagement du SSA et de tous ses personnels au service de nos forces, en particulier en ce moment, à la frontière entre la Jordanie et la Syrie. J'ajoute que j'ai récemment nommé un nouveau directeur central, auquel j'ai demandé de me présenter un projet de service prenant en compte les observations de la Cour des comptes, mais sans fermeture d'hôpital et préservant le soutien opérationnel des unités.

En conclusion, je voudrais replacer ce budget dans le contexte de notre environnement international et de nos intérêts stratégiques dans le monde. Plusieurs d'entre vous ont évoqué ce contexte. Il est clair que nous avons un très fort intérêt au sud de l'Europe, dans une zone qui va de l'Ouest de l'Afrique à l'océan Indien – comme l'a souligné M. Rouillard, il y a là des enjeux maritimes importants. Pour dire les choses autrement et dresser la liste des grandes crises du moment qui justifient une concentration de nos moyens et de nos efforts, de la crise au Sahel aux conséquences des printemps arabes, de la Syrie à l'Iran, du Golfe à l'océan Indien, l'Afghanistan et la zone Asie Pacifique, il y a là un ensemble très sensible, très perturbé, qui doit faire l'objet de réflexions par la commission du Livre blanc. C'est un enjeu essentiel.

Du point de vue de la défense, je voudrais souligner, comme l'ont fait de nombreux intervenants, combien la période que nous traversons est critique, avec une contradiction évidente entre les situations géostratégique et économique.

D'un côté, les menaces évoluent sans cesse : beaucoup augmentent, peu disparaissent. Notre monde reste instable, il est marqué par des conflits nombreux, qui affectent directement notre sécurité, ainsi que par de nouveaux défis liés à la nature même de nos sociétés modernes. Des régimes continuent de martyriser leur peuple et de menacer la stabilité de toute une région – je pense à la Syrie, bien sûr. Des groupes terroristes veulent toucher au coeur nos intérêts et nos valeurs en prenant des otages, en tuant, en imposant des règles d'un autre temps, en préparant des attaques contre nous – je pense au Sahel et à la menace d'AQMI. Avec le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, je suis particulièrement vigilant sur ce sujet. Des pays défient notre ordre international et poursuivent des programmes proliférants profondément déstabilisateurs, au mépris de toutes les règles internationales – je pense à l'Iran et à sa course en avant vers l'arme nucléaire. Nos sociétés deviennent plus vulnérables, en se reposant pour des pans entiers de nos vies et de nos activités sur des systèmes d'information et des capacités spatiales encore trop peu protégés – je pense, bien sûr, aux menaces d'attaques informatiques ou d'atteinte à nos systèmes spatiaux. Les querelles classiques, territoriales, n'ont pas pour autant disparu et risquent de se transformer en conflits ouverts – je pense à la mer de Chine du Sud.

D'un autre côté, paradoxalement, l'état des finances publiques nous impose de faire des choix qui peuvent être difficiles.

Il nous faut tenir ensemble ces deux impératifs. Je le redis avec force : j'attends du Livre blanc une mise en cohérence entre les ambitions que l'on formule et les moyens que l'on se donne, notamment pour l'activité et l'équipement de nos forces.

Aujourd'hui, cette cohérence entre les ambitions et les moyens est menacée de rupture. La restaurer passe par une redéfinition de nos priorités, sans déni de réalité. C'est toute la mission de réflexion à laquelle le ministère de la défense participe actuellement, aux côtés de la représentation nationale. Vous serez saisis, le moment venu, des décisions stratégiques. Je vous remercie de votre attention (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe RRDP)

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